Accueil Actualités Château Sainte-Marguerite : dans les coulisses d’un rosé sous haute précision

Château Sainte-Marguerite : dans les coulisses d’un rosé sous haute précision

Sainte-Marguerite

Olivier et Enzo Fayard. ©DR

Auteur

Yoann
Palej

Date

18.11.2025

Partager

À La Londe-les-Maures, un atelier d’assemblage immersif révèle la méthode Fayard au Château Sainte-Marguerite : précision chirurgicale, liberté de ton et identité vigneronne assumée malgré un domaine de plus de 400 hectares.

La lumière glisse doucement sur les vignes de La Londe. Le chai vibre en sourdine, la grande table est dressée comme un laboratoire, alignant éprouvettes, verres et carnets de notes. Terre de Vins revient à Sainte-Marguerite, quelques mois après le long portrait signé Yves Tesