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Le Japon veut développer son œnotourisme

Vignoble du domaine Villa d'Est à Karuizawa (photos M. Doumenge)

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

19.11.2019

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La deuxième partie du séjour japonais des lauréats des premiers Trophées de l’Œnotourisme leur a permis de visiter deux régions qui ambitionnent de développer leur attractivité touristique. La région de Nagano, en particulier, veut mieux promouvoir son activité viticole.

Ce n’est pas un secret, le Japon est une destination touristique de plus en plus prisée. Depuis quelques années, son attractivité ne se limite plus aux autres pays asiatiques et à une clientèle occidentale « de niche » déjà acquise à sa culture et à sa gastronomie, mais s’ouvre de plus en plus à de nouvelles catégories de touristes. Pour preuve, un nouveau record d’affluence étrangère est battu chaque année (28,7 millions en 2017, 31,2 millions en 2018), comme le rappelaient la semaine dernière les équipes d’Atout France* en préambule du voyage au Japon organisé pour les vainqueurs de la première édition des Trophées de l’Œnotourisme.

Si le but premier de ce voyage était de faciliter une prise de contact entre les ambassadeurs de l’œnotourisme français que sont les Grands Prix d’Or des Trophées et les principaux acteurs japonais du tourisme outbound (agences et tour-opérateurs), il visait aussi à offrir à la délégation tricolore un aperçu des enjeux et des atouts touristiques du Japon. À cet effet, deux groupes se sont dirigés vers deux régions distinctes, ayant pour point commun de vouloir développer leur attractivité : un groupe partait vers la région de Sendai, tandis que l’autre allait vers la région de Karuizawa, dans la préfecture de Nagano. Alors que le tourisme international se concentre principalement sur la côte sud de l’île Honshu, autour des grandes villes que sont Tokyo, Kyoto ou Osaka – et éventuellement plus au nord sur l’île d’Hokkaido -, d’autres parties de l’archipel veulent profiter de l’engouement international pour le Japon. La région de Nagano, en particulier, entend s’appuyer sur sa production de vin pour attirer des visiteurs japonais et étrangers.

Un train digne de Miyazaki

Les aficionados de sports d’hiver se souviennent sans doute des Jeux Olympiques de Nagano en 1998, fortement perturbés par les intempéries. Paysages, randonnées, nature, sports, patrimoine, gastronomie : il y a beaucoup de choses à découvrir dans cette belle région située à seulement 1h30 de Tokyo via le Shinkansen (train à grande vitesse japonais). D’ailleurs la première expérience à faire est sans doute de passer directement du si moderne Shinkansen au Rokumon, charmant train vintage tout droit sorti d’un film de Miyazaki, reliant Karuizawa à Nagano via Ueda. C’est dans ce cadre que les membres de la délégation ont pu faire une première découverte des vins de la région, en particulier ceux des deux domaines emblématiques que sont Château Mercian et Manns Wines.

Château Mercian est un ancien vignoble japonais, dont les origines remontent à la fin des années 1870. Historiquement dédié à la production de Koshu, cépage autochtone, le domaine s’est ouvert il y a 40 ans aux cépages européens – chardonnay, sauvignon, merlot, syrah… Avec l’accompagnement de professionnels bordelais qu’étaient les regrettés Paul Pontallier et Denis Dubourdieu, et le concours du Master of Wine Kenichi Ohashi en tant que consultant, Château Mercian a considérablement peaufiné sa gamme au cours des vingt dernières années. Le vignoble, actuellement déployé sur 23 hectares (principalement sur terroirs argileux), devrait en atteindre 30 dans les cinq ans à venir. On retiendra dans la gamme un intéressant assemblage chardonnay-sauvignon – il s’agit seulement du second millésime – et un 100% merlot doté d’un profil sur la cerise croquante et acidulée, issu du vignoble de Mariko supervisé par Hironori Kobayashi.

Manns Wines est un autre opérateur de première importance. Fondée en 1962 par la société Kikkoman connue pour sa production de sauces soja, l’exploitation s’est étendue en 1973 sur le site de Komoro, près de Nagano, où sont produits les vins les plus qualitatifs qui constituent la gamme Solaris, sous l’autorité du winemaker Chihiro Takei, formé à Bordeaux. C’est d’ailleurs un autre Bordelais, Pascal Ribéreau-Gayon, qui a accompagné le développement de ce vignoble, converti dans les années 1980 aux cépages occidentaux. Le site de Komoro vaut particulièrement le détour avec son magnifique jardin japonais dont la réalisation a mobilisé deux paysagistes pendant neuf ans, et au sein duquel trône une superbe salle de dégustation souterraine. Dans la gamme Solaris signée par l’œnologue Chihiro Takei se distinguent un intriguant Shinano Riesling sec (croisement local de riesling et de chardonnay, 32 €), un Cabernet Sauvignon Higoshiyama issu de vieilles vignes, et un Shinano Riesling travaillé en cryo-extraction, liquoreux à 150 grammes de sucre résiduel évoquant des arômes de feuille de thé, de litchi et de muscat (55 €).

