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Cheval des Andes : la « Team Lurton » reprend les rênes

De gauche à droite : Lorenzo Pasquini, Pierre Lurton, Pierre-Olivier Clouet.

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

24.10.2016

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« Joint-venture » née en 1999 de l’association entre le château Cheval Blanc (1er Grand Cru Classé A de Saint-Emilion) et Terrazas de los Andes (propriété argentine du groupe LVMH), « Cheval des Andes » affiche aujourd’hui une ambition nouvelle, portée par son Président-directeur général Pierre Lurton et son équipe.

Dans l’écurie LVMH, demandez le cheval… argentin. Au pays des gauchos et du polo roi, les beaux destriers ont toujours eu la cote. Rien d’étonnant dans ce cas, à ce que le plus célèbre « pur sang » du vignoble bordelais, le château Cheval Blanc (1er Grand Cru Classé A de Saint-Emilion, co-propriété de Bernard Arnault et Albert Frère), se soit associé en 1999 avec le domaine argentin Terrazas de los Andes (propriété du groupe LVMH) pour créer de toutes pièces un vignoble baptisé « Cheval des Andes » – ce dernier, comme Terrazas, fait partie de la collection « Estates & Wines », la division vins de Moët Hennessy. C’est Pierre Lurton, le directeur de Cheval Blanc et du château d’Yquem, qui a présidé à la naissance de « Cheval des Andes », au côté de l’œnologue Roberto De La Mota.

Trouver ses marques

Le cycle de croissance d’un vignoble étant plus long – et parfois plus chaotique – que celui d’un équidé, il aura fallu plus de quinze ans pour que ce Cheval des Andes entre en phase de maturité. Autrement dit : désireux d’aligner davantage les vins avec le style et l’esprit Cheval Blanc, c’est tout récemment que Pierre Lurton a décidé de reprendre la main sur son « bébé argentin » avec ses équipes bordelaises – à commencer par Pierre-Olivier Clouet, directeur technique de Cheval Blanc. Ce dernier raconte : « de 1999 au début des années 2010, on s’est d’abord efforcé de comprendre nos terroirs, de trouver nos marques dans un pays où les habitudes viti-vinicoles sont sensiblement différentes des pratiques européennes. On s’appuyait sur les équipes techniques de Terrazas, on avait des apports de raisins venus de l’extérieur… Clairement, il nous a fallu dix ans pour savoir où on voulait aller, quel profil on voulait donner à nos vins, quelle impulsion donner à nos équipes. Pierre Lurton a dressé le bilan : il nous fallait une meilleure approche de la maturité, un contrôle plus ferme des pratiques œnologiques, et surtout avoir une logique de cru. Plus de correction de vendange, le raisin entre comme il est ».

Pas facile à mettre en place dans une région de Mendoza connue comme l’une des plus sèches du monde (200 mm de pluie en moyenne), et où l’irrigation est une pratique ancestrale, qui selon les propriétés, permet toutes sortes d’excès. Pour replacer l’église au centre du village et recoller à « l’esprit Cheval Blanc » (donner la priorité à la complexité sur la puissance), Pierre Lurton et Pierre-Olivier Clouet ont fait confiance à Lorenzo Pasquini. Ce jeune technicien italien passé notamment par la galaxie Mondavi en Californie et par Château Palmer à Margaux, est arrivé en 2014 pour accélérer le renouveau de Cheval des Andes : « mon rôle ici est de chercher l’équilibre aromatique, d’avoir des tanins mûrs, une acidité naturelle, de travailler l’unité de chaque parcelle, en remettant à plat toutes les pratiques à la vigne comme au chai », explique-t-il.

L’irrigation, le nerf de la guerre

Le vignoble de Cheval des Andes s’étend sur 50 hectares (44 actuellement en production, 60 000 bouteilles en moyenne) répartis sur deux zones : Las Compuertas (32 ha), terroir argentin « historique » où s’épanouissent en particulier de vieux malbecs de 1929 – le malbec constitue 70% de l’encépagement de Cheval des Andes ; arrivé d’Europe dans les années 1850, il est, faut-il le rappeler, le cépage emblématique du vignoble argentin, où il décline un caractère bien différent de ce qu’il exprime à Cahors ou Bordeaux – et La Consulta (12 ha), terroir plus « tendance » et très chaud.

