Vendredi 11 Juillet 2025
© Nicolas Gouhier, Les trois branches de la famille Rothschild réunies pour l'inauguration du nouveau chai de Vertus
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11.07.2025
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En installant leur chai dans l’ancien siège de la Maison Prieur en plein cœur du vieux bourg viticole de Vertus, les trois branches de la famille Rothschild qui se sont unies pour créer le champagne Barons de Rothschild il y a vingt ans, ont d’emblée inscrit leur démarche dans la continuité de l’histoire pluriséculaire du vignoble. Les bâtiments restaurés ont été inaugurés il y a quelques jours en présence de tous les cousins. L’architecte Giovanni Pace qui travaille lui aussi en famille aux côtés de ses trois enfants, nous raconte les défis qu’il a dû affronter, tandis que le chef de caves Guillaume Lété nous emmène à la découverte du mystérieux « Grand Clos » qui entoure la maison.
Giovanni Pace : Ce qui nous a passionné dans cette aventure, c’est que l’ancien bâtiment dont nous héritions était déjà l’archétype d’une maison de champagne, avec des bureaux, une petite cuverie, des lieux pour accueillir le public, et des caves. Ce patrimoine était toutefois en très mauvais état. L'endroit avait été abandonné et avait subi de nombreuses dégradations liées aux intempéries. Notre objectif était donc de maintenir debout tout ce qui pouvait l’être, tout en réintégrant à l’intérieur une nouvelle structure qui permette de remettre un toit et d’y remodeler des volumes en mesure d’accueillir les nouvelles fonctionnalités du projet.
Parmi elles, une cuverie parcellaire installée dans la grande nef. Nous avons travaillé avec une entreprise italienne qui a proposé de superposer les cuves, en mettant les petits contenants en dessous des grands, mais avec le même diamètre. Grâce à ce système, nous avons pu dessiner une cuverie bien propre et symétrique, tout en ayant des volumes de contenants différents afin que le chef de caves puisse vinifier au plus près ses différentes parcelles.
Pour la rendre la plus esthétique possible, nous avons aussi utilisé la passerelle qui se situe entre le niveau bas et le niveau haut de la cuverie. Elle nous a servi à masquer à l’intérieur à la fois le réseau vinaire, la ventilation et le système qui récupère le CO2. Grâce à cela, lorsqu’on regarde cette cuverie, c’est un peu comme lorsqu’on regarde le moteur d’une voiture de course, tout est intégré, il n’y a pas de petit tuyau disgracieux qui dépasse. L’autre intérêt de cette passerelle, c’est qu’elle est en bois. Elle permet ainsi d’absorber une partie du bruit. C’est souvent le grand problème des cuveries, elles utilisent des matériaux durs, si bien qu’elles résonnent beaucoup. Là, on est dans une ambiance feutrée.
Giovanni Pace : Oui, elle a plusieurs particularités. La première, c’est qu’elle réemploie des chênes locaux en provenance de forêts de l’Aisne. Ces chênes portent les stigmates de l’histoire de la Grande Guerre et on voit en plusieurs endroits des taches noires. Nous n’avons pas voulu les camoufler car elles témoignent de l’histoire de la région. La deuxième particularité, c’est que la forme de la charpente reprend la forme de la voûte des caves. Mon fils Hugo a dessiné un arc ouvert, sans entrait (poutre traversante de maintien, ndlr). Lorsque l’on travaille dans le haut de la cuverie, il ne fallait pas en effet qu’on ait à chaque fois à se baisser pour passer sous les poutres. La charpente devait être la plus évidée possible. Le problème, c’est que ce type de charpente a tendance à pousser sur les murs. On l’a donc appuyée sur des corbeaux en pierre reposant eux-mêmes sur des poteaux en béton solidement encastrés dans le sol. Ce sont eux qui récupèrent les efforts vers l’extérieur de la charpente. J’ajoute que ces poteaux ont été noyés dans les murs existants de telle sorte qu’ils sont invisibles.
La façade a aussi été retravaillée avec la création d’ouvertures qui donnent sur le clos pour amener de la lumière naturelle dans la cuverie. La plus belle se situe au dernier étage, avec une grande terrasse, pour accueillir les visiteurs.
Nous avons créé aussi une salle de dégustation dans l’ancien local de dégorgement, où se trouve une œuvre de la mère de Saskia de Rothschild, figurant une échelle qui s’échappe vers l’extérieur. Elle symbolise justement cette dernière phase de l’élaboration avant laquelle le champagne s’échappe lui aussi de la maison pour être expédié au loin…
Dans le bâtiment des anciens bureaux, nous avons fait sauter les planchers pour accueillir le pressoir, avec une organisation pour permettre un travail gravitaire qui évite au maximum les pompages.
