Dimanche 12 Octobre 2025
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10.10.2025
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Parmi les figures tutélaires du monde des spiritueux, Enrique de Colsa est considéré par nombre d’afficionados comme l’un des personnages les plus importants de l’univers de la tequila. En plus de 40 ans de carrière, il s’est forgé une expérience unique, faisant éclater son immense talent, notamment au sein de la prestigieuse maison Don Julio. Chantre de la naturalité et du respect le plus absolu d’un processus de production traditionnel, Enrique s’avère plus décidé que jamais à poursuivre son exploration de ce fascinant spiritueux d’agave au sein de The Lost Explorer avec qui il partage les mêmes valeurs. Une incursion nouvelle pour l’entreprise au-delà du mezcal qui l’a rendu rapidement célèbre et une aventure importante pour le Maestro Tequilero que nous avons pu rencontrer.
Lorsque j’ai quitté le monde professionnel pendant la pandémie du COVID-19 en 2020, j’avais déjà 40 ans d’expérience dans l’industrie dont 30 ans à produire de la tequila. J’avais donc envie de rester dans cet univers en menant mon propre projet. Mais j’avais alors une clause de non-concurrence de deux ans qui m’a contraint à rester éloigné du business durant cette période. J’ai eu du temps de réfléchir et mon idée était claire. Je voulais créer une « boutique tequila », très bien faite et pleine de saveurs, en petites quantités et pas trop chère. En 2021, j’ai été contacté par Tanya Clarke, PDG de The Lost Explorer et amie de longue date qui voulait que l’on travaille ensemble sur le mezcal. Mais je ne pouvais pas et je lui ai expliqué mon projet personnel. C’est comme ça qu’elle m’a présenté en 2022 David de Rothschild, le fondateur de The Lost Explorer. Admiratif de mon parcours, il m’a proposé de les rejoindre pour travailler ensemble autour de la tequila. Ce que j’ai accepté, car c’est une marque magnifique, très éthique, qui a une très belle notoriété autour de produits très qualitatifs, sans additifs, et des valeurs communes aux miennes, notamment autour de la naturalité.
Lorsque nous avons commencé notre collaboration, j’ai pu faire mes propres tests sur les liquides et surtout sélectionner la distillerie avec laquelle je souhaitais travailler. Toute ma vie de distillateur, j'avais œuvré dans le terroir des Highlands de Jalisco où l’agave bleue donne des tequilas plus douces, plus fruitées et miellées. Mais je ne voulais pas que les gens comparent mes anciennes tequilas avec celles que j’allais créer. Je me suis donc dirigé vers le terroir des Lowlands, qu’on appelle la vallée, où les tequilas ont des profils bien différents, plus herbacées, minérales, évoquant parfois l’artichaut. Nous n’avions pas le temps de bâtir notre propre distillerie alors, nous avons initié un partenariat avec une superbe petite distillerie baptisée El Magnifico à El Arenal à l’ouest de Guadalajara. Nous avons pu tout créer de zéro ce qui a été très enthousiasmant et nouveau par rapport à ma précédente vie. Après 4 à 5 mois de tests, nous avons pu lancer notre tequila blanco en novembre dernier et je crois que nous avons plutôt bien réussi ! (NDLR : cette tequila a notamment été primée « best in class » au Latin American World Spirits Competition en 2024).
Fondamentalement, les 5 étapes pour produire de la tequila sont toujours les mêmes. Mais c’est une somme d’attentions à chaque niveau qui est indispensable. Avec cette échelle plus limitée en comparaison des grands projets industriels, je peux plus facilement aller à la rencontre des coupeurs d’agave, m’assurer qu’ils pratiquent le meilleur geste en laissant juste ce qu’il faut de feuille avec la piña pour avoir un maximum de saveurs mais sans excès de chlorophylle qui donne un goût de bubble gum. Nous avons testé plusieurs souches de levures pour la fermentation et utilisons celle qui sert à produire du champagne. Nous avons également fait construire des fours en briques, beaucoup plus qualitatifs que les autoclaves qui existaient à la distillerie. Tous ces détails nous ont permis d’obtenir une tequila très pure, une tequila qui goûte la tequila, tant pis si certains ne l’aiment pas. Notre blanco est ainsi moins poivrée sur la finale, mais plus douce avec des notes de cannelle.
Oui, nous avons fait déguster cette nouvelle reposado pour laquelle j’ai assemblé différents types de barriques parmi la quinzaine différente que j’ai pu expérimenter, en provenance de différentes origines, issues de bois différents. Un travail qui nous a pris plus de 7 mois ! Nous avons donc sélectionné des barriques ex-bourbon où la tequila a vieilli 4 mois, donnant des notes boisées et vanillées, mais aussi des barriques ex-sauternes et ex-pedro ximenez pour des vieillissements de 5 mois. Les premières ont apporté un soyeux merveilleux, un crémeux de matière presque umami. Les secondes ont conféré des notes de prune en finale. Une reposado plus subtile que les standards du marché… Notre tequila añejo, elle, est en cours de vieillissement et sera présentée dans quelques mois. De manière générale, j’ai toujours envie de créer de nouvelles choses. Qui sait, peut-être encore une nouvelle catégorie de tequilas un jour ! (NDLR : Enrique est à l’origine de la catégorie Cristalino devenue très populaire). En tout cas, je suis convaincu que dans les 10 ans à venir, les tequilas artisanales vont gagner du terrain, notamment celles comme les nôtres, produites de la manière la plus traditionnelle et naturelle possible.
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