Accueil Actualités La géologie a-t-elle vraiment une influence sur le goût du vin ?

La géologie a-t-elle vraiment une influence sur le goût du vin ?

Caroline Latrive et Cédric Georget dans les vignes de la Maison Deutz

(c) Leif Carlssonn Caroline Latrive et Cédric Georget dans les vignes de la Maison Deutz

Auteur

Yves
Tesson

Date

04.08.2025

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Vous vous méfiez des « terroiristes » qui vous bassinent avec l’influence de la géologie sur les caractéristiques du vin et vous affirment sentir en milieu de bouche la craie du campanien, mais plutôt de la fin de la période… Le nouveau coffret de la Maison Deutz à Aÿ, « Hommage à William Deutz » qui réunit deux cuvées parcellaires vous démontrera que vous avez tort ! On a parfois besoin de boire pour croire. Là s’arrête la comparaison avec Saint-Thomas, car une fois cette expérience réalisée, on ne saurait dire : « heureux celui qui croit sans avoir bu ».

Tout devrait rapprocher les deux cuvées parcellaires présentées par la Maison Deutz : nous sommes sur le même cépage (pinot noir), le même millésime (2018), la même date de dégorgement et la même méthode de vinification, 100 % inox et fermentation malolactique faite. Alors que seulement 100 mètres séparent à Aÿ les deux parcelles, sur « Meurtet », l’expression est plus droite, le fruit plus croquant, avec des notes de groseille et de framboise, alors que sur « La Côte Glacière », le fruit est plus noir, on se rapproche de la mûre avec une touche de réglisse.

Ce que nous apprend l'examen du sol

Des fosses géologiques nous révèlent que sur « Meurtet », qui se situe en milieu de coteau, le sous-sol de craie est très friable ce qui permet aux racines d’y pénétrer facilement et d’alimenter la vigne en eau pendant les périodes de stress hydrique. D’où l’élégance du vin qui ne tombe pas dans une richesse excessive malgré l’épaisseur du sol avant d’atteindre la craie (1 m 40). Elle est renforcée par une exposition à l’Est moins solaire que celle de « La Côte Glacière ». Juste avant la craie, on trouve aussi un tapis de silex, perceptible en bouche à travers cette note de pierre à fusil.

Quant à « La Côte Glacière », qui se situe en bas de coteaux, juste au-dessus des caves, la couche de sol se révèle plus mince tandis que le sous-sol crayeux forme un bloc compact dans laquelle les racines peinent à percer. L’exposition plein sud et l’âge plus avancé des ceps (on est sur une sélection massale plantée dans les années 1960), amènent une forte concentration, mais elle reste équilibrée par la salinité en fin de bouche que ramène le sous-sol crayeux. (100,56 €/cuvée)

Dans les deux cas, on se régale. Il est vrai que, comme nous le rappelle Marc Hoellinger, le président de la Maison, nous sommes ici dans le saint des saints de l'appellation. « Saviez-vous qu’en vieux Français, Avenay signifie avant Aÿ, et Epernay, après Aÿ ? Lorsque l’on parle de cœur de la Champagne vigneronne, on a quand même une certaine légitimité, et il serait bien dommage de ne pas en être fier ! »

Une Maison ouverte à l'innovation

Lorsqu'on interroge Caroline Latrive, la cheffe de caves, sur les évolutions possibles des méthodes de vinification au sein de la Maison Deutz, elle se montre très ouverte. « Pour l’instant, je prends mes marques, mais nous ne nous interdisons pas d’explorer certaines méthodes, et de sortir peut-être parfois à l’avenir du 100 % malo et du 100 % inox. En revanche, je ne suis pas dans la recherche d’exubérance d’arômes. Dans la cuvée Meurtet, j’aime cette élégance incroyable. Peut-être que La Glacière pourrait être intéressante à vinifier en fût ou dans d’autres supports. Sur le blocage de la fermentation malolactique, j’ouvre mes chakras. En fonction du profil des raisins, si c’est bien mûr, on pourrait l’envisager. Cependant, j’ai toujours trouvé que faire la fermentation malolactique, même si on est parfois un peu frustré de ne pas pouvoir garder la tension, était très intéressant du point de vue de l'expression des vins. Je trouve que le sans malo a parfois un caractère un peu monolithique et qu’il réduit l’éventail d’arômes dont on peut disposer en la faisant. » Caroline souligne d’ailleurs que la Champagne a toujours été dans l’adaptation. « Prenez le brut sans année, pendant longtemps les Champenois appliquaient la règle des trois tiers pour les cépages. Cela a changé, de même que les pourcentages de vins de réserve. Rien n’est écrit dans le marbre, on part d’une feuille blanche chaque année ! C'est l’expression de la cuvée qui prime avant tout ! »

Vue depuis La Côte Glacière sur le village d'Aÿ, D.R.