Samedi 15 Février 2025
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Date
19.03.2014
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L’artiste japonaise Ayako Suwa a imaginé pour Veuve Clicquot des œuvres d’art alimentaires, crées pour générer des émotions. Colère, joie, angoisse, souvenirs : au travers de l’acte de manger, l’individu exprime des émotions propres à sa nature d’homme.
C’est un étrange dîner auquel nous a convié le champagne Veuve Clicquot. Un dîner où par la bouche, nous avons ressenti toute une palette de sensations : un goût de bonheur suivi d’un insaisissable parfum de tristesse ; l’amertume angoissante ; la colère froide ; une surprise épicée ; un goût inconnu ; un parfum exotique ; une saveur d’enfance…
Pour vivre pleinement l’expérience, trois préalables.
Premièrement, supprimer toutes les conventions : serveurs muets, gants noirs, communication par bristols aux messages étranges, pénombre ou taches de lumière, pas d’assiette ni de couverts mais les doigts ou d’étranges pailles et pinces.
Deuxièmement, faire appel à son instinct. Renifler, goûter. Écouter l’environnement sonore (bourdonnement d’insectes, bruissements d’ailes, cascades, gouttes de pluies, …), ressentir la température, percevoir la tonalité et les jeux de lumière.
Troisièmement : comprendre que l’aliment n’est ici qu’un vecteur et non un but, et ne pas rechercher un plat, une recette.
Voici une nouvelle forme d’art contemporain, avec comme dénominateur commun l’aliment. L’artiste s’appelle Ayoko Suwa. Cette japonaise, née à Ishikawa en 1976, a commencé à exercer au travers des voies artistiques classiques avant d’évoluer peu à peu vers une création par le goût et travailler sur le lien entre nos émotions et l’acte de manger. « Quelle que soit notre nationalité et notre culture, manger est universel, explique-t-elle. Mais ce faisant, nous véhiculons des émotions et un langage ; nous fabriquons des souvenirs ou bien nous y faisons appel. »
Fleurs à manger et bourdonnement d’insectes
Ce soir là, à l’Hôtel du Marc de Veuve Clicquot, le papillon noir créé par Ayoko Suwa s’est posé en voyageur voletant sur plusieurs univers et autant de scènes culinaires : le jardin, la prairie, la forêt, le vignoble, etc.
Au fur et à mesure que le repas avance, des émotions éclosent.
C’est d’abord la sensation d’« un dimanche à la campagne », avec un éclairage frais, le bourdonnement joyeux d’insectes et de chants d’oiseaux. Un plateau en verre transparent apparaît, couvert de pistils, de pétales de rose, de soucis et d’étonnantes orchidées tigrées ou fushia à croquer. Ici un « sandwich » de pétales de chrysanthèmes sur fond de biscuit beurré Frizzi pazzi explose en bouche dans des souvenirs d’enfance. Puis au cœur de pétales de géranium, c’est une boule de chocolat blanc écœurant au cœur de gelée royale (le petit déjeuner de la reine d’une ruche ?). Ambiance de thé à l’anglaise pour finir, avec tasse d’infusion de Clicquot demi-sec, thé earl grey aux fleurs bleues et son macaron à l’arôme intense de rose.
Changement de décor. Voici l’inquiétude froide d’un ruisseau, dans une lumière bleu-vert et des bruits d’eau. Le service du bouillon dashi met en mouvement, au fond de l’assiette, d’étranges algues et copeaux de lichen, qui entament une danse macabre et légèrement visqueuse au contact du liquide. Au bord de l’assiette, trois types d’œufs de poisson « se font de l’œil ». Une coupelle remplie de plantes aquatiques attend d’être mâchée, suivie d’une écrevisse sur son galet chaud. Sur une feuille de bananier, différents poissons cuits, crus, fumés révèlent leur texture ferme et leur saveur salée. Des escargots tièdes donnent le change dans leur pâte à beignet. Puis, magistrale d’horreur, une grenouille écartelée apparaît, les cuisses couvertes de macha vert.
Il est temps de revenir au bruissement de la prairie et ses milliers d’herbes étranges et parfumées. Puis c’est la forêt, le sous-bois, la chasse et l’odeur du sang. Pour finir, le vignoble donne une note finale apaisée de crépuscule, de fruits mûrs et d’été indien.
Dans ce dîner émotif, les champagnes Veuve Clicquot entrent parfois en connivence avec les mets servis. Le rosé 2004 se love sur le gibier. Il converse – accord de famille – avec les grains raisins –réels ou reconstitués – sur leur rafle balsamique. Le Carte Or est cristallin sur les habitants du ruisseau. Mais, dans la plupart des cas les champagnes ont surtout servi à l’élaboration des tableaux : gouttes de pluies au Carte Jaune, mousse bulleuse de champagne sur la chair batracienne, infusion de fleurs au Veuve Clicquot demi-sec, etc. Les assiettes, véritables « tableaux gustatifs » complexes et précis, entraînent dans un univers de saveurs, de sensations et d’émotions.
C’est la fin de ce repas onirique, le retour aux conventions et à la parole. A l’heure de remercier notre artiste, les mots sonnent creux. La bouche, support tout à l’heure de tant d’émotions, est désormais muette. Nous prenons alors conscience que, ce soir, Ayoko Suwa a parlé avec nous un autre langage.
Joëlle W. Boisson
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