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La Champagne pleure Elizabeth II

©Jane Barlow / POOL / AFP

Auteur

Yves
Tesson

Date

08.09.2022

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Le drapeau britannique est en berne, Elizabeth II n’est plus. Les Anglais perdent une reine, digne en toutes circonstances, dont la retenue inspirait à tous les dirigeants de la terre le respect le plus absolu mais dont le regard pétillant d’humour et d’intelligence suscitait en même temps une immédiate sympathie. Pour le monde du champagne, au travers du Royal Warrant et du goût qu’affichait la souveraine pour la bulle, elle fût plus qu’une ambassadrice, mais bien l’incarnation de toutes les valeurs de ce grand vin, austère et pourtant festif, classique tout en étant excentrique…

La Reine Elizabeth nous a quittés à l’âge de 96 ans. Avec elle, une page d’histoire du Royaume-Uni se tourne. Celle bien-sûr d’un règne d’une longévité record (70 ans !) au point de dépasser celui de Victoria. Elle a ainsi connu pas moins de 16 premiers ministres, de Winston Churchill à Liz Truss, tout juste nommée. Femme de poigne et de cœur, elle a servi dans l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale au sein de l’Auxiliary Territorial Service. Elle a aussi osé un mariage d’amour en épousant le prince Philip, alors que membre d’une branche cadette de la Maison Royale de Grèce, il était jugé d’un rang insuffisant pour s’allier aux Windsor. Un mariage heureux qui a duré 74 ans !

Si son pouvoir est toujours resté limité et principalement consultatif et représentatif, la reine est restée un symbole fort pour les Anglais, participant à leur unité et devenant une sorte d’ambassadrice de leurs valeurs et de leur art de vivre à travers le monde entier. Dans l’univers du luxe, elle était ainsi une référence, pour ne pas dire une icône de la mode, dont on guettait à chaque sortie la tenue, cocktail détonnant d’excentricité et d’un bon chic bon genre des plus classiques. En matière de chapeau par exemple, qui oserait encore en arborer d’aussi grands avec autant de plumes et de fleurs ? Quant aux couleurs de ses tailleurs, à la coupe certes très sobre, elles étaient pour le moins flashy. Une façon disait-on d’être repérée de loin. Tout ce que cette femme de goût portait, touchait, consommait devenait ainsi un objet de luxe convoité.

Bien-sûr, ce phénomène ne date pas d’Elizabeth et le label du « Royal Warrant » décerné aux livreurs de la cour est depuis longtemps mis en avant par les entreprises qui en bénéficient. L’un des plus anciens daterait de 1740. Mais Elizabeth II en défendant avec ferveur l’étiquette et en tenant son rang sans jamais défaillir, lui a donné une valeur particulière. Dans le monde du champagne, l’engouement pour ces labels est ainsi toujours aussi vivace. Une petite dizaine de marques s’honorent aujourd’hui du titre, dont Pol Roger, Lanson, Bollinger, Laurent-Perrier, Veuve Clicquot… La reine, il est vrai, buvait chaque soir une coupe du roi des bulles.

Pour célébrer le jubilé de son règne en juin dernier, la cour a commis une infidélité en mettant en avant pour la première fois un sparkling anglais élaboré à partir de pinot noir, de meunier et de chardonnay cultivés dans le Kent et le West Sussex. La bouteille arborait une étiquette reprenant la broderie de la robe de succession de la Reine. Mais quelle souveraine digne de ce nom ne défendrait pas son propre terroir ? Le service de la nation a ses raisons que l’amour ignore. Quant à la Champagne qui doit à Elizabeth une part de son aura internationale, elle n’a pas le cœur en ce jour de deuil à faire sauter ses bouchons.