Accueil Listrac-Médoc : les deux amours de Saransot-Dupré

Auteur

Michel
Sarrazin

Date

26.02.2020

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Yves Raymond, le propriétaire du châteaux Saransot-Dupré en appellation Listrac-Médoc, a deux passions qui se nourrissent mutuellement : l’art bordelais et le vin.

Si la réputation des vins du château Saransot-Dupré ne précédait pas la visite de la bâtisse, on ne jurerait pas qu’on est bien là, dans l’un des vignobles les plus réputés de Listrac-Médoc.
En effet, lorsqu’on pénètre dans le couloir de la typique maison bourgeoise du centre du village, notre intérêt pour le vin est tout de suite détourné par des œuvres d’art. Là se présentent tableaux, sculptures, objets divers, le tout bien disposé, des œuvres de valeur dont on devine qu’elle ne sont pas là par hasard et qu’elles sont certainement le résultat de la passion d’un amateur éclairé : celle d’Yves Raymond, propriétaire des lieux, qui est totalement dévoué à un art régionaliste abouti, et plus particulièrement à l’art bordelais, dans une époque charnière comprise entre la fin du XIXè et la première moitié du XXè siècle.

Les premières études d’Yves furent des études d’histoire de l’art. L’œnologie viendra… un peu plus tard. C’est ainsi qu’il écrira par exemple, dans le journal du Médoc, un article pour un monument singulier : le monument aux morts de Saint-Laurent-Médoc. En vérité, une œuvre d’art : « une pieta qui recueille son enfant mourant, sans référence à l’armement et avec une grande souplesse de forme » nous détaille Yves Raymond qui connait bien évidemment l’auteur – un sculpteur bordelais, Gaston Leroux, qui a pensé son œuvre en se donnant « la liberté de sortir des poncifs ». Amis roulant et traversant le Médoc, au lieu de prendre le contournement de Saint-Laurent-Médoc, passez en son centre voir un peu …
Plus tard, Yves signera un article sur Julien Calvé (1851-1924), « propriétaire un temps du château Croizet Bages » (5ème grand cru classé de Pauillac) mais aussi peintre reconnu. Certains penseront sans doute au nom de la grande marque de négoce bordelaise, mais non, cette dernière s’écrit Calvet. Julien Calvé, lui, est bien d’une grande famille bordelaise, mais plutôt celle des huiles Calvé : « une famille qui a tenu sa richesse, en cette fin de XIXè, à partir des arachides du Sénégal qu’elle importait à Bordeaux ».
Ne pas manquer aussi, dans un couloir du rez de chaussée, le grand tableau de Louis Cabié (1854-1939) peint en 1910, et visible sur demande : « Chêne vert sous la neige ». Pas facile de capter le regard avec un sujet de taillis sous la neige, en bord de Vézère : et pourtant… Cabié est LE peintre de l’arbre et des bords de rivière.
Vous trouverez également dans la bâtisse, un Alfred Smith… le peintre dont la notoriété bordelaise repose notamment sur un tableau peint en 1892, « Les quais de Bordeaux », repris plus tard en carte postale tant il est célèbre : on y voit les colonnes rostrales de la place des Quinconces et un omnibus sur un pavé humide et dans dans un air vaporeux. Vous pouvez admirer un tableau énigmatique de ce même peintre à Saransot-Dupré. Le propriétaire vous en dira plus sur l’énigme. Dans ces vastes pièces, bien d’autres merveilles stimuleront votre intérêt.

Mais parlons de la nouvelle salle de dégustation…

Créée en 2017, celle-ci a, à vrai dire, l’allure d’une salle à manger. Mais quelle salle à manger ! La voilà meublée et très signée grâce aux trouvailles que Yves a dénichées sur Bordeaux : un mobilier de 1930, composé d’une enfilade avec sa table et ses chaises en placage d’ébène de Macassar (ou Makassar), l’ensemble signé par Gilles Leleu, dans le pur style art déco. C’est sur cette table que vous dégusterez les vins du château, en faisant face à un monumental dessin préparatoire de Despujols (1886-1965) pour une fresque visible à la mairie annexe du XIVème arrondissement de Paris (en savoir plus). Mais le dessin intitulé « La Vocation Sanitaire » reste précis et éloquent. On y voit de doctes médecins évoluant au milieu de personnages qui parfois évoquent les colonies, l’ensemble respirant le progrès grâce à la science. On peut y voir un autoportrait du peintre maniant un tube à essai et Sigmund Freud. Intéressez-vous aussi aux vitrines derrière lesquelles vous verrez une belle collection d’assiettes de deux célèbres manufactures de faïencerie bordelaise : Vieillard et Johnston.
Un ensemble d’œuvres qui rend hommage au patrimoine artistique local.

Le vin, sa deuxième passion

Mais avant d’être un collectionneur d’art, Yves Raymond est un vigneron talentueux puisque le château Saransot-Dupré a remporté la coupe des crus bourgeois en 2017 et que le nouveau classement des crus bourgeois 2020 le confirme cru bourgeois supérieur.
On sera attentif à une rareté en Médoc, le vin blanc sec de Saransot-Dupré, en appellation Bordeaux (les vins blancs du Médoc ne peuvent prétendre à l’appellation communale). Assemblage des trois cépages Sauvignon, Sémillon et Muscadelle. Un rappel qu’à Listrac la tradition des vins blancs a duré fort longtemps jusqu’au milieu du XXè. D’ailleurs Yves pourra vous faire un bel exposé sur l’histoire des vins blancs médocains, lorsque ceux-ci étaient sur un volume de production autre que celui qu’on connait actuellement. Cette production chutera « vers 1960, lorsque l’INAO décidera que les décrets d’appellation ne concerneront que les vins rouges ».

Et justement, les vins rouges de Saransot-Dupré se caractérisent par un assemblage particulier : 60% merlot, 15% petit verdot, 15% cabernet franc et 10% cabernet sauvignon. La forte proportion de petit verdot, « qu’on retrouve intégralement dans le premier vin », est atypique et donne aux vins des parfums d’épices et de la structure. Un cépage néanmoins traditionnel du Médoc, qui se plaît sur l’argilo-calcaire du château. Un retour en grâce pour ce cépage, après avoir été délaissé à cause de sa fragilité et de l’attention qu’il demande. Mais que de bonheur lorsqu’il est à maturité (et le changement climatique y contribue particulièrement pour cette variété qui se vendange juste après le merlot et avant le cabernet).

A Saransot-Dupré, Yves Raymond pourrait nous chanter le refrain de la chanson de Joséphine Baker, « J’ai deux amours… » Et pour cet amateur éclairé ce sera » mon vin et l’art bordelais », car « …par eux, mon cœur toujours est ravi ». Un succès assuré.