Accueil Marcelin Albert, l’homme qui défia Clemenceau pour sauver les viticulteurs du Languedoc

Marcelin Albert, l’homme qui défia Clemenceau pour sauver les viticulteurs du Languedoc

Auteur

Yves
Tesson

Date

18.04.2020

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Nouveau rendez-vous sur « Terre de Vins » : « La vigne se raconte ». Chaque semaine, replongez-vous dans un moment marquant, éprouvant ou fondateur de l’Histoire du vignoble français.

C’est toujours dans les moments de crise que se révèlent les caractères, ceux des héros qui ne craignent aucun sacrifice quitte à sombrer dans les oubliettes de l’histoire et ceux dont la seule préoccupation est d’avoir raison et de ne pas perdre la face. Les révoltes vigneronnes de 1907 en sont l’illustration parfaite.
L’épidémie du phylloxéra qui a ravagé les vignobles dans la seconde moitié du XIXe siècle a provoqué paradoxalement une crise de surproduction au début du XXe siècle. Dans un premier temps, afin de pallier la pénurie, on a planté beaucoup de vignes dans les plaines irriguées sur lesquelles on pratiquait des tailles longues pour augmenter les rendements. On assemblait ces vins avec ceux d’Algérie, débarqués dans le port de Sète, qui devaient leur redonner un peu de titre en alcool. Les négociants étaient aussi passés maîtres dans toutes sortes de trafics. Ils produisaient du vin à partir de raisin sec de Corinthe pour mieux contourner les droits de douane sur les vins étrangers. Ils mouillaient les marcs et rajoutaient du sucre pour fabriquer de la piquette… Une fois le vignoble replanté, ces pratiques se sont maintenues et ont contribué à la crise de surproduction. Au début du XXe siècle, le prix du vin était tombé si bas que dans certains bistrots on payait son vin non pas au verre mais « à l’heure » !

Les plus exposés étaient les vignerons du Languedoc-Roussillon. Et pour cause, tout en reconstituant parmi les premiers leur vignoble avec des porte-greffes américains, ils s’étaient spécialisés dans la production de vin de masse pour le marché parisien en abandonnant leurs autres cultures. Produisant plus de 40% des vins français, toute l’économie de la région en dépendait.

Marcelin Albert, un leader inattendu

Dans les années 1900, derrière la figure charismatique de Marcelin Albert, vigneron et cafetier à Argeliers, un large mouvement de protestation s’organise pour réclamer une législation contre les fraudeurs. En face, le gouvernement radical, appuyé par le lobby des betteraviers du Nord, considère le mouvement avec mépris. Selon Clemenceau, tout cela finira comme toujours dans le Midi par un grand banquet et la véritable cause de l’effondrement des prix n’est pas tant la fraude que la surproduction du vignoble. Pour reprendre la déclaration d’un Préfet : ces Messieurs n’ont qu’à abandonner leurs vignes pour planter des amandiers. On étudie bien à l’Assemblée un projet de loi. Mais on traîne en longueur dans l’espoir de faire pourrir le mouvement.

Cependant, lorsque 800.000 manifestants débarquent à Montpellier, que les municipalités démissionnent et appellent à la grève de l’impôt, la crédibilité du gouvernement est mise en cause. Clemenceau envoie la troupe, bilan : sept civils tués et la mutinerie du 17e régiment d’infanterie de ligne composé de soldats issus de familles vigneronnes. Le maire de Narbonne est arrêté et Marcelin Albert, après s’être caché dans le clocher d’Argeliers, décide de se rendre à Paris où il est reçu par Clemenceau. Le Président du Conseil le convainc d’œuvrer au retour de l’ordre dans le Languedoc tandis qu’il s’engage à prendre rapidement des mesures contre la fraude. Marcelin qui n’a pas d’argent pour payer son billet de retour, reçoit 100 francs de Clemenceau. L’homme politique convoque la presse et sous-entend que Marcelin s’est laissé acheter. Déshonoré, il finira sa vie en Algérie dans la misère.

Le gouvernement peut désormais céder sans en avoir l’air et imposer la législation qui doit atténuer la crise : l’obligation des déclarations de récolte et la mise en place d’un service de répression des fraudes. Mais la vraie solution sera surtout l’épidémie de mildiou de 1910 et le « pinard des poilus », grand débouché de la viticulture française pendant la Grande Guerre.

Pour revivre ces grandes heures qui ont marqué l’histoire de la vigne, il faut lire la bande dessinée de Corbeyran et Lucien Rollin « Les Révoltes vigneronnes » aux Éditions Glénat.