Accueil [PRIMEURS] Jean Coussau : « le Bordeaux Bashing n’est pas arrivé dans les Landes »

[PRIMEURS] Jean Coussau : « le Bordeaux Bashing n’est pas arrivé dans les Landes »

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

05.04.2019

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Après Nicolas Magie, rencontre avec Jean Coussau, l’un des quatre chefs étoilés du Sud-Ouest qui, durant la semaine des Primeurs, ont été invités à signer un plat à la Terrasse Rouge, le restaurant du château La Dominique, grand cru classé de Saint-Emilion – en partenariat avec Les Clés de Châteaux / Rolland Consulting. Rencontre avec un Gascon pur jus, qui tient ses deux étoiles au Relais de la Poste (Magecsq, Landes).

Comment avez-vous accueilli l’idée de signer ce plat autour du canard durant la semaine des Primeurs ?
J’ai été approché par les équipes du château La Dominique et, étant ami de longue date avec la famille Fayat, j’ai tout de suite dit oui. Je me déplace très rarement de chez moi, il m’arrive de faire quelques exceptions… Le canard c’était une évidence, j’avais à cœur de montrer que le magret et le foie gras sont des produits délicieux quand ils ne sont pas galvaudés. Nous les avons faits venir d’une petite exploitation dans les Landes. Autant que possible, je travaille des produits très locaux ; nous avons la chance d’avoir dans les Landes de petites exploitations, notamment tenues par des jeunes, qui travaillent de beaux produits, sur des circuits courts. Il faut les valoriser, et valoriser la transmission.

Cette notion de transmission, elle est centrale dans la famille Coussau ?
Mon père a créé le Relais de la Poste en 1950. J’ai repris les rênes avec mon frère Jacques, qui s’occupe de la cave, il y a 28 ans. Nous avons deux étoiles au guide Michelin depuis 1971. Après nous, heureusement se profile une nouvelle génération, avec la fille de Jacques, Clémentine, qui nous a rejoints après être passée dans de belles maisons françaises (Dutournier, Marcon, Chibois…) Cela nous rassure qu’elle soit à nos côtés depuis quatre ans, on lui apprend comment faire venir 15 000 personnes à Magecsq, un bled de mille habitants, même si nous accordons une importance colossale à notre clientèle locale.

Quel rapport entretenez-vous avec le vin ?
Je m’intéresse au vin depuis que j’ai 14 ans ! J’ai passé le concours de Meilleur sommelier junior en 1968 à Lyon, j’ai toujours été passionné par ce produit. Mais c’est mon frère Jacques qui gère en priorité la cave du restaurant. Comme il a huit ans de moins que moi, quand il est arrivé je lui ai mis le pied à l’étrier. Le vin correspond à nos valeurs de terroir, de culture, de tradition que nous essayons de préserver. Aujourd’hui ces valeurs sont attaquées de partout, on voudrait pratiquement nous interdire la pêche, la chasse, par des personnes qui souvent ignorent tout de la vie dans le monde rural. Concernant la carte du restaurant, nous avons 85% de vins de Bordeaux, un vignoble avec lequel nous entretenons des liens forts, et puis dans les Landes n’est pas arrivé encore le « Bordeaux Bashing ». A titre personnel, j’ai un petit faible pour le Saint-Julien, le grand médoc classique.

Que vous racontent-ils, ces grands vins du Médoc ?
Je vais avoir 70 ans dans quelques jours, mes copains de chasse et de golf m’ont offert un peu à l’avance deux bouteilles de Cos d’Estournel 1949, mon année de naissance. On les a bues ensemble, les vins étaient encore magnifiques de fraîcheur. C’est le privilège des grands vins et la force des grands terroirs, cette capacité à vieillir. La carte des vins du restaurant fait une quarantaine de pages, avec beaucoup de vieux millésimes – ce qui est regrettable c’est que ces vieux vins sont presque toujours bus par des clients étrangers. L’an dernier, sept personnes de Shanghai, qui allaient à Bayonne, se sont arrêtées à Magescq, ils ont commandé des Petrus 1982, Cos d’Estournel 1955, des bouteilles incroyables. Ils sont revenus le soir après la corrida, ils ont fait la même chose ! Et ils n’ont pas choisi les vins au hasard.

Vous avez le sentiment que cela se perd, cette culture du « bon produit » ?
Pas du bon produit, au contraire on constate que beaucoup de jeunes viennent au restaurant pour connaître la vraie cuisine, des produits de tradition, avec de la traçabilité, de vraies sauces. En revanche, au niveau des vins, il y a une grosse éducation à refaire. On a beaucoup mis en avant, depuis des années, des vins jeunes, exubérants, « sur le fruit », ce qui a contribué au succès des vins du Nouveau Monde. Je peux vous dire que mon Cos d’Estournel 1949, il était encore sur le fruit ! Tout est une question d’éducation. Dans ma famille, nous avons transmis ce goût du vin, mon père a créé la cave, aujourd’hui mon frère est encore plus passionné que moi.

Quel est votre plus beau souvenir de dégustation ?
Eh bien ces bouteilles de Cos d’Estournel 1949, bues tout récemment avec des amis chers, c’est un grand souvenir. J’ai aussi eu la chance de goûter un Latour 1928 chez un ami, tout à fait exceptionnel. Le souci de ces grands vins est qu’ils sont devenus hors de prix. Je n’hésite pas à dire à certains copains bordelais qu’ils ont la mémoire courte, il vaut mieux être précautionneux et rester modeste. C’est un peu comme les chefs, certains sont très sympas, d’autres ne touchent plus le sol – ils n’ont pas des toques, ils ont des montgolfières ! C’est pour ça que j’ai refusé de tourner dans « Top Chef », les jours où je ne suis pas en cuisine je préfère aller à la chasse ou jouer au golf.

La suite de votre passion du vin, c’est qu’aujourd’hui vous avez votre propre vigne, une « vigne d’amitié » comme vous l’appelez.
Ce vignoble est né pour mes 50 ans. Mes copains se sont réunis et m’ont offert 50 arbres fruitiers avec le conservatoire d’Aquitaine. Mon frère m’a offert 1200 pieds de vigne. Restait à les planter… dans les terroirs de sable des Landes ! Tout a été pris en main par l’équipe technique de Malartic Lagravière, qui sont des amis. La première année en 2002, on a vinifié dans une chambre, aujourd’hui nous avons de vraies installations techniques. C’est un vignoble que l’on conduit pratiquement en bio, mais il faut être vigilant par rapport à certains parasites et à l’influence de l’océanique qui est très proche. On produit à peu près chaque année 900 bouteilles de rouge et 300 bouteilles de rosé de saignée ; pratiquement tout est consommé au restaurant, à l’exception de mes amis Alain Dutournier et Michel Guérard qui ont quelques bouteilles ; sans oublier l’association « Les amis de la petite lagune », des amis qui viennent pour les vendanges ou la mise en bouteille, et qui en consomment pas mal aussi !

Quand on est un chef reconnu, ça fait quoi de produire son propre vin ?
C’est un aboutissement ! J’ai toujours dit « l’aboutissement pour un chef, c’est de faire son propre pain et son propre vin ». Voilà, maintenant j’y suis.