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Taxe Trump : l’urgence de négocier

Auteur

Lucie
de Azcarate

Date

18.07.2025

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Depuis quelques jours, toute la France a les yeux rivés sur les discussions budgétaires au sommet de l’État. À juste titre, sans doute, tant l’équation paraît difficile à résoudre. Néanmoins, tous ces calculs pourraient se révéler caducs si nos politiques ne prennent pas rapidement la mesure de l’ultimatum lancé par Donald Trump le 12 juillet dernier. S’il mettait sa menace à exécution, le 1er août prochain, les marchandises des industries stratégiques provenant de l’Union européenne seraient taxées à hauteur de 30% sur le sol américain. De quoi faire vaciller nos projections économiques, et déstabiliser des secteurs entiers de l’économie. Éclairage du point de vue de la filière vin.

Bien malin celui qui se hasarderait à faire une prédiction sur ce qui entrera en vigueur au 1er août prochain. Nous nous en gardons bien tant ce serait une gageure. En mars dernier, Donald Trump menaçait de taxer à 200% le champagne et les vins provenant de l’Union européenne. Cette déclaration fracassante s’est depuis avérée une rodomontade dont le président américain est coutumier. Avec sa nouvelle saillie sur TRUTH social, il maintient la pression. Dans les prochains jours, toute la filière des vins et spiritueux sera suspendue à la négociation qui se déroule.

Le mauvais souvenir du précédent mandat

Pour Donald Trump, 45ème et désormais 47ème président des États-Unis en exercice depuis janvier dernier, les taxes représentent des mesures de rétorsion efficaces dans les négociations. « Pour moi, « tarif douanier » sont les plus beaux mots du dictionnaire » avait-il déclaré lors d’une interview accordée à l’Economic Club of Chicago. De fait, lors de son premier mandat, les vins et spiritueux français avaient déjà fait les frais de la « taxe Trump », initiée en représailles au différend commercial opposant Boeing à Airbus. Entrée en vigueur en octobre 2019, cette taxe de 25%, qui touchait les vins et spiritueux français, avait fait perdre 500 millions d’euros à la filière vin et entraîné une chute de 40% des exportations des vins français vers les États-Unis selon les estimations de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS).

La suspension de cette taxe Trump le 6 mars 2021 avait suscité un immense soulagement pour la profession et le retour de Donald Trump, à l’issu du mandat de Joe Biden, beaucoup de craintes. Désormais fondées, ces dernières sont, cette fois, partagées avec d’ autres filières qui exportent aux États-Unis : industries pharmaceutique, automobile, aéronautique, cosmétique, luxe et gastronomie. Pour Nicolas Bougrier, directeur commercial de la Maison Bougrier dans la Loire, la Commission européenne a bien pris la mesure de la menace : « Cette fois, nous ne sommes pas isolés, comme dans la crise qui opposait Airbus à Boeing. Si nous sommes taxés, nous le serons de la même façon que tous nos concurrents européens et pour de nombreuses industries stratégiques. »

Aujourd’hui, la menace pèse certes sur l’ensemble de l’économie européenne, mais la filière viticole, échaudée par l’expérience d’une taxe à 25% durant 16 mois, appréhende avec plus d’acuité cette nouvelle taxe. Elle a d’ailleurs changé de ton. Contrairement à 2019, le département de la Côte-d’Or n’a pas envoyé de bouteilles de vin pour attendrir le locataire de la Maison Blanche…

Face à la menace qui plane

Les États-Unis représentent le premier marché à l’international des vins et spiritueux français pour un total de 3.8 milliards d’euros en 2024 (FEVS). Sur ce point, Laurent Delaunay, président du BIVB et propriétaire de la Maison Édouard Delaunay insiste : « Cette nouvelle taxe serait catastrophique pour l’ensemble de la filière vins, pas seulement pour la Bourgogne ». Lui qui représente le deuxième nom qui compose la Maison Abbotts et Delaunay, sise dans le Languedoc, précise : « À l’échelle de la France, ce serait un gâchis immense en termes de développement économique et d’emplois. »

Si l’ensemble de la profession redoute unanimement une nouvelle « taxe Trump », ses conséquences sont indexées sur la valorisation des produits. « Nos vins se situent dans la catégorie « popular premium », ils sont accessibles, dans une gamme étendue allant de 12 à 30 dollars, explique Nicolas Bougrier. Une taxe de 30% a donc moins d’impact que sur des vins ou des champagnes plus onéreux. Pour le moment donc, loin de nous détourner des États-Unis, qui représentent 15% de nos expéditions à l’export, nous redoublons nos efforts pour nous maintenir. »

Le contexte est différent pour les vins bourguignons ou les champagnes qui sont à la fois mieux valorisés et pour lesquels les États-Unis, en 2024, représentaient respectivement 24% et 27% des expéditions vers les marchés export. Ainsi, Laurent Delaunay analyse : « Si cette taxe venait à se confirmer ce serait catastrophique parce qu’au 30%, il faut ajouter 15% de dévaluation du dollar depuis quelques mois. Dans ces conditions, nos vins bourguignons finissent hors marché. »

Pourvu que ces spéculations soient fausses. D’ailleurs, David Ménival, directeur de la filière Champagne au Crédit Agricole Nord Est se garde de toute projection : « Donald Trump nous a habitué à beaucoup de menaces et presqu’autant d’atermoiements. Aujourd’hui, la difficulté de faire une projection réside dans la multiplicité des paramètres. Cette fois, la taxe ne concerne pas que les vins français. Si elle venait à entrer en vigueur, les marchés domestiques de toute l’Europe seraient saturés. Quant à l’export, il y aurait des réactions en chaine que nous ne pouvons définir qu’en contact direct avec le marché. »

Les termes de la négociation

Pour Nicolas Bougrier, le 12 juillet dernier, Donald Trump, avec la brutalité qu’on lui connaît, a ouvert la discussion et « l’Union européenne semble avoir pris la mesure de l’urgence à négocier ». Laurent Delaunay abonde dans ce sens : « Nous ne demandons pas de posture politicienne. Nous encourageons la Commission européenne à trouver de façon pragmatique une solution, une porte de sortie le plus rapidement possible parce que maintenant ce n’est plus qu’une question de jours… »

De l’autre côté de l’Atlantique, l’opinion publique n’est pas univoque. En 2023, l’OIV confortait les États-Unis à la première place du classement mondial des pays les plus consommateurs de vins en volume. La US Wine Trade Alliance interpelle ainsi le président américain dans un communiqué de presse publié le 14 juillet sur les conséquences d’une contraction de leur activité et dont la désorganisation rejaillirait mécaniquement sur la distribution des vins américains.

David Ménival rappelle avec malice que, « depuis 1790, les présidents américains boivent du champagne ». Le troisième d’entre eux, Thomas Jefferson, qui cultivait un goût pour les vins français, exerça même la profession de courtier en vins. Donald Trump ne partage sans doute pas cette sensibilité avec son lointain prédécesseur, mais l’approche des élections de mi-mandat, prévues en 2026, devraient modérer ses velléités. Il serait en effet peu opportun de priver les consommateurs américains de vins français (et européens) avant une telle échéance électorale !