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[Effervescents] Cuve close ou méthode traditionnelle, quelles différences ?

Ci-dessus : Champagne Gaidoz-Forget, Vieillissement sur lattes.

Auteur

Yves
Tesson

Date

03.03.2021

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Seconde fermentation en bouteille ou en cuve close, il y a là un choix stratégique pour les élaborateurs d'effervescents, avec des différences de coûts importantes. Peut-on dire pour autant qu’une méthode soit supérieure à l’autre ?

Peu de gens le savent, mais les Champenois furent les premiers à imaginer le système d’une seconde fermentation en cuve close. Au milieu du XIXe siècle, Jules Edme Maumené, un chimiste rémois, avait conçu un "Aphrophore", "long cylindre argenté à l’intérieur pouvant contenir jusqu’à 32 hectolitres de vin", dont l’intérêt majeur selon l’auteur était d’éviter la casse alors très abondante dans les caves. Cette innovation ne fut cependant pas adoptée pour le champagne, toujours exclusivement élaboré avec la méthode traditionnelle (seconde fermentation en bouteille). À l’Université de Montpellier, en 1907, l’ingénieur Eugène Charmat reprend l’idée en la perfectionnant et va lui-même fonder l’une des plus importantes entreprises de production de vins effervescents en cuve close, la Compagnie française des grands vins, propriétaire des marques Charles Volner, Opéra, Muscador...

La technique connaît un certain succès parce qu’elle permet des réductions de coûts considérables : moins de main-d’œuvre, moins de surface nécessaire pour l’élaboration (pas de tables de remuage)… Le système est simple : au lieu d’ajouter la liqueur de tirage composée de sucre et de levures au moment de la mise en bouteille, on la met dans une cuve close. La seconde fermentation achevée, on procède à l’élevage sur les lies qui peuvent être remises en suspension dans la cuve. Au cours de ce vieillissement il est possible, tout comme pour les vins en méthode traditionnelle, de jouer sur une éventuelle micro-oxygénation. Simplement, au lieu de choisir des capsules plus ou moins hermétiques, on ajoute directement une certaine quantité d’oxygène dans la cuve. L’élevage est en général assez court (3 mois, exceptionnellement 9 mois). La cuve est ensuite refroidie à moins deux degrés ce qui permet de précipiter le tartre mais aussi de dissoudre davantage le gaz et d’éviter des pertes dans les opérations suivantes. Pour évacuer les levures, le vin est centrifugé et filtré, puis tiré en bouteille avec une tireuse isobarométrique (en maintenant la pression avec du CO2 exogène). Le refroidissement du vin et la filtration des levures qui peuvent interrompre d’un coup la seconde fermentation permettent au besoin de conserver du sucre résiduel comme dans le cas du Moscato d’Asti, ce qui serait impossible avec la méthode traditionnelle.

Au-delà des préjugés…
Les vins en cuve close sont souvent plus fruités, en raison de leur vieillissement sur lie plus court. Néanmoins, rien n’empêcherait en suivant cette technique de le prolonger davantage, si ce n’est l’immobilisation plus longue des cuves, un outil industriel trop coûteux pour être monopolisé plusieurs années. Des recherches ont d’ailleurs été menées pour accélérer le phénomène d’autolyse, en chauffant les vins. Les élaborateurs de vins effervescents peuvent aussi gagner en complexité en amont de la seconde fermentation, en travaillant au préalable les vins tranquilles sur lie. En réalité, ce caractère fruité des vins de cuve close tient moins des contraintes techniques que de la volonté des élaborateurs qui cherchent à obtenir ce type de profil correspondant davantage à leur clientèle. Eux-mêmes privilégient souvent des cépages très aromatiques (Muscat…)

Les défenseurs de la méthode traditionnelle mettent en avant l’intérêt d’une seconde fermentation plus lente qui dure trois mois en bouteille, contre deux semaines en cuve close, ce qui donne aux levures le temps d’élaborer certains composés. Ils soulignent la plus grande facilité pour procéder à de longs vieillissements sur lies (en Champagne trois ans en moyenne), et la surface d’échange vin/levure plus importante qui donne une belle complexité. Enfin, ils relèvent l’intérêt du remuage, une technique douce, qui fait glisser progressivement les levures vers le col, à la différence de la centrifugation plus violente pour le vin.

En réalité, dans l’élaboration des effervescents, cuve close et méthode traditionnelle ne sont qu’une étape parmi d’autres, elles ont leur importance, mais la qualité du vin qu’on place à l’intérieur de ces outils compte davantage, le terroir prime et contribue plus encore à l’identité. La preuve : si on trouve beaucoup d’effervescents bas de gamme issus de cuve close, on en trouve aussi d’excellents positionnés à des prix élevés, comme le prosecco de Valdobbiadene ou Chandon au Brésil… En ce qui concerne le champagne et la place de la méthode traditionnelle, Sylvie Collas du CIVC souligne qu’elle joue un rôle, mais que d’autres techniques spécifiques entrent en compte. "Le pressurage très particulier en Champagne avec des paliers doux et le fractionnement participent peut-être autant à la typicité du champagne. Sans parler du sol et du climat."