Jeudi 19 Juin 2025
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19.06.2025
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Jadis très cultivé, ce cépage historique et constitutif de l’identité de Bordeaux, voit ses surfaces régresser depuis quelques décennies. Beaucoup de châteaux l’ont même supprimé de leur encépagement. Devenue confidentielle, (30 ha sur les 2000 de l’appellation Sauternes par exemple) la muscadelle va-t-elle disparaître ? Quelques viticulteurs croient pourtant en elle et des travaux de recherche l’ont remise au goût du jour.
La muscadelle est une descendante du gouais blanc, ce « super parent » qui, croisé avec le pinot noir, a donné notamment le Chardonnay, l’Aligoté et le Gamay, le Riesling, mais aussi le Furmint (Tokaj). Autant dire que la muscadelle ne vient pas de nulle part et qu’elle a un beau capital ADN. « Elle est mentionnée dès 1736, en même temps que le Sémillon et le Sauvignon », nous dit Philippe Darriet, professeur à l’ISVV. Originaire du sud-ouest, elle se rencontre surtout dans le Bordelais, le Gaillacois et le Bergeracois et n’a pas d’autre existence sur la planète Terre. Une spécificité donc qu’il conviendrait de conserver. Mais que lui reproche-ton ?
La muscadelle a une vigueur élevée et est donc très productive si on ne la contraint pas. Mais plus ennuyeux, elle a une forte sensibilité aux maladies : l’oïdium et la pourriture grise notamment. Au sein de la même grappe, on peut avoir une hétérogénéité de maturité. Elle supporte donc mal les conditions climatiques humides de Bordeaux, ce qui complique sa culture et augmente les coûts de production. Les viticulteurs lui ont donc préféré des cépages plus fiables et plus faciles à conduire. Des faiblesses que certains ont réussi néanmoins à contrer.
Arnaud Schuster de Ballwil, le propriétaire du château Montlau à Moulon, nous dit que « pour éviter que la muscadelle grossisse, se gonfle de jus et pourrisse, il ne faut pas la planter sur des terrains humides ou gras ». C’est le cas à Montlau où la parcelle dédiée à la muscadelle est située à flanc de coteaux, bien drainée, exposée sud-ouest et donc bien ventilée. Des conditions très satisfaisantes pour faire un blanc sec. Au château Haut Reys, à La Brède, en appellation Graves, Grégoire Gabin, le propriétaire, compte maintenir la surface dédiée à la muscadelle même si celle-ci est faible (0,9 ha) : « j’ai l’intention de replanter. Parce qu’il y a aussi un autre avantage : c’est un cépage qui, lorsqu’il a gelé, a tendance à repartir mieux que le sauvignon ou le sémillon ». Intéressant quand le débourrement est de plus en plus précoce du fait des hivers de plus en plus doux et que la vigne s’expose au gel printanier. Mais si ce cépage a été planté, c’est qu’il apporte surtout une valeur au vin.
« Des situations de contrainte hydrique accrue, de maturation avec plus d’ensoleillement devraient permettre un renforcement du caractère muscaté propre à ce cépage » affirme Philippe Darriet. Sans oublier les notes de fleurs blanches pour le sec, de miel, de raisin frais et d’épices pour le liquoreux, et de rose pour les deux types de vin. Pour Cathy Tourlet Responsable du service technique à la Fédération des vins de Bergerac et Duras, « la muscadelle s’exprime de manière moins intense que le sauvignon blanc mais plus que le sémillon, avec beaucoup de finesse sur le côté aromatique ». Quant à la bouche celle-ci devient un peu plus dense et enveloppante. De quoi amortir le caractère parfois tranchant (l’acidité) du sauvignon dans les assemblages.
Contrairement au Sauvignon blanc, qui perd en acidité sous l’effet du réchauffement climatique, la Muscadelle garde une certaine fraîcheur. Elle pourrait donc jouer un rôle dans le cadre de l’adaptation des vignobles bordelais au changement climatique. Autant de raisons qui conduisent l’institution à étudier la muscadelle dans des conservatoires dont un a été créé en 1996, à côté du château de Monbazillac, et un autre dans le Lot-et-Garonne. « Nous sommes à l’origine de la création de deux clones », précise Cathy Tourlet. Ces derniers sont actuellement commercialisés par un pépiniériste de Sainte Livrade sur Lot. « Ces nouveaux clones 1216 et 1217 donnent d’excellents résultats dans toutes les situations, qu’elles soient culturales ou organoleptiques, des résultats supérieurs au clone 610 qui existait déjà ». Un travail de sélection pour lesquels Philippe Darriet pense « qu’il y a un intérêt à creuser l’évaluation sensorielle et analytique de ces clones ».
La présence de la muscadelle dans l’encépagement est donc une carte intéressante pour diversifier le caractère des vins et contribuer à leur conférer une identité originale, que les vins soient secs ou liquoreux. Et ceci d’autant plus que la sélection clonale propose aujourd’hui des plants où les défauts ont été gommés et les caractéristiques aromatiques et gustatives conservées voire améliorées. Alors oui : sauvons le soldat muscadelle.
Château Myrat 2024, Bordeaux sec, 15 €
50% Sémillon et 50% Muscadelle, élevage en barrique
Agrume (bergamote), ananas rôti et une touche de cire d’abeille. L’assemblage présente une bonne fraîcheur, un gras agréable et une fine amertume. Longueur en bouche appréciable. Bon équilibre entre fraîcheur et rondeur.
Château Myrat 2022, Sauternes, 2ème cru classé en 1855, cuvée Siméon
80 % de muscadelleNet parfum de rose et de caramel au lait. Ananas frais et une touche de raisin de Corinthe. En bouche, une liqueur déliée sur des notes de miel, d’abricots secs, des touches d’épices et d’ananas rôtis. Rien d’opulent. Fin et long. Une révélation !
Château Haut Reys, Graves 2024 7,5 €
25 % de muscadelle. Pas d’élevage bois.
Des arômes citronnés et mentholées, d’herbes sèches, des notes muscatées et de la fraîcheur. Bonne vivacité et bel équilibre entre gras et fraîcheur. A noter Haut Reys 2023 (Cuvée Boisée) 8,50€.
Château Montlau 2024. Entre Deux Mers
60% muscadelle, sémillon 30% et Sauvignon 10%.
Nez sur la rose, notes d’agrumes (bonbon au citron), de tilleul, de noix de muscade, de poivre blanc, et une fraîcheur de verveine mentholée. En bouche une acidité contenue, de la rondeur et une touche saline en finale. A noter un excellent crémant de Bordeaux, « Favory de Montlau », (60 % muscadelle) : enfin un crémant sur le fruit (blanc) !
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