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Christophe Bousquet, l’anti-star de La Clape

(photo Emmanuel Perrin)

Auteur

La
rédaction

Date

29.11.2012

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La cuvée Epervier 2007 du Château Pech-Redon a été classée seconde de notre palmarès des meilleurs vins rouges du sud. Christophe Bousquet, sur sa presqu’île audoise, La Clape, cisèle des vins remarquables, en toute discrétion.

Chemin de la couleuvre. L’adresse est peu engageante. A dix minutes de la sortie d’autoroute Narbonne-est, la route de Gruissan laisse s’échapper un petit ruban d’asphalte qui n’indique rien d’autre que le fameux chemin et prend tout de suite un dénivelé pour cycliste chevronné. Exit la plaine, ça grimpe sévère. Et puis ça tourne, du lacet, de l’épingle à cheveux en veux tu en voilà, les pins se font rares, les falaises et les précipices s’affirment, bienvenue dans La Clape. Pas une maison sur les cinq kilomètres qui séparent le domaine de Pech Redon de la route en contrebas, pas un panneau indicatif non plus jusqu’aux deux colonnes de pierre, perdues dans la garrigue, sans portail, sans plus de clôture, elles marquent l’entrée du vignoble de façon un peu incongrue. La couleuvre a du renoncer et on la comprend, les vignes, elles, se lovent entre trois falaises, délimitant autant de vallons, et continuent de grimper doucement pour atteindre le sommet du massif.

Deux cent mètres plus bas, la Méditerranée dessine un horizon parfait et spectaculaire. « Ce qui m’a plu la première fois que je suis arrivé ici, c’est cette cassure entre la plaine narbonnaise, ses roseaux, ses rizières et cet univers de pierres et de garrigue, ces éperons rocheux qui encerclent le site, et puis les vignes étaient déjà belles. Le propriétaire d’alors était un visionnaire, un grand homme du négoce, l’un des fondateurs du Val d’Orbieu, monsieur Demolombe. Il avait planté des syrah, mourvèdre, grenache et cinsault. Il était très malade et parlait à l’aide d’une machine, il m’avait dit c’est un terroir difficile, mais c’est un grand terroir ». De fait, ce vignoble là cumule deux caractères uniques : c’est le plus littoral et le plus sec du Languedoc, on qualifie même son climat de semi-désertique, il reçoit moins de 500 millimètres d’eau par an, soit la moitié de la ration régionale. Là dessus souffle le Cers, un vigoureux déboulant du Nord, il permet à La Clape de décrocher le record d’ensoleillement du Languedoc. On comprend qu’ici les entrées maritimes sont précieuses et déssoiffent toute la flore, vignes comprises.

Le jeune vigneron le savait-il, à peine sorti de ses études, en 1988, lorsqu’il tente l’aventure ? « Je suis né et j’ai grandi à Jonquières, dans la même rue qu’Olivier Jullien (du célèbre Mas languedocien éponyme, Ndlr) mon meilleur ami, mon père était viticulteur et même plus, quarante années d’engagement dans diverses structures syndicales. J’aime la vigne et j’ai grandi dedans, elle est omniprésente dans ma vie depuis ma naissance. Tout simplement il n’y avait pas de parcelles à vendre chez nous et ici, complètement isolés, 45 hectares dont dix d’un seul tenant ».

C’est comme ça que Christophe Bousquet est devenu l’ermite de La Clape, puis le président du syndicat de cru regroupant les 38 propriétés de ce promontoire relié au continent par la folie romaine des grands travaux, asséchant ici un bras de fleuve entier. Lui a creusé le sol, l’histoire, pour comprendre. « Le terroir est unique, le sol vient de l’érosion des falaises et repose sur une énorme couche d’argile qui nous sauve de la sécheresse. » Le succès vient vite et les deux tiers des bouteilles s’exportent, mais pas question de devenir autre chose qu’un artisan-viticulteur. « Avec tant de vignes, je me suis vu changer de métier et courir les ventes, ça ne me convenait pas du tout. Très vite j’ai voulu me rapprocher de plus de nature, j’ai refait du paysage : des petites parcelles avec des haies, les clairières, des arbres. En plein parc naturel, la chimie ce n’était pas cohérent non plus ». La trentaine d’hectares rescapée passe vite en agriculture biologique, exprimant au mieux toute la typicité du cru « des vins un peu salins, rappelant la résine de pins, l’ambre, les essences de garrigue, le thym, le romarin, la ronce ; avec un style de tanins un peu à part, pas très dense, on est toujours dans l’aérien »… Christophe Bousquet en parle bien, les vins de la Clape, il en est fier, il les défend.

Alors il n’a pas compris. En 2010, juste après le salon Vinisud où les professionnels lui ont acheté toute sa récolte, en l’espace d’une nuit, une main anonyme a voulu briser sa consécration. Toutes les cuves ont été ouvertes, le vin est retourné à la terre. Une condamnation à mort, un lynchage. Une famille entière sonnée, inquiète, des questions éternellement sans réponse. Le monde du vin s’est mobilisé, mais le soutien n’enlève rien au doute et à la montagne de difficultés qu’il faut gravir tous les jours. Des mois d’interrogations, faut-il arrêter, partir, tenir ? En guise de réponse Christophe Bousquet tend un verre et esquisse un sourire « le 2010, c’est le millésime le plus proche de ce que je voulais faire, je suis content de mes vins, c’est incroyable d’arriver à dire ça ». Sa façon à lui de dire, des vignes comme ça, ça ne se lâche pas !

Par Sylvie Tonnaire, photo Emmanuel Perrin
Cet article est extrait du numéro 15 de « Terre de Vins » (janvier-février 2012)

Domaine de Pech-Redon
Route de Gruissan, Chemin de la Couleuvre, 11100 Narbonne
04 68 90 41 22