Développer l’œnotourisme dans une région acquise au saké

Outre ces deux opérateurs majeurs, on trouve autour de Karuizawa des domaines de taille plus modestes mais qui méritent que l’on s’y intéresse. Le plus récent est le domaine Sakaki « Vino Della Gatta », créé à partir de zéro par Atsuko Narusawa, passionné de vin et de gastronomie (photo ci-dessus). Sa winery inaugurée l’année dernière se double d’un restaurant faisant la part belle à la cuisine européenne. S’appuyant sur un vignoble de trois hectares, ce domaine de poche produit une gamme assez large de monocépages européens où se distingue un 100% sauvignon assez variétal mais de bonne facture (environ 20 €). La production est pilotée par Kaori Mitake-Howard, qui a fait ses classes de vinificatrice en Californie. La dégustation des rouges 2019 pris sur fût révèle un merlot croquant, entre cerise et prune, épicé. Le cabernet sauvignon a un peu plus de mal à s’exprimer à ce stade. Il est à noter que, pour faire venir au vin les consommateurs locaux, le domaine Sakaki produit un blanc et un rosé à base de Kyoho, un raisin de table prisé, vinifié à 8,5° d’alcool et vendu en bouteille de 50 cl avec capsule couronne (environ 10 €). Une incongruité.

Situé dans un environnement à couper le souffle, le domaine Villa d’Est est né en 1991 de l’imagination de Toyoo Tamamura photo ci-dessous). Cet essayiste – qui a étudié la littérature à la Sorbonne à la fin des années 1960 et parle très bien le français – est alors âgé d’une quarantaine d’années et souffre de problèmes de santé ; il décide de quitter Tokyo et son agitation pour s’installer à la campagne et se consacrer à la peinture. M. Tamamura tombe amoureux de la région de Karuizawa et se lance dans le projet d’y planter des vignes mais aussi d’y développer la culture de fruits et légumes. Près de trente ans plus tard, son vignoble de 10 hectares en altitude (700 à 900 mètres) se double d’une ferme à visiter et d’un restaurant de très beau niveau, dans un cadre somptueux. Les vins sont de bonne facture, notamment un 100% chardonnay entre notes beurrées, touche d’agrumes et de fleurs blanches (environ 27 €). Le domaine produit également du cidre et de l’eau de vie à base de pommes Fuji.

Ces quatre exemples sont une illustration de la diversité d’une viticulture qui est encore en phase de progression dans l’expression de ses terroirs et l’adéquation des cépages à un climat japonais qui peut s’avérer difficile – les étés sont souvent chauds et humides, d’où l’intérêt de planter des vignes en altitude et si possible sur terroirs volcaniques comme dans le cas de la Villa d’Est. Pour ces producteurs de vin, il n’est pas si facile de se faire connaître auprès de touristes – japonais comme étrangers – plus enclins à se tourner vers la production de saké, très réputée dans la région comme le montre l’ancienne fabrique Sakai Meijo dans la ville de Chikuma. Il y a donc un grand travail de fond à accomplir pour développer l’œnotourisme local, mais la région a de solides arguments : les paysages, la gastronomie, l’hospitalité et les nombreuses activités culturelles ou patrimoniales en font partie. Alors, prêts à visiter Nagano et Karuizawa lors de votre prochain voyage au Japon ?

A voir aussi :
Temple bouddhiste Zenko-Ji à Nagano
Ancien relais postal d’Unnojuku, avec ses maisons du 16ème, 17ème et 18ème siècle.
Musée Tetsu du sabre à Sakaki (sabres conçus par le maître armurier Yukihira Miyairi)
Musée dédié au peintre Hiroshi Senju, conçu par l’architecte Ryue Nishizawa.
Le ryokan Sasaya Hôtel et ses bains chauds dans la station thermale de Chikuma.

À Sendai :
Fabrique de soupe miso Abeko-Shoten
Fabriques de saké Katsuyama Shuzo et Saura
Marché aux poissons et temple shinto de Shiogama

* Organisme chargé de la promotion du tourisme français, organisateur des Trophées de l’Œnotourisme avec Terre de Vins.