C’est en particulier ici que se pose la question épineuse de l’irrigation. Pour Pierre-Olivier Clouet, « plus encore qu’au chai, c’est à la vigne qu’il fallait se remettre en question sur la bonne marche à suivre pour produire un grand vin. L’irrigation est un point stratégique. Elle est pratiquée dans la région depuis les Incas, tous les locaux qui travaillent à la vigne la considèrent comme normale… Or, la qualité d’un sol est liée à la façon dont il va gérer l’eau. Irriguer, c’est déjà toucher au terroir. La difficulté pour nous est d’avoir la bonne expression du terroir tout en irrigant, en donnant à la vigne l’eau dont elle a besoin tout en maîtrisant sa vigueur, afin de ne pas avoir des raisins « crus-cuits ». C’est tout un nouveau process à remettre en place, des habitudes à bousculer, et avec Lorenzo nous nous y employons, avec les conseils avisés de Xavier Choné, qui collabore notamment avec Opus One en Californie ».

Réflexions à tous les étages

Le cabernet sauvignon, qui est l’autre cépage majeur de Cheval des Andes après le malbec (cabernet franc, petit verdot et merlot jouent les figurants de luxe), a particulièrement besoin de stress hydrique pour s’exprimer au mieux. Les stratégies sont donc différentes selon les cépages. Si l’irrigation à la raie, technique ancestrale qui apporte beaucoup d’eau en un temps très court (comme une pluie) est adaptée au malbec, les équipes ont construit un système de goutte-à-goutte pour les cabernets, afin d’avoir plus de précision et d’homogénéité. « Aujourd’hui, nous avons des échanges continus entre Bordeaux et Mendoza », souligne Lorenzo Pasquini. « Nos réflexions portent aussi bien sur le matériel végétal (planter plus de cabernet à La Consulta, par exemple) que sur la meilleure expressions des parcelles, la lutte contre le botrytis, la fraîcheur aromatique, et bien sûr la capacité des vins à vieillir avec grâce. Nous voulons, comme à Cheval Blanc, faire des vins qui s’inscrivent dans le temps. Et, à l’heure où l’Argentine va de plus en plus vers une direction très morcelée, à la bourguignonne, défendre notre logique de cru, avec une grande cuvée issue de l’assemblage de plusieurs cépages et terroirs ».

Avec un projet de chai dont les travaux devraient commencer au printemps prochain, pour être opérationnel lors des vendanges 2018, Cheval des Andes revendique l’âge de la maturité. Mais c’est bien dans la bouteille – et dans le verre – que se fera le verdict pour cette marque qui, à 60-70 € la bouteille, est l’une des plus luxueuses d’Amérique du Sud.

Dégustation

Une dégustation verticale de 2009 à 2014 permet d’appréhender la direction que la « Team Lurton » souhaite donner aux vins de Cheval des Andes.
2009, presque stéréotypé dans son style Nouveau Monde (bombe de fruits confiturés, fraise, figue, pruneau), touche cacaotée, grosse concentration…
2010, très fruit noir, mûre, cassis, réglisse, un côté rustique dans les tanins (proportion importante de petit verdot).
2011, plus suave et digeste. Du poivre, des épices. On perd en concentration et en amplitude, mais le jus reste encore très fruit noir, intense.
2012, première bascule dans le style, davantage de délicatesse. La bouche est soyeuse, pommadée, dominée par les fruits rouges juteux, la violette, même si l’élevage est encore bien présent.
2013, millésime gourmand, on revient sur la concentration, les épices, mais le style se fond, c’est plus suave et moins opulent.
2014, millésime humide et difficile, grosse dominante de malbec (83%) dans l’assemblage. Un jus droit et net, avec des notes légèrement fumées derrière le cassis juteux. Salivant, porté par de jolis amers en finale, c’est avec 2012, le moins « show off » des millésimes dégustés.

La dégustation d’échantillons du millésime 2016 (les vendanges ayant eu lieu du 23 mars au 28 avril) nous a permis notamment de comparer les expressions du malbec sur quatre parcelles différentes, à Las Compuertas et La Consulta. Le profil des vieux malbecs de 1929 s’avère particulièrement intéressant, avec une belle trame acide.