Jeudi 10 Octobre 2024
© Norbert Spielmann
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Date
27.06.2023
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Jadis, c’était les Allemands qui venaient s’installer en Champagne pour créer leur maison de vin (G.H. Mumm, Krug…). En devenant coactionnaire à parts égales avec Norbert Spielmann de l’Alte Grafschaft, Jérôme Legras du champagne Legras & Haas inverse la dynamique ! Il est vrai que sa mère Brigitte Haas née de l’autre côté du Rhin lui a transmis depuis longtemps l’amour des vins de son pays.
Weingut Alte Grafschaft (11 hectares) regroupe trois principaux terroirs et se situe à cheval sur deux Landers, le Satzenberg se trouvant dans le Bade-Wurtemberg, tandis que Kaffelstein (à Kreuzwertheim) et Ebenrain (à Lindelbach), sont localisés en Bavière. Ces vignobles étaient cependant réunis dans le Comté de Wertheim avant la partition par Napoléon en 1803. Le plus mythique est le Satzenberg, un cru dont la maison a le monopole. C’est ici que l’on trouve l’une des plus vieilles vignes d’Allemagne. Les coteaux ont été plantés au IXe siècle et ont été à partir du XIIème siècle la propriété du monastère de Bronnbach. Elles ont été ensuite vendues au XIXème siècle aux Princes de Löwenstein qui les ont conservées pendant plus de deux siècles, avant de les céder il y a dix ans au nouvel associé de Jérôme, Norbert Spielmann. « En 1100 ans, ces vignes n’auront connu que trois gardiens ! » fait remarquer Jérôme. Sur ces magnifiques terrasses longitudinales, on trouve deux tiers de pinot blanc et un tiers de riesling. « Les rangs proches du mur sont des rieslings pour profiter de la chaleur et obtenir de belles maturités, les pinots blancs où on souhaite au contraire préserver la fraîcheur, sont regroupés sur l’extérieur. Le lieu est si abrupt qu’aucune mécanisation n’est envisageable ce qui rend la viticulture presqu’héroïque » Sur le terroir du Kaffelstein, la maison cultive en plus du riesling, du pinot noir, auquel le grès rose confère une tonalité particulière. Alte Grafschaft possède enfin une troisième parcelle constituée d’un sous-sol crayeux, « Ebenrain », cette fois plantée uniquement en pinots noirs. Tous ces vins sont vinifiés dans une ancienne cave creusée en 1594 par Peter Herrschaft, Maire de Wertheim. Celle-ci a été agrandie en 1630 pour les besoins du Roi de Suède afin d’entreposer le vin de ses soldats au moment de sa tentative d’invasion de la Bavière. Il a d’ailleurs visité la cave personnellement en 1631.
Les vins sont assez spectaculaires. Ils ne sont ni typés Alsace, ni typés Allemagne. « On caricature parfois la viticulture allemande en soulignant l’insuffisance des maturités ou au contraire l’importance des sucres résiduels. Par ailleurs, si les vins blancs allemands sont très répandus, les vins rouges sont souvent aux abonnés absents. Notre maison se démarque de ces clichés. Elle ne fait que des vins secs, nous recherchons de belles maturités et presque la moitié de nos vins sont des rouges. Toutes nos cuvées sont vinifiées sous bois, sauf le Riesling, travaillé en cuve inox. Chaque cuvée a au moins deux ans d’élevage ce qui donne beaucoup de richesse et de présence en bouche. Julius Spielmann, le fils de Norbert, qui pilote les vinifications depuis 2020, est passionné par la préservation de la biodiversité et la biodynamie. Il rejoindra le domaine officiellement cet été et nous lui donnerons tout le soutien nécessaire à la réalisation de sa vision. »
Terre de vins a pu réaliser une dégustation d’une partie de la gamme qui compte quelques pépites. Le riesling du Satzenberg 2019 présente ainsi une belle minéralité un peu pétrolée, typique du cépage, mais aussi beaucoup de gourmandise avec des notes de pêche, de citron et d’oseille. Force est de constater que la richesse naturelle du vin rend effectivement inutile tout passage sous bois. La version 2020 est également très intéressante, le côté variétal du riesling est moins présent tandis que le vin prend des arômes étincelants de fruits exotiques (ananas…).
Le pinot blanc du Satzenberg est la cuvée la plus atypique. « C’est l’un des deux vins qui m’a convaincu de venir investir en Allemagne. Le pinot blanc est depuis longtemps mon cépage préféré. Il est généralement méconsidéré en France et trop rarement vinifié en vin de garde, sauf sur la Côte des Bar où les vignerons le subliment d’une manière extraordinaire. » Cette cuvée millésimée 2020 est épurée, presque minimaliste. Deux ou trois notes suffisent à constituer l’harmonie, mais celle-ci résonne parfaitement. Le vin est marqué par des arômes de physalis auxquels s’ajoutent une petite touche fumée. Côté rouges, le pinot noir du Kaffelstein 2019 (45€) est flatteur. La robe couleur rubis offre beaucoup de brillance et de clarté. Le nez s’ouvre sur des arômes exubérants de cassis et de feuille de cassis. La bouche élégante profite d’une pointe d’épice douce qui vient arrondir l’ensemble. Le pinot noir d’Ebenrain est très différent, plus tannique, avec des arômes de cerise noire cuite. Il est moins immédiat mais possède davantage de potentiel de vieillissement (80€).
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