Vendredi 4 Octobre 2024
Jean-Pierre Cointreau remet le Trophée Gosset à Jean-Robert Pitte
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17.09.2024
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Les vocations contrariées sont parfois les plus belles. C’est la leçon de vie qu’a donné hier soir à l’hôtel Pereire, Jean-Robert Pitte, alors qu’il recevait des mains de Jean-Pierre Cointreau le Trophée Gosset. L’enfant qui se rêvait cuisinier est devenu le plus grand géographe et historien du vin, dans la lignée de Roger Dion. Son histoire, c’est aussi celle d'un long combat pour faire reconnaître la cuisine comme un art à part entière.
Comme l’a souligné Jean-Pierre Cointreau, le Jury du Trophée Gosset ne s’est certainement pas trompé cette année en choisissant Jean-Robert Pitte. « D’abord parce qu’il a été l’un des grands artisans de l’inscription du repas à la française au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais aussi parce que lorsque l’on consulte sa page Wikipédia qui fait six pages, on s’aperçoit que 40 % de ses publications sont liées au vin et à la gastronomie ! Cela nous touche évidemment particulièrement, ma sœur et moi, car au décès de nos parents, nous avons créé la Fondation Frapin, spécialement dédiée à l’éducation des jeunes en difficulté aux métiers de la gastronomie. Il est aussi président de la Fondation européenne pour le patrimoine alimentaire, installée dans la Villa Rabelais à Tours, un personnage qui nous est cher parce qu’il figure dans l’arbre généalogique de notre famille ! »
Jean-Robert Pitte dans un discours passionnant et plein d’humour est revenu sur l’origine de sa passion pour la gastronomie. « Mon arrière-grand-mère était alsacienne. À 17 ans, en 1871, elle a décidé de quitter l’Alsace, elle ne voulait pas devenir allemande. Elle a débarqué à Paris où elle était cuisinière. Son fils est mort pendant la Première Guerre mondiale, et le hasard a donc voulu qu’elle élève ses petits-enfants. Elle leur a transmis cet amour immodéré de la bonne chère qu’ils ont eux-mêmes transmis à leurs enfants. Nous conservons un certain nombre de ses recettes comme un patrimoine familial et nous continuons à battre le kougelhopf à la main. Mes frères et moi avons vécu dans cette mystique de la bonne cuisine. Dans la famille, il y avait tous les jours du vin sur la table et le dimanche du vin bouché. Le résultat, c’est qu’à l’âge de 12 ans, je n’avais qu’une envie, devenir cuisinier ! Malheureusement, mes frères n’avaient pas fait d’études. Or, je réussissais bien à l’école, si bien que je portais tous les espoirs de promotion sociale de mes parents, et on m’a interdit de devenir cuisinier. Il est vrai que dans les années 1950, 1960, ce métier n’avait pas bonne presse. Les gens pensaient que les cuisiniers travaillaient dans des conditions épouvantables et étaient tous alcooliques. »
Jean-Robert Pitte se tournera donc vers des études de géographie, mais passera sa carrière à « se venger de cette vocation manquée ». Et ce, dès son mémoire de maîtrise, qui portait sur le Vignoble du Bugey. « Peu de gens connaissent et ils ont tort ! Il y a des altesses extraordinaires. Mais je peux vous assurer que dans les années 1969, 1970, il fallait quand même s’accrocher au tonneau pour pouvoir déguster ce que les vignerons servaient. J’y ai découvert une société extraordinaire. Ensuite, j’ai travaillé pendant dix ans sur la géographie du châtaignier, qui hormis le marron glacé n’a rien de très gastronomique. C’est un arbre qui a été planté pour nourrir les pauvres en Corse, dans les Cévennes, en Italie et au nord du Portugal. »
En 1988, Jean-Robert Pitte passe devant un jury pour devenir professeur à la Sorbonne. Ses pairs qui savent qu’il a beaucoup voyagé au Japon n’espèrent qu’une chose, qu’il se consacre à l’étude de ce pays sur lequel peu de chercheurs français à l’époque travaillaient. Lorsqu’il évoque son intention de travailler sur la gastronomie, c’est la stupeur générale. « Pour eux, ce n’était pas un sujet de recherche sérieux. Le vin, à la rigueur… Néanmoins, ils m’ont quand même recruté. » Il faudra attendre le début des années 2000 pour que cette image change. « L'historien Jean-Louis Flandrin a été l’un des premiers à s'y consacrer, il a eu beaucoup d’influence, même si beaucoup se moquaient de lui, parce que dans sa jeunesse, il travaillait sur la sexualité et que maintenant qu’il avait pris de l’âge, il s’intéressait à la gastronomie ! » Profitant, de ce foisonnement de publications, c’est à ce moment-là que naît le projet d’une Fondation européenne pour le patrimoine alimentaire.
À la même époque, grâce à l’influence de Kōichirō Matsuura, ancien ambassadeur du Japon en France, nommé directeur général de l’UNESCO, germe l'idée de créer une catégorie « patrimoine immatériel ». « Il était très influencé par la notion de "Trésors nationaux vivants", cette manière d’honorer au Japon les grands artistes et les grands artisans de tout métier. Si ce titre est attribué à des personnes, il valorise en réalité davantage le métier et l’art de transmettre qu'elles incarnent. C’est important, parce que dans certains pays, on ne trouve pas de Mont Saint-Michel ou de Cathédrale de Chartres. C'est par exemple le cas en Amérique du Sud ou en Afrique, mais il existe cependant là-bas un patrimoine vivant qui n’est pas matériel. Et c’est cette nouvelle catégorie qui nous a permis d’inscrire le repas à la française. Là-encore, lorsque nous avons monté le dossier, cela paraissait impensable aux gens du ministère de la Culture, pour lesquels, précisément, la gastronomie n’était pas de la culture. Je dois dire que même si Sarkozy aime le Nutella et le Coca, il a pourtant cru à ce projet, notamment parce qu’il était susceptible de rassembler les Français et qu’ils en avaient besoin. Un constat toujours valable ! »
La soirée fut aussi l’occasion de découvrir la cuvée Célébris 2008, version magnum. Une pépite dont il n’existe que 1000 exemplaires. Pour ce millésime d’une tension extraordinaire, il fallait un vieillissement exceptionnel, donnant le temps à l’autolyse de donner l’enrobage nécessaire à ce champagne tout en verticalité. Le résultat est magique. (515€)
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