Giovanni Pace : Oui, la cuverie des vins de réserve. Elle existait déjà dans l’ancien bâtiment. Elle était enterrée sous le quai de réception des raisins, dans des caves en béton qui avaient été rajoutées au bâtiment originel. Ce n’était pas très fonctionnel et en très mauvais état. Il a fallu les casser et recreuser. On en a profité pour élargir le quai et redimensionner la cuverie en dessous qui est entièrement enterrée de sorte que lorsque l’on arrive dans la cour, on a le sentiment que le bâtiment n’a pas bougé depuis sa construction au XIXe siècle. Le talus a été reconstitué tout autour et le chai se présente comme une grande et ancienne demeure installée au milieu d’un clos. Le mur d’enceinte lui-même a été restauré, nous avons retiré toutes les réparations de fortune qui avaient été faites, pour remettre à la place de la pierre.
Les Rothschild ont d’ailleurs été jusqu’à exiger qu’on ne coupe pas le grand marronnier qui trône au milieu de la cour. Comme ses ramures s’articulent autour de trois grandes branches, ils trouvaient que la symbolique était forte, rappelant l’union des trois branches de la famille pour construire ce projet. La seule extension visible que l’on ait faite est la partie vitrée que l’on voit dans la cour lorsque l’on arrive au dessus du quai. Il s’agit d’un espace polyvalent, un lieu très important dans une maison de champagne. Il permet, par exemple, d’accueillir la ligne de tirage lorsque c’est la saison, ou de stocker les raisins des vendanges, ou encore d’organiser de grandes réceptions qui peuvent compter une bonne centaine de personnes.
En ce qui concerne les caves traditionnelles du XIXe siècle, nous avons eu très peu de travail à réaliser. Voûtées et maçonnées, elles étaient en très bon état. Nous nous sommes contentés d’un petit sablage pour retirer le noir lié aux différents champignons. Nous avons aussi travaillé les sols en ajoutant simplement du gravier pour conserver le côté respirant et toute la fraîcheur. Comme elles peuvent être visitées par des professionnels, nous avons installé un jeu de lumières.
Guillaume Lété : On en a retrouvé la trace dans des archives qui ont deux siècles sur un cadastre de 1830 où il était désigné comme le Grand Clos. Il était enserré entre les deux abbayes de Vertus, une ville qui à l’époque était un véritable carrefour de la Champagne. Entre temps, il avait été divisé. Les Rothschild ont réussi progressivement à racheter les différents bouts ce qui leur permet aujourd’hui d’en avoir le monopole et de lui redonner son nom d’autrefois. Nous avons même pris soin sur les bornes de reprendre la typographie d’origine du cadastre napoléonien. Sans doute au départ n’était-il pas entièrement dédié à la vigne, mais comme beaucoup de clos à l’intérieur du bourg, consacré à des vergers et des jardins. On a cependant trouvé une première déclaration de vendanges datant de 1910. En réalisant des fosses, nous avons été très surpris par la profondeur du sol, puisqu’il faut creuser quatre mètres avant d’atteindre la craie. Sur la partie haute, nous avons conservé les anciennes vignes, des plants de chardonnay de quarante ans dont est issue la première cuvée que nous venons de sortir à l’occasion des vingt ans de la maison. La belle exposition et la chaleur restituée par les murs nous permettent d'aller plus loin dans notre philosophie qui consiste à pousser le plus possible la maturité. Nous nous y risquons d’autant plus facilement qu’on ne perd pas pour autant la fraîcheur, celle-ci est en effet préservée par la craie que les racines des vignes atteignent malgré la profondeur du sol.
Sur la partie basse, les vignes n’étaient pas en bonne santé, et nous avons décidé de repartir de zéro, en profitant de ce moment pour préparer l’avenir du végétal de la maison. Nous avons donc planté trois sélections massales, deux de chardonnay prélevées sur des vignes de la Côte des blancs qui ont plus de 90 ans et une de pinot noir, prélevée dans un grand domaine de la Côte de Nuits. Cette plantation de pinot noir est un clin d’œil à l’ancienne vocation de Vertus qui, bien qu'au milieu de la Côte des blancs, était autrefois un cru dédié à ce cépage. Elle se justifie aussi par l’épaisseur particulière du sol. Nous avons planté ces nouveaux ceps en très haute densité, à 11.400 pieds/hectare. Les vignes seront tressées pour éviter le rognage et favoriser la partie fructifère en limitant les entre-coeurs.
Un chardonnay ample, très ouvert, mûr, avec un joli gras en bouche et des accents bourguignons. Les notes d’orange et d’aubépine se dessinent avec générosité sur une trame crayeuse qui vient nous rappeler que nous sommes bien dans la Côte des blancs (690€).
Bonhams, maison de ventes aux enchères internationale fondée à Londres, organise une vente exceptionnelle des trois toutes premières bouteilles numérotées 0001, 0002 et 0003/1788 – portant chacune la signature d’un des trois barons présents à la création de la cuvée, Benjamin de Rothschild, Eric de Rothschild et Philippe Sereys de Rothshild. La vente, s’effectue uniquement en ligne, et est ouverte depuis 3 juillet pour une durée de deux semaines. Les bénéfices récoltés seront reversés au profit de la fondation One Drop qui œuvre pour un accès universel à l’eau potable.
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