Jeudi 18 Décembre 2025
©Aurélio Rodriguez
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Date
18.12.2025
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Au domaine de Lorient, surplombant la rive droite du Rhône, la jeune vigneronne-œnologue Laure Colombo a renoué avec la polyculture pour mieux promouvoir le terroir, sans oublier de valoriser les vins de Cornas et Saint-Péray
Laure Colombo s’inscrit dans cette lignée de vignerons visionnaires qui ont su révéler la force des terroirs de la vallée du Rhône septentrionale. Dès 2010, la fille d’Anne et Jean-Luc Colombo prend en main la vinification familiale, affirmant ses talents d’œnologue. Avec la syrah comme langue maternelle, elle cisèle des cornas précis et profonds, tout en ouvrant de nouveaux horizons. Elle choisit alors de s’ancrer à Saint-Péray, convaincue que ce terroir de blancs en marsanne-roussanne mérite qu’on exploite davantage son potentiel : « J'aimerais faire renaître l’appellation comme mes parents ont redonné du souffle à Cornas. » La jeune femme se passionne pour ces deux AOC qui l’ont vu grandir. Au sud du 45e parallèle, à la limite de l’influence méditerranéenne, elles donnent aux vins et aux paysages des accents provençaux avec un zeste de fraîcheur apportée par l’altitude. La connaissance intime de ce terroir permet à Laure de travailler des cuvées au caractère affirmé et identitaire. Mais, la pétillante œnologue n’est pas seulement une technicienne du vin. Revenue en 2014 après des études de commerce et des voyages de New York à New Delhi, elle s’installe avec son compagnon Dimitri Roulleau-Gallais dans une ferme ardéchoise délabrée, perchée sur les hauteurs de Saint-Péray. L’endroit, à flanc de coteaux, perdu au bout d’un chemin de terre, est enchanteur avec sa vue panoramique sur le Rhône mais aussi une véritable gageure. Tout est à défricher et à planter. Plus qu'un projet, voire un défi, elle y met en œuvre une vision : transformer ce lieu en une ferme vigneronne où la vigne dialogue avec d’autres cultures, arboricoles et maraîchères, et où l’on cultive autant la terre que l’esprit. Le domaine de Lorient est baptisé du nom du lieu-dit, exposé au soleil levant. Un clin d’œil également aux origines grecques de Dimitri.
Sur cette mosaïque de parcelles de 18 hectares s’étirant jusqu’à 500 mètres d’altitude, la polyculture est reine et la biodiversité une évidence. Lorient est d'ailleurs labellisé « Observatoire de la biodiversité agricole ». Tout est travaillé en bio. Y cohabitent vaches, poules, abeilles, chien, chats… et les deux enfants du couple (les brebis ont été récemment abandonnées). Des nichoirs à mésanges, des abris pour chauves-souris et des « hôtels » à abeilles sauvages enrichissent l’écosystème. Tout devient matière à expérimentation dans ce paysage pastoral. On y teste agroforesterie, permaculture, agriculture régénérative, haies sèches… La vigne sur cinq hectares profite des engrais verts et des plantes mellifères, du voisinage des châtaigniers centenaires, des pommiers anciens produisant jus et cidres, des oliviers pour l’huile, du potager luxuriant : chaque élément a sa place dans un cercle vertueux. Certaines parcelles sont travaillées au cheval, d’autres laissées en flore spontanée. Pois, tomates, salades et courgettes s’invitent entre les ceps. Laure transforme sans répit sa ferme en un laboratoire grandeur nature, modèle de diversité et de résilience.
« Notre philosophie est de produire ce que l’on mange et de quoi accueillir des invités à notre table d’hôtes. » La dimension gastronomique prolonge naturellement ce travail. L’amour des bons produits court dans la famille – la grand-mère de Laure tenait un restaurant à Marseille. Le domaine de Lorient est avant tout un lieu de convivialité. Chefs et vignerons viennent régulièrement emprunter les cuisines de la maison de pierre aux volets rouges, inventant des accords éphémères avec les vins de Lorient. « Nous passons beaucoup de temps à travailler le potager et à s’échiner sur ses sols granitiques, mais nous tenons aussi à accueillir des amis qui cuisinent ici pour accompagner nos vins et les faire partager. » Ainsi, le domaine devient un carrefour de terroirs et de saveurs, mais aussi de cultures, des artistes animant régulièrement des ateliers et des spectacles. L’accueil de woofers (bénévoles hébergés sur place, NDLR) s’inscrit dans cette philosophie, « pour faire découvrir notre métier et prendre le temps de vrais échanges. Avec eux, on apprend à bâtir un muret en pierres sèches, à planter un arbre, à monter une haie pour les moutons. » Le geste agricole devient acte de transmission. De ce projet foisonnant naissent surtout des cuvées de saint-péray, saint-joseph et cornas. Syrahs, marsannes et roussannes vendangées à la main portent l’empreinte de la rigueur, donnant naissance à des rouges denses et vibrants et des blancs tendus et subtils, tous élevés avec amour et passion.
Un assemblage 70 % roussanne et 30 % marsanne, à contresens des saint-péray classiques, plus souvent majoritaires sur la marsanne. Il est vinifié en levures indigènes et élevé en fût de 228 et 400 litres. Savoureux et équilibré, il danse sur les fleurs blanches, les fruits du verger, les agrumes ponctués d'une note de bergamote et de foin séché, s'étirant en fraîcheur vers une finale sapide. À déguster avec un feuilleté aux courgettes et fromage de chèvre frais ou une truite au beurre blanc.
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