Accueil Cali, parrain du Tour des Cartes 2022

Auteur

Mathilde
Médeville

Date

25.01.2022

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Parrain de la sixième édition du Tour des Cartes qui se verra dévoiler ses lauréats ce lundi 31 janvier au soir, Cali est un amoureux du vin. Il avait reçu Terre de Vins pour notre magazine de septembre, octobre 2020. Retrouvez la liste des 100 finalistes, répartis en 6 catégories en cliquant sur ce lien.

Cali, Bruno Caliciuri pour l’état civil, père de quatre enfants, auteur-compositeur-interprète, nous a reçus sur ses terres catalanes, à Perpignan, où il est né et a grandi. Petit-fils, côté père, d’un Italien de Calabre enrôlé dans les Brigades internationales, et fils de Vincent, qui se réfugia en France après la défaite des républicains face à Franco ; petits fils, côté mère, d’un communiste et Catalan, Cali s’est construit autour de ses racines politiques, sociales et culturelles qu’il revendique. Engagé, il l’est aussi dans ses actions solidaires, comme au service de ses passions, le rugby et le vin. Avec lui, c’est le vin des copains et de la fraternité qui coule sur les tables, le vin de l’ivresse créatrice, le vin des émotions que l’on découvre sans retenue car « tu peux mourir demain »… Entretien confidence à l’ombre d’une terrasse catalane.

Propos recueillis par Mathilde Médeville et Rodolphe Wartel

Dans ton parcours, les racines sont là, présentes partout. Elles jalonnent ta vie d’homme…

Mon père nous a laissé une lettre à tous, pour expliquer le pourquoi de sa vie et pour honorer son père qui était un héros. J’ai écrit des chansons sur ce sujet. C’est très émouvants car des gens qui viennent dans mes concerts sont allés jusqu’à faire des recherches. Certains sont allés jusqu'à trouver des archives en Russie… Il y a un an, j’ai notamment reçu un document : il s’agissait d’une lettre de mon grand-père qui supplie les autorités en place de donner du lait et de la soupe au petit garçon qui se trouve dans un camp de Mende et vient d’arriver d’Espagne. Le petit garçon c’était mon papa.  En janvier 1939, mon père avait six mois. Il a passé la frontière dans une brouette.

Toute ta révolte vient de là ?

Oui, cela vient de là. C’est le côté paternel.  Du côté de ma mère, mon grand-père était communiste à fond. J’ai le souvenir de mon grand-père qui se battait, avec ses poings ! Mon père, quant à lui, c’était plutôt Lino Ventura. Je l’ai vu pleurer deux fois : la première quand il a déchiré sa carte du parti socialiste. La deuxième, c’est en écoutant Léo Ferré. Je me suis dit « Qui est cet homme qui fait pleurer mon père » ? J’ai voulu connaître Ferré. J’ai chanté Ferré. La famille Ferré vit en Toscane. Ils ont une vigne dont s’occupe le fils de Léo, Mathieu. Je suis très lié à eux…

Et le vin dans tout ça ?

J’ai été fasciné grâce à un garçon qui est venu dans mon village. On dégustait ensemble et il découpait la France en quatre, il découpait, il découpait... Et à dix kilomètres près, il te trouvait le vin. Alec, mon ami d’enfance, est également parti faire des études d’œnologie et d’hôtellerie. Cela m’a fasciné. Un soir, on va voir le concert des Stranglers à l’Olympia puis on va prendre un verre dans un bar à vin. Il commande deux champagnes. Le garçon nous sert. Alec goûte son champagne puis il goûte le mien et il dit au serveur « Ce champagne-là, ce n’est pas celui qu’on a commandé. » Le serveur avait voulu nous embrouiller mais Alec l’avait démasqué. J’étais très fier.

Tu dégustes beaucoup ?

La garde des vins me passionne. J’ai pu récemment boire un vin de 1875 en Rivesaltes. Quand tu le mets dans la bouche, tu te dis, à cette époque-là, les gens ont foulé du raisin, l’ont mis dans le tonneau. Cela a traversé les guerres. Cela m’a bouleversé. Ma phrase, c’est « On meurt demain. » Je dis toujours ça aux amis qui veulent aller se coucher, donc on ne va jamais se coucher.

