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Phylloxéra, les leçons d’une pandémie

(crédit photo : Union des Maisons de Champagne)

Auteur

Yves
Tesson

Date

04.04.2020

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Nouveau rendez-vous sur « Terre de Vins » : « La vigne se raconte ». Chaque semaine, replongez-vous dans un moment marquant, éprouvant ou fondateur de l’Histoire du vignoble français.

Déni, remèdes de charlatans, rivalités scientifiques, la pandémie du phylloxéra qui frappe les vignes au XIXe siècle interpelle notre actualité.

C’est en 1863, que les premiers plants phylloxérés sont repérés dans le Gard. Mais il faut attendre 1868, pour que trois scientifiques de la Société d’agriculture de l’Hérault parviennent à identifier l’origine de cet étrange dépérissement. Le responsable ? Un minuscule puceron qui s’attaque aux racines et suce la sève. La vigne se dessèche et meurt en trois ans. En été, l’insecte connaît une forme ailée qui accélère sa propagation. Et comme un seul insecte, en une année, a une descendance de 10 millions d’individus, il est presque invincible. Il faut noter aussi sa résistance au froid, survivant à l’hiver de 1879 où la température tombe à -28°C.

Les trois savants décèlent immédiatement l’ampleur du danger et annoncent que, faute de remède, « avant dix ans la Provence n’aura plus une seule vigne ». Il est frappant de constater avec quel mépris les scientifiques parisiens considèrent les conclusions de ces agronomes provinciaux. Ils jugent peu probable que ces petites bêtes, que l’on ne peut même pas observer à l’œil nu, puissent engendrer de tels dégâts. C’est surtout la sécheresse qui aurait rendu les vignes vulnérables.

Si en trente ans, toute la France est concernée, chaque région avant d’être contaminée vit dans le déni. Dans le Bordelais, on est persuadé que le climat pluvieux préservera les vignes, en Champagne, c’est la craie, dans le Mâconnais, ce sont les collines escarpées qui lui barreraient le passage. Les professionnels ne tirent aucun parti du délai dont ils bénéficient pour se préparer.

Là-dessus s’ajoute la défiance à l’égard des préconisations des autorités publiques alors que la toute nouvelle troisième République ne fait pas l’unanimité. Le climat délétère fait le jeu des charlatans qui viennent vendre aux vignerons leurs potions miracles. Que n’a-t-on pas mis dans les vignes entre les sirops d’urine de cheval et les crapauds enterrés vivants supposés attirer le venin de la vigne… Évidemment, la religion s’en mêle : on ne sait plus à quel Saint se vouer : en Auvergne, la statue de Saint Verny est jetée dans l’Allier, on le remplace par Saint Vincent.


(crédit photo : Union des Maisons de Champagne)

La recherche pourtant s’organise. Plusieurs écoles s’affrontent. Ceux qui préconisent l’arrachage systématique pour endiguer la propagation. Un modèle qui exige une surveillance permanente du vignoble, des mesures autoritaires et une grande discipline qui n’est pas la première vertu de nos Gaulois. Il n’est guère qu’en Alsace, alors sous domination germanique, que cette méthode fonctionne. La seconde solution, souvent combinée à la première, est le traitement au sulfure de carbone. Injecté sur les racines, il asphyxie les pucerons. Mais il est coûteux, dangereux et partiellement efficace.

Enfin, il y a les plants américains par qui le mal est arrivé. Leurs racines offrent une bonne cicatrisation aux piqures de l’insecte. On les utilise d’abord en direct. Mais on leur reproche leur goût foxé. Certains cépages comme le Noah sont même accusés de rendre fous ! C’est donc la technique du greffage qui l’emporte : on utilisera un porte-greffe américain, qui donnera des racines résistantes, et un greffon français qui conservera les qualités organoleptiques des cépages autochtones. La viticulture s’en trouve bouleversée : on abandonne le provignage qui permettait, sans peine, de prendre un sarment pour le replanter directement en terre (un sarment de la partie supérieure donnait une vigne française, un sarment de la partie inférieure, une vigne américaine). On passe de la culture en foule complantée d’arbres fruitiers à la monoculture en rangs, tandis que des vignobles entiers disparaissent, comme ceux d’Île de France. La viticulture se technicise, le vigneron devient viticulteur. Aujourd’hui, l’essentiel du vignoble est greffé, mais cette technique n’est pas sans conséquence, les greffes mécaniques suscitent des ruptures de sève et seraient responsables de l’Esca.

Bref, il faut couper sa Box, et se plonger dans le livre de Gilbert Garrier Le Phylloxéra, une guerre de Trente ans. Et si on doit réfléchir à un accord vin/lecture, se servir une cuvée Bollinger « Vieilles vignes françaises », pour retrouver le goût des champagnes pré-phylloxériques.

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(crédit photo : Bollinger)