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Cap de Blaye Espérance

Auteur

La
rédaction

Date

28.11.2012

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Ils sont blonds, costauds, les yeux clairs et ne parlent que quelques mots de français. Une famille de Sud-Africains vient d’acheter un domaine à Berson, en appellation Blaye-Côtes-de-Bordeaux. Dans leur maison, posée sur un vieux meuble patiné, un tableau. Un voilier en attente d’un coin de mur…

Johannes Jonck, un nom qui claque comme un étendard, celui du trois-mâts quittant la Hollande pour accoster en 1651 au cap de Bonne Espérance. A son bord, un jeune homme intrépide, sans doute le regard bleui par le sel. L’histoire aurait pu s’arrêter là et raconter une vie de pionnier qui aurait fait fortune en Afrique du Sud. Une vie de fermier dans un théâtre de pierre et de soleil ceint d’interminables clôtures de barbelés. Trois siècles et demi plus tard, changement de cap… L’odyssée a l’évidence d’un destin malicieux qui cligne de l’œil vers leurs racines. Heureux qui comme Ulysse…

Son descendant, Johan Jonck, propriétaire terrien, actionnaire d’un vignoble dans la vallée de Tulbagh, homme d’affaire, quitte son pays, ses inégalités sociales, son insécurité croissante et sillonne l’Europe. Johan caresse le rêve de fonder une dynastie en terre de vin. « C’est le rêve de tout homme d’être libre », annonce t-il, porté par la foi. Ils choisissent la France, « pour sa stabilité économique et politique, le charme de ses villages, un certain art de vivre ». Le mythe du vignoble bordelais répond à leur désir enfoui d’un monde instruit de traditions séculaires. Ils cherchent une terre en devenir, une promesse de vin exceptionnel qui sente un jour la cerise et la fraise écrasée. En deux mois, ils visitent 40 châteaux, tentent de comprendre l’organisation des appellations, dégustent à n’en plus finir. Rapidement, ils se forgent un goût, considèrent les appellations prestigieuses comme surévaluées et s’orientent vers des ceps aux bois dormant, une belle parcelle à réveiller. Ils amarrent en janvier 2011, entre une douce colline ronde et une ligne d’horizon vierge, ouverte sur 30 hectares de vignes à quelques encablures de Blaye. Château l’Espérance, avec un voilier pour étiquette !

Les dynasties commencent souvent par de jolies légendes. Le climat est doux, la réglementation moins. Les voisins prêtent main forte, jouent les interprètes. Chaque fils trouve sa place : Johan junior à l’export, Daniel aux finances et Henke à la vigne. La famille Jonck rationalise vite son rêve et s’entoure d’un œnologue en vogue, Olivier Dauga. En point de mire : augmenter la qualité d’un vin jusque-là en sommeil. Pour leurs premières vendanges, ils ramassent la nuit, achètent une table de tri, 23 cuves inox de 60 hectolitres pour des vinifications parcellaires, des barriques françaises et américaines et restructurent le chai. Coût de l’investissement: 4 millions d’euros et une farouche volonté d’écrire en lettres majuscules les plus belles heures du Château l’Espérance. Comme tous les pionniers qui se rêvent missionnaires.

Leur première cuvée (9 euros), que l’on peut trouver à la cave du Syndicat, rappelle les odeurs tendres comme la cuisine des grand-mères un jour de confiture. Cassis, fraise, cerise, l’idéal de leur quête. Un vrai style se révèle : la tête dans les fruits, l’ossature dans la finesse et l’équilibre pour racine. La famille Jonck croit aux méthodes de lutte raisonnée. Leurs vignes seront émaillées de foin au printemps, histoire de purifier les sols. Dans leur longue-vue, ils regardent l’avenir sereinement et imaginent déjà de jeunes descendants pour reprendre l’étendard. A n’en pas douter, le trois mâts ne va pas tarder à trouver sa place au mur.

Par Bénédicte Chapard, photo Nicolas Tucat.
Cet article est extrait du numéro 16 de « Terre de Vins » (mars-avril 2012)

Château l’Espérance – Famille Jonck
2, l’Espérance, 33390 Berson
05 57 43 41 92