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Les vignobles Bouygues en ordre de bataille

Pierre Graffeuille et Charlotte Bouygues (@Deepix)

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

05.07.2023

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Un an après son arrivée et après s'être accordé le temps de « prendre ses marques », le nouveau tandem à la direction des vignobles Bouygues (cinq domaines entre Bordeaux, Bourgogne, Loire et Cognac) dévoile à Terre de Vins les grandes lignes de sa feuille de route.

Si l'annonce officielle de leur prise de fonction a été faite en septembre dernier, le tuilage avec l'ancienne direction, incarnée depuis 10 ans par Hervé Berland, avait commencé quelques mois auparavant. Un an, donc, après leur arrivée discrète aux manettes, Charlotte Bouygues et Pierre Graffeuille ont pleinement pris leurs marques. Ce nouveau tandem à la tête de SCDM Domaines, l’entité dédiée aux activités viticoles et agricoles de la holding familiale de Martin et Olivier Bouygues, se partage naturellement les responsabilités : à la direction générale, Pierre Graffeuille apporte son profil technique (il est diplômé de Bordeaux Sciences Agro et de la Faculté d’œnologie de Bordeaux) et sa connaissance transversale de la filière (il est passé par le négoce et s'est illustré pendant 10 ans à la direction commerciale puis la direction générale des vignobles Delon) ; à la direction stratégie & développement, Charlotte Bouygues apporte son expérience des grands groupes (L'Oréal, TF1), sa culture internationale (mère américaine, trois années de sa carrière passées à New York) et une forte expertise en communication et marketing.

Montrose, navire amiral
« Après dix ans passés dans de grands groupes, j'avais envie de découvrir autre chose, de me frotter aussi à une activité à la fois plus concrète, plus familiale et entrepreneuriale », nous explique Charlotte Bouygues. « Je savais que mon père (Martin Bouygues, NDLR) fomentait l'espoir que je m'intéresse à ses investissements dans le vin. Cela a coïncidé avec l'arrivée de Pierre, qui succédait à Hervé Berland, lequel avait fait un formidable travail pendant dix ans. Nous avons l'avantage d'avoir des parcours différents mais complémentaires : Pierre est plus focalisé produit, je suis plus axée sur la stratégie globale. »

Aujourd'hui, SCDM Domaines réunit un superbe portefeuille de propriétés : Château Montrose (2e Grand Cru Classé 1855) et Château Tronquoy à Saint-Estèphe, Clos Rougeard à Saumur, Domaine Henri Rebourseau à Gevrey-Chambertin, 160 hectares de vignes et deux sites de distillation à Cognac, auxquels s'ajoute une truffière à Chinon (12 hectares). « Toutes ces acquisitions ont été faites, depuis 2006, par opportunités et au coup de cœur par Martin Bouygues », souligne Pierre Graffeuille. « Il n'y avait pas nécessairement de stratégie commune. Nous allons harmoniser tout cela, créer davantage de synergies techniques et commerciales, donner une identité forte à chaque domaine pour que l'activité soit moins "saint-estèphe-centrée", même si Montrose demeure notre navire amiral. » À Montrose, dont les terroirs et le vignoble sont déjà pleinement opérationnels, les vins jouissent déjà d'une très grande reconnaissance. « Mais l'on peut aller toujours plus loin dans la précision », précise Pierre Graffeuille. « Un grand vin est une somme de détails. En ayant travaillé à Las Cases pendant 10 ans, je ne suis pas en terrain inconnu sur la terrasse 4 de Saint-Estèphe et ses graves argileuses. La famille Bouygues a un seul mot d'ordre : la qualité, la qualité, la qualité. Vincent Decup, à la direction technique, fait depuis plusieurs années un travail remarquable, y compris sur le plan environnemental. Je précise que toutes les propriétés du groupe sont soit certifiées AB, soit en cours de conversion, mais nous devons aller encore plus loin. En tant que vaisseau amiral, Montrose doit donner l'exemple, être une vitrine et une marque forte, et proposer aux amateurs une expérience encore plus complète, qui dépasse la bouteille de vin, qui englobe tout ce lieu magique du Médoc. »