Tu viens de te produire en concert chez Gérard Bertrand, au festival de jazz de l’Hospitalet. Alors ?

J’ai ressenti quelque chose d’évident : le public a besoin de concerts. Ils étaient comme des fous ! La musique est vitale. Nous avons besoin de communion. J’étais déjà allé chez Gérard Bertrand déguster avec Stéphane Queralt, œnologue.  Ce qui m’avait plu, c’est que dans ses caves il possède des échantillons de terre et de pierres. Il te dit « Ces vins, ils viennent de là. » Il te demande sucer la pierre… J’avais vécu ça avec l’assembleur de château Pommard. En 2013, je voulais une bouteille de Pommard de 2012 pour la naissance de ma fille. Le soir, il m’a composé un assemblage en direct, un numéro 0 du 2012 et il m’a signé la bouteille, comme une rock-star !

©E. Perrin

Les vins que tu aimes, quels sont-ils ? Blanc, rosé, rouge ? De ta région, d’ailleurs ?

Mon palais n’a pas de mémoire. Je suis fasciné par les vins que je peux reconnaître, me dire « Tiens c’est un ami qui revient me voir. » Un Pommard, je sais que je reconnaîtrai. Pour mon palais, c’est un ami. Le Mirmanda de François-Xavier Demaison, c’est la même chose. Quelque chose me touche dans cette approche-là. J’aime plein d choses, j’aime les vins du Roussillon, Gauby, la Rectorie mais aussi les autres. Nous avons des vins incroyables comme L’Hommage aux vignerons de Tautavel, par Gérard Bertrand. C’est le sang qui coule. J’aime aussi mettre une fraise dans un verre de champagne. J’aime mettre une grappe de muscat au congélateur puis la mettre dans un verre de muscat de Rivesaltes que j’ai mis au frais. C’est une recette d’apéro qui ne coûte rien et elle est merveilleuse.

As-tu organisé une cave ? Tu as acheté une Eurocave ?

Oui, mais j’ai demandé à Stéphane Queralt de m’aider. Il a dit « Ça il faut balancer, ça il faut garder. » On m’a offert beaucoup de vin. J’ai acheté une cave tempérée. Quand Stéphane est venu, je lui ai demandé de prendre trois bouteilles dont une de Cheval blanc que j’avais. Il m’a dit « Je ne peux pas. » Je lui ai dit « On meurt demain. » Alors on a pris un Cheval blanc et deux pommards…

Ta première gorgée de vin ?

J’avais monté un groupe de gamins qui s’appelait Pénétration anale. On est rebelle jusqu’au bout ! Un jour, le batteur, Alec, est revenu avec du vin de cuisine, un rosé qui s’appelait Le Bienvenu. C’était horrible. Cela coûtait deux francs la bouteille…

Côté accords mets et vins ?

Mon plat préféré c’est la cargolade. C’est un plat de fraternité. Tu mets une grille d’escargots avec de l’aïoli, avec le village autour. Ce sont mes souvenirs de gamin. Là, il faut un rouge assez frais. Tu meurs demain ! Il faut également manger des huîtres des frères Besson. Elles sont élevées dans les Cornouailles, puis en Vendée. Là-dessus, tu me mets un grand blanc, celui que tu veux, c’est une folie furieuse.

Avec quels potes de scène bois-tu du vin ?

Je déguste avec mon pianiste, il s’appelle Augustin Charnet. Il est amateur de vin. Son père, Yves Charnet, est un philosophe et un poète. Il était un ami de Nougaro.

Quand on est rock, qu’on a flirté avec le metal et le punk, le vin traduit-il une forme de maturité et de sagesse ?

Si je suis plus sage ? Pas sûr… En amour, en musique, en vin… Il faut engranger toute cette expérience et tout ce parcours. On a chacun notre horloge. Je me sens meilleur en vieillissant. J’ai plus de recul. Je ressens aussi la fragilité de la vie, le prix de la vie.

Dans « Putain de vie », tu dis « on va se saouler… » , comme si le vin pouvait être aussi le vin des excès ? Dans notre société hygiéniste, tu assumes ?

