Jeudi 3 Juillet 2025
25 ans Domaines Paul Mas, Jean-Claude et Alexandra Mas ©Mat Beaudet
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Date
03.07.2025
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Cette année, Jean-Claude Mas fête les 25 ans des Domaines Paul Mas. Désormais à la tête de dix-sept entités viticoles et quinze caves, soit 950 hectares de vignes, sans compter les approvisionnements, il a forcément un regard avisé sur le marché du vin et sur les thèmes qui animent la filière. Cépages, déconsommation, low-alcool, rosé, bio : nous l'avons interrogé et il nous a répondu... sans langue de bois.
Elle démarre réellement il y a 25 ans à partir du domaine familial de 35 hectares transmis par mon père Paul qui était fermier viticole. Je suis revenu après mes études en 1996 pour travailler dans la société de négoce qui achetait ses raisins à Pézenas et que j'ai repris quelques années plus tard pour en faire les Domaines Paul Mas . A partir de 2002, j'ai commencé à développer les contrats d'achat avec des viticulteurs.
C’est en 2006 que j’ai racheté réellement le premier domaine, le Mas des Tannes, suivi des vignobles de Limoux, Teramas Astruc, Martinolles... pour arriver aujourd'hui à 950 hectares en propriété et plus de 1500 hectares de vignes en contrat. Aujourd'hui, l'entreprise détient 17 entités viticoles et 15 caves. C'est pour cela que j'aime bien parler de l'aspect constructeur et entretien du patrimoine vivant. J'ai construit, développé, entretenu plus de 25 000 m2. Quand je fais le total, je me dis que c'est la folie.
Je me suis surtout concentré sur les grandes appellations, Languedoc et Limoux. Mais 80 % de notre production, de manière générale, est aujourd’hui en IGP, 20 % en AOP. Au niveau des domaines, on doit être plutôt à 35 % AOP, 65 % IGP. Bien sûr, Pays d’Oc est le fonds de commerce de l’entreprise, l'appellation qui fait les volumes. Avec les AOP, on galère un peu plus.
Avec près de 90% des ventes à l’export, on parle plutôt cépages. Depuis le début, nous commercialisons la moitié des vins en blanc. Nous sommes leader du viognier qui est notre premier cépage suivi de très près par le chardonnay et ensuite par le cabernet sauvignon. Notre force est de travailler sur une large palette de cépages puisque l’on en produit une cinquantaine. Nous développons actuellement plutôt les blancs, le viognier, le grenache blanc, la roussanne mais aussi le vermentino. Et je dis bien le vermentino et pas le rolle car j'ai encore espoir et je me bats pour qu'il garde ce nom. On en a toujours produit dans le Sud de la France autant qu’en Italie. Mais j’avoue que là-dessus il y a eu un gros loupé. Pour les rouges, je me base surtout sur l’association syrah-grenache. Et je reste persuadé qu’en Languedoc, le meilleur assemblage pour faire des grands vins est le cabernet-syrah. C’est d’ailleurs le premier vin que j'ai fait en 1998.
Nous avons replanté du caladoc, du souvignier gris, de l'albariño ibérique en blanc, et en rouge du montepulciano d'Italie, mais je ne suis pas convaincu par celui-là car il fait des vins qui manquent de finesse chez nous comme le sangiovese que je laisse aux Italiens.
Les consommateurs veulent des vins gourmands avec un peu d’acidité. Mais si on les veut moins alcooliques, je suis partisan de rajouter un peu d'eau ou des glaçons - C'est ce qu'on fait depuis la nuit des temps- plutôt que d’utiliser des usines à gaz pour désalcooliser. Ça, ça n’est pas du vin, juste une boisson. Il est dangereux de jouer à ça. Les consommateurs qui vont découvrir ces vins qui n’en sont pas, les fameux no-low, et qui vont les trouver imbuvables, comme moi, risquent de se détourner complètement du vin. Et ça peut faire mal à toute la filière.
Le rosé a été un grand atout depuis vingt ans et il faut continuer à le travailler. Les plus gros volumes de rosé vendus dans le monde aujourd'hui sont en Pays d’Oc, ce qui prouve que nous faisons de bons rosés. Ça a eu aussi le mérite d'apurer d'une certaine manière le marché du rouge pour lequel je suis persuadé que la consommation va repartir.
Non puisque le vin est l'essence du Languedoc. Il va juste falloir gérer le réchauffement climatique qui handicape forcément les rendements, et donc l'économie. Il faut se réadapter comme le Languedoc l’a déjà fait il y a 40 ans pour que la viticulture réponde à l'attente du marché. Aujourd'hui, la clé repose sur la fertilité et la richesse des sols. Quand on fertilise avec du fumier et que l'on travaille les sols, la vigne souffre moins. Il faut apporter de l'eau là où l'on peut mais il faut surtout utiliser les bons porte-greffes, les bons clones, et planter les bons cépages aux bons endroits, se réapproprier les terroirs et recréer un cercle vertueux.
Je constate depuis une dizaine d’années que la France a de plus en plus de néo-consommateurs qui ont un profil similaire à New York, Tokyo, ou Londres. Ces consommateurs boivent du vin comme un art de vivre, et continuent à boire un ou deux verres pour agrémenter un repas, un apéritif, pour le plaisir du palais.
Le bio est une philosophie, pas un argument commercial. Aujourd’hui on a presque la moitié de nos vins certifiés, mais ce qui m'intéresse avant tout, c'est de n'avoir aucun résidu et que ma manière de travailler soit bénéfique pour l'environnement, la faune, la flore, la vie dans le sol, etc. Le bio a ses limites. Cette année, on a dû traiter plus et avec plus de passages de tracteur, ce qui n’est pas souhaitable. Il faut arriver à travailler aussi avec le biocontrôle, redynamiser les défenses immunitaires de la plante qui passe par la biodiversité.
Nos domaines sont certifiés HVE et Terra Vitis. Mais je pense qu'on a perdu le consommateur en lui expliquant trop de choses. Quand on voit une levée de boucliers au passage d’un tracteur qui épand simplement des écorces d’orange, ça devient ridicule. Il faut surtout mettre en valeur ceux qui travaillent bien, revenir au métier du vin, parler d’abord aux professionnels. L'agritourisme est aussi essentiel dans un esprit de Luxe Rural. Il fait partie des véhicules pour communiquer cet art de vivre, faire déguster nos vins, notre miel, notre huile d’olive... Il est en plein développement, mais ça demande beaucoup de budget, et de faire appel à un autre métier qui est l'hospitalité. Nous avons déjà l'ensemble Côté Mas près de Pézenas mais je dispose d’une dizaine d’endroits uniques qui pourraient être valorisés. Je veux être avant tout un défenseur du patrimoine, des vignobles mais aussi à travers les artisans d'art avec lesquels je travaille. Il faut revenir à la beauté du métier, au travail noble du viticulteur, de la belle pierre, des jardins... Tout l’art de vivre à la française.
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