Accueil V 2010 et V 2012 de Canard Duchêne : quand Laurent-Fédou force sa nature

V 2010 et V 2012 de Canard Duchêne : quand Laurent-Fédou force sa nature

Auteur

Yves
Tesson

Date

02.08.2022

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Il y a Z comme Zorro, et V comme Victor (le fondateur). Ce dernier a encore frappé en nous proposant un duo de choc, 2010 (uniquement en magnum) et 2012. Deux millésimes sur deux registres radicalement différents, nouvelle preuve de la créativité du chef de caves de Canard-Duchêne, Laurent Fédou.

La première cuvée (130€) est certainement la plus étonnante. Peu de maisons ont osé millésimer 2010. Et pour cause, alors que la campagne avait très bien débuté, les pluies tombées au mois d’août ont enclenché une poussée de botrytis, nécessitant beaucoup de tri à la vendange. Seulement voilà, Canard Duchêne souhaitait préparer la célébration de ses 150 ans prévue en 2018 et réclamait à son chef de caves, Laurent Fédou, un millésime de sa fameuse cuvée V. Le génie naît bien souvent de la contrainte, ce sont toujours des conditions défavorables qui poussent l’imagination aux plus belles créations et l’artiste au dépassement. Que l’on songe à Michel Ange, sculpteur de son état, à qui on imposa de peindre le plafond de la chapelle Sixtine… L’artiste a besoin d’être déplacé pour sortir de sa zone de confort et produire ses plus beaux fruits.

C’est ainsi que Laurent Fédou, un peu bousculé, a dû élargir exceptionnellement la palette des crus utilisés, pour parvenir à un assemblage qui soit à la hauteur. De fait, on retrouve une diversité de crus qui n’est pas banale pour une cuvée spéciale et qui nous fait voyager à travers toute la Champagne, depuis les grands Crus de la Côte des Blancs (Chouilly, Oiry), en passant par le Sud de la Montagne (Ambonnay, Aÿ, Avenay), la vallée de la Marne (Cumières), le Nord de la Montagne (Ludes, Taissy), l’Ouest de la Montagne (Villedommange), et même l’Aube (Les Riceys). Le résultat (60 % Pinot noir, 30 % Chardonnay, 10 % meunier) est étonnant d’équilibre et de classicisme : le nez est toasté, brioché, la bouche est sur la tarte à la mirabelle. Elle appelle la glace à la vanille, et cela tombe bien, de la vanille, il y en a justement un peu. On a aussi une petite note végétale mais très noble qui ressemble à du buis.  C’est un vin complet qui se suffit à lui-même. Un peu comme Brigitte Bardot sur son Harley Davidson, il n’a besoin de rien… « Je n’aime pas ces vieux vins dont on dit il en a eu sous le pied. Là, tu as tout le charme d’un vieux vin mais en même temps il y a du fruit. » C’est aussi un champagne avec lequel on est sûr de faire mouche parce qu’il est très consensuel. Son côté chaleureux le rapproche plutôt des champagnes d’hiver que l’on peut déguster sans problème sur une volaille à la crème et aux morilles.

V 2012 (65€), c’est tout le contraire. On part d’un millésime dont les conditions furent particulièrement favorables, avec de la fraîcheur et en même temps une belle maturité pour aboutir plutôt à un champagne d’amateur. On sait que Laurent Fédou est d’abord un amoureux des pinots noirs de la face Nord, il aime le fruit lorsqu’il est encore croquant. Pourtant cette cuvée (70 % pinot noir, 30 % meunier) est un peu à contrecourant de son style habituel si on en juge par le fruit plutôt mûr et des pinots noirs en majorité issus des crus du Sud de la Montagne, même si Mailly et Ludes sont aussi présents, et ramènent un peu de verticalité à un vin qui partait davantage sur l’horizontalité, la largeur, l’amplitude. Ce côté mûr et large a incité le chef de caves à oser pour la première fois un non dosé. Sur ce sujet délicat, Laurent Fédou nous confie un paradoxe : « A chaque fois, l’échantillon qui me paraît le plus mordant, le plus acide, est celui qui est le plus sucré, alors que l’on pourrait s’attendre à ce que cela soit le contraire. Pour moi, ce n’est pas le sucre que je ressens dans le dosage, c’est le déséquilibre, et c’est toujours en me fondant sur ce déséquilibre et non sur la perception du sucre que je rejette un échantillon surdosé ». On appréciera les arômes de pâte de coing et cette légère amertume de fin de bouche. Sans doute plus perceptible en raison de l’absence de dosage, elle appelle à se resservir. La dimension un peu saline nous avait déjà fait prescrire cette cuvée sur un plateau de fromages

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