Vendredi 13 Décembre 2024
©F. Hermine
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26.06.2024
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Le pape du prunelart et de l’ondenc a encore toute sa verve. Ce qui ne lui a pas toujours fait que des amis y compris dans son vignoble natal. Il était l’invité d’honneur de la dernière conférence des vins de Gaillac qui présentait quelques flacons ambassadeurs et une nouvelle opération Comptoirs Gaillacois à La Bonne Franquette à Montmartre.
Robert Plageoles, référence gaillacoise par excellence et ardent défenseur des cépages oubliés, aime bouger les lignes et secouer les gens, rarement à mauvais escient, mais en y mettant rarement les formes. Ce qui a sans doute empêché le nonagénaire de faire école. Mais ils sont quand même quelques-uns de la nouvelle génération et de celle d’avant à prêter l’oreille aux mérites de ces cépages de jadis et à renouer avec d’anciennes pratiques. Certains ont déjà suivi les incitations de l’infatigable érudit, vigneron devenu ampélographe au contact d’un certain Jean-Michel Boursiquot, référence en la matière.
Robert se plaît à rappeler un brin d’histoire en préambule. « La conquête romaine a apporté au IIe siècle le commerce du vin et des experts qui sont arrivés dans le Sud-Ouest de la France avec dans leurs malles des cépages pour la plupart issus du Moyen-Orient. Il n’empêche qu’à Gaillac, nous en avons répertorié au moins cinq que l’on a retrouvés nulle part ailleurs que dans les environs de la forêt de Grésigne » : En blanc, le mauzac avec ses sept couleurs différentes, le loin de l’œil et l’ondenc (qui a existé en rouge) ; en rouge, le duras et le prunelart. « Et au grand désespoir des Cadurciens, il est apparu que le prunelart était le père du malbec – il se disait même avant le phylloxera : pas de gaillac sans prunelart ». Depuis le Ve siècle, Gaillac élabore également des effervescents, en particulier à partir du mauzac. « C’est une raison supplémentaire pour maintenir les mauzacs, car parmi les 7 existants, seuls 2 sont cultivés, le rouge et le rose, ce dernier étant en voie de disparition malgré sa forte résistance naturelle. Ces cépages, considérés comme rustiques, ont pourtant fait la renommée du vignoble. » L’ondenc pour le vin d’autan en blanc doux et le mauzac pour le vin de voile ont souvent été cités parmi les meilleurs vins du monde.
Des réserves de cépages pour s’adapter au climat
C’est ce qui a incité Robert à créer son propre conservatoire et à faire de la recherche appliquée. Pour faire renaître le prunelart qui a intégré le cahier des charges de Gaillac à la fin des années 90. La même réhabilitation est en cours pour le verdanel. Robert Plageoles enrage de ne pas retrouver davantage de diversité d’encépagement dans le vignoble gaillacois. Avec son franc-parler habituel, il fustige les vignerons trop souvent « bourriques » qui aiment rester sur leurs acquis, même si la nouvelle génération se révèle plus audacieuse. Et de rappeler deux révolutions majeures qui obligent à réfléchir à l’évolution : le phylloxera et le réchauffement climatique. « Nous avons des réserves de cépages qui peuvent nous aider à nous prémunir des excès climatiques, pas besoin d’en créer de nouveaux. »
Une diversification en route
Si le vignoble est désormais enclin à renouer avec des cépages identitaires, il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les années 60, il s’est tourné vers des cépages à la mode comme le merlot, le gamay, le pinot, la syrah, le cabernet sauvignon, puis le sauvignon-sémillon. Il est également passé du tout blanc au tout rouge. Il tend actuellement à se diversifier avec 60 % de rouges, 30 % de bancs et 10 % de rosés sans compter les perlés et les vendanges tardives anecdotiques (bien que l’appellation soit l’une des rares à avoir droit à la dénomination). « Et aujourd’hui, il est difficile, voire impossible de retrouver nombre de cépages chez les pépiniéristes, à commencer par l’ondenc et le prunelart. Et quand on sait qu’il faut dix ans pour les mettre en œuvre et apprendre à les connaître, il faudrait aller plus vite car un cépage, c’est comme un mariage, il faut quelques années pour s’apprivoiser et se comprendre. On pourrait abandonner les porte-greffes américains pour miser sur les vignes sauvages de la forêt de Grésigne. Un peu de verdanel dans le mauzac ou le loin de l’œil apporterait de l’acidité et de la fraîcheur. Car il faut élaborer davantage de vins de soif dans la perspective que l’on finisse sous le climat d’Andalousie. »
La force des arguments
Robert Plageoles rappelle que l’on peut aussi promouvoir certaines techniques et « se concentrer sur des cépages que les autres n’ont pas ». Deux cépages ont déjà disparu : le prunelart muscat et le prunelart à queue rouge. Le mauzac noir a été redécouvert récemment. Il peut faire un excellent vin de soif à 35 hl/ha et 12° et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Il est actuellement préservé au centre de recherche sur la vigne du domaine de Vassal qui aurait peut-être disparu si le vigneron tannais n’avait relancé les recherches et servi de « ventilateur d’informations » selon ses propres termes. « Nous sommes un grand vignoble et on a la chance, avec tous nos cépages sur un terroir hétéroclite, de pouvoir changer l’assemblage de nos vins ; c’est la puissance de nos arguments historiques , techniques, œnologiques qui aide à convaincre les acheteurs. »
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