Si tu es avec des amis et que tu bois un grand vin, la nuit ne finit jamais. Tu es ivre de tout, d’alcool mais aussi de bonheur et de joie. Tu sens les coups de brûlure, les coups de sagaies dans les veines. En tournée, on part en bus à deux étages. À la fin du concert, tu as pris tellement d’émotion et pris tellement d’amour que tu ne peux pas aller te coucher. Tu ne peux pas dormir avant 6 heures du mat’, quand tu es merveilleusement ivre. Dans ce bus, on débouche de bons vins qu’on apporte et qu’on fait goûter aux autres. J’avais une ambition, c’était d’emmener des amis dans cet autobus et de faire le tour de France des vins

Quelle est ta relation aux cavistes et aux sommeliers ?

Quand je vais chez un caviste, je lui dis « Donne-moi tes trois vins de la semaine. » Quant aux sommeliers, j’en rencontre beaucoup en tournée. L‘un d’eux m’a dit un jour « Vous allez entendre le murmure de la pêche. » J’ai trouvé ça merveilleux. Là, tu as envie de goûter…

Ta grande passion est le rugby à XV. Tu l’as pratiqué à Vernet-les-Bains et à Prades. Quelles similitudes trouves-tu entre vin et rugby ?

Au rugby tu te fais mal pour que le copain ait moins mal. Cela m’a toujours bouleversé. Franck Azema est mon ami. J’ai fait des photos avec Romeu, j’étais comme un gamin. Avant-hier, chez Gérard Bertrand, j’ai fait monter Cordoniou sur scène. On a refait la passe de 1981 et il a marqué l’essai ! Au foot, les clubs sont séparés par des CRS. Au rugby, tout le monde peut s’engueuler et encore boire l’apéro après le match. Le trait d’union, c’est la fraternité.

Tu es un gamin de Prades, où tu as joué au rugby. Un village dont le maire est Jean Castex. Ton regard sur notre nouveau Premier ministre, toi homme engagé à gauche ?

On a gagné un très bon Premier ministre. En sous-marin, il a aidé de nombreuses familles et beaucoup de gens en détresse dans notre vallée. La ville de Prades va beaucoup le regretter. Au lendemain de sa nomination, je lui ai envoyé un SMS et lui ai dit « Tu es l’homme de la situation ». Là, on met un pompier au milieu des flammes, mais j’ai l’impression que ça a l’air de pas mal se passer…

Tu es engagé pour l’environnement. Cela signifie-t-il vins bio ?

Oui et c’est un sujet car ma compagne peut avoir des maux de tête en buvant du vin. Cela la concerne. Le bio en général, cela fait partie du processus de survie de la planète. L’inquiétude se généralise grâce aux jeunes. Évidemment, je défends l’écologie. Le monde est en train de s’écrouler. J’en ai réellement pris conscience.

Parmi tous tes titres célèbres, on connaît « C’est quand le bonheur ». Le vin, c’est le bonheur ?

Oui, mais encore une fois, ce qui est intéressant avec le bonheur c’est de ne pas le toucher. Tu reviendras la prochaine fois pour le toucher. Tu n’es jamais au bout de quelque chose. Tu peux crier tout ton amour en disant « Je vois l’absolu » mais tu pourras encore aller plus haut… Avec le vin c’est la même chose…

Ta dernière gorgée de vin ? Avec qui la boiras-tu ?

Mon ami Steve Wickham, le violoniste de Waterboys, habite en Irlande. Un jour, il m’a emmené dans un endroit, à Sligo, où tu dois frapper trois fois à la porte à la bougie, ils t’emmènent au bout d’un couloir et ils te servent du vin chaud. Au moment de l’oppression, ils se retrouvaient là. Pour ma dernière gorgée de vin, je veux donc me retrouver là et j’aimerais y emmener des amis. J’emmènerai François-Xavier Demaison, je convoquerai Patti Smith, Keith Richards (à qui je dirai « Arrête de boire du Jack Daniel’s »), Tom Waits, Nike Cave, Springsteen… Comme tout est possible, je ferai revenir David Bowie, et avec Léo Ferré tout nu qui danserai avec Mick Jagger, on lèvera un verre de vin à la vie.