Tronquoy, pépite en mutation
À deux pas de Montrose, le château Tronquoy connaît lui aussi une petite révolution. Ni cru classé ni cru bourgeois, ce domaine stéphanois aux terroirs de haut vol « doit encore se faire mieux connaître », avance Charlotte Bouygues. « Tronquoy produit de très grands vins, à des prix accessibles, y compris son excellent blanc. Il est important de le mettre davantage dans la lumière, c'est pourquoi nous avons travaillé sur son changement d'identité (il s'appelait jusqu'à récemment Tronquoy-Lalande, NDLR) et l'avons remis pour la première fois en primeurs depuis 2012. Nous souhaitons prendre plus de risques, faire preuve d'audace, travailler avec des chefs... il y a une vraie histoire à raconter autour de cette propriété. C'est notre laboratoire d'idées. »

Du côté de Cognac, seul vignoble du groupe à ne pas être engagé en bio, trois propriétés ont été acquises depuis 2014, pour une superficie totale de 160 hectares. Une partie de la production est vendue à de grandes maisons cognaçaises, et Bouygues conserve « ce qui est le plus intéressant », en constituant des réserves et du patrimoine, sans volonté de création de marque pour le moment.

En Bourgogne, le Domaine Henri Rebourseau, acquis en 2018, concentre 13,5 hectares dont 5,5 en Grand Cru (Chambertin, Chambertin Clos de Bèze, Mazy-Chambertin, Charmes-Chambertin, Clos de Vougeot). « Nous avons de magnifiques terroirs, en particulier sur Gevrey », précise Pierre Graffeuille. « La qualité des vins est là, nous sommes actuellement en phase de travaux sur l'outil technique, pour une inauguration en juin 2024. Après quoi, nous serons vraiment prêts à décoller. Il y a encore un gros travail à faire autour de la marque. »

Clos Rougeard : « nous devons encore rassurer »
Des travaux, il y en a eu aussi au Clos Rougeard, et ils arrivent enfin à leurs termes, pour une inauguration cet automne. Racheté par la famille Bouygues en 2017, ce joyau de la Loire s'offre une modernisation de l'outil technique « qui n'a pas vocation à tout transformer », souligne Pierre Graffeuille. « Le terroir de Clos Rougeard est immuable, il faut surtout l'accompagner lui permettre de s'adapter au changement climatique. Les vins sont là, on ne touche pas aux quatre cuvées qui ont chacune leur personnalité. La famille Foucault a été présente pendant huit générations, notre rôle est de continuer à faire de grands vins, comme ils l'ont fait auparavant. Nous avons conscience qu'il faut encore rassurer : on ne reprend pas une telle propriété à la légère. Clos Rougeard bénéficie d'une direction commerciale dédiée, nous avons recruté un nouveau chef d'exploitation fin 2022, Cyril Chirouze. L'idée est de développer un peu plus l'export, qui ne représente aujourd'hui que 1/3 des volumes vendus. Nous avançons par petites touches. » Toujours dans la Loire, SCDM Domaines mise sur la complémentarité avec sa truffière située à Chinon, qui couvre 12 hectares, à une densité de plantation de plus de 2 200 arbres/hectare. « Nous voulons développer une activité de terroir globale, autour des produits d'exception », avance Charlotte Bouygues. « C'est dans l'ADN de notre famille, nous ne faisons rien sans passion. Et cela va continuer dans nos prochains développements : nous réfléchissons déjà à la création d'une marque ombrelle (autre que le nom juridique SCDM Domaines) pour réunir toutes ces activités. Et nous gardons un œil sur de possibles nouvelles acquisitions, pourquoi pas à l'étranger... Compte tenu des origines de ma mère, la Californie aurait du sens. À voir si, au vu du réchauffement climatique, il s'agit d'un vignoble d'avenir... Nous ne voulons pas nous précipiter. »