Jeudi 10 Octobre 2024
Auteur
Date
29.12.2022
Partager
ARENI est un think tank consacré aux réflexions stratégiques sur les fine wines. Le 17 janvier prochain, il présentera son dernier « White Paper » chez Sotheby’s à Paris. Nous sommes allés rencontrer sa présidente, Pauline Vicard, pour recueillir sa vision à l’heure où de nombreuses appellations françaises sont en quête d’un nouveau souffle.
Chaque année depuis 2017 votre think tank mène des dizaines d’entretiens auprès de toutes les catégories de professionnels pour proposer une définition de ce que sont les fine wines…
Nous avons dégagé cinq éléments. Une dimension objective qui est la finesse du vin et sa capacité à vieillir. Le second élément réside dans l’intensité de l’émotion provoquée. A l’image du moment vécu lors de la coupe du monde 1998, lorsque vous avez bu ce vin, des années après, vous vous souvenez d’où vous étiez et avec qui. Cette capacité à bloquer le temps, c’est vraiment ce qui distingue pour beaucoup de gens un bon vin d’un grand vin. Le troisième élément réside dans l’intention du vigneron. Un grand vin n’arrive pas par hasard. Il est l’expression très personnelle de la vérité par son élaborateur, ce qu’il pense être le mieux, son interprétation. Dans les fine wines, on peut regrouper ainsi des approches très différentes avec tout l’écart qu’il peut y avoir entre un Dom Pérignon Plénitude 2 et un vin naturel. Depuis le Covid, un quatrième élément a émergé : la notion de « sustainability ». Lorsque l’on est un fine wine, on est en haut de la pyramide, cela implique des responsabilités, vous avez des ressources et une voix, on ne vous pardonnera pas de ne pas être engagé. Cette année enfin, nous avons ajouté une dernière condition : la reconnaissance.
Qu’est-ce qui différencie un fine wine d’un luxury wine ?
Si on compare notre définition des fine wines à celle proposée par Peter Yeung et Liz Thach des luxury wines, certains attributs sont communs comme la « highest quality » ou même le « sense of place » qui est la traduction moderne de terroir. Nous ne l’avons pas incluse directement, mais lorsque nous parlons de l’interprétation du vigneron, il s’agit aussi de celle de son terroir. Ensuite, lorsque l’on regarde les autres attributs des luxury wines, on trouve la rareté et le prix qui participent au sentiment de privilège apporté à l’acheteur. Les fine wines impliquent ainsi une définition du vin d’abord drivée par le producteur, sa vision, alors que le luxury wine est davantage drivé par le consommateur, comment on veut qu’il perçoive le vin. Dans un cas, le prix est une conséquence, dans l’autre il fait partie de la définition. Ce qui est amusant, c’est que lorsque je présente ces définitions en Angleterre et en France, je n’ai pas du tout les mêmes réactions. En Angleterre, certains vous diront qu’ils ont toujours pensé que le luxury wine était supéreur au fine wine. En France, dans le milieu du vin, le luxury wine a une image très négative. Certains producteurs mettront en avant que l’argent représente la fin des grands vins. Ce à quoi je réponds : vous vous rendez compte que si on n’intègre jamais le consommateur, il y a une limite tout autant que lorsque l’on élabore un vin uniquement en fonction du consommateur ?
La crise que connaissent certains vignobles français n’est-elle pas liée à cette conception du fine wine qui ne prend pas assez en compte le consommateur ?
Lorsque j’étais petite, en Bourgogne, les vignerons avaient tendance à dire si tu n’aimes pas mon vin, tant pis pour toi ! Je l’élabore ainsi, parce que c’est de cette manière qu’il doit l’être. Est-ce que l’on doit adapter ses techniques de vinification au consommateur ? Oui et non. Pour moi, il est hypocrite de penser que le goût du consommateur ou les marchés n’influencent pas le style du vin. C’est d’ailleurs une erreur française de penser que les vins de lieu ont toujours eu le même goût.
En revanche, on peut discuter du passage que l’on observe de la recherche de typicité à la recherche d’authenticité. La typicité implique une approche collective du terroir. On avait des villages qui, parce qu’ils faisaient tous la même chose, produisaient des vins qui avaient une ligne directrice. Vous pouviez ainsi reconnaître facilement un Meursault d’un Puligny. La recherche d’authenticité place les vignerons dans des démarches beaucoup plus individuelles, cela a provoqué des bons en qualité dans certaines régions, parce que des vignerons ont arrêté de faire ce que tout le monde faisait et se sont posés des questions sur la maturité du raisin, l’extraction des tanins etc… Mais du coup, on a sur un même terroir des résultats si disparates, des styles si différents, que cela remet en cause l’existence même de ce terroir. Evidemment, lorsque l’on voit dans les dégustations d’agrément d’une appellation, des vins atypiques éliminés alors qu’ils étaient très intéressants par leur approche qualitative novatrice, on touche la limite. Mais on ne doit pas oublier qu’en matière de fine wine, l’image collective d’une région auprès des consommateurs compte beaucoup. La Bourgogne a ce halo, parce qu’il existe une approche stylistique, qualitative, qui fait que cela monte ensemble. Le Swartland en Afrique du Sud, c’est la même chose, les vignerons seuls ne seraient pas parvenus au même succès. Cela fait partie du débat ouvert par notre prochain white paper « is fine wine a collective or an individual project ? » Cette question est très intéressante à étudier à partir des pays du Nouveau Monde, qui eux, partent d’une page blanche.
Pour s’inscrire : https://areni.global/rethinking-fine-wine/
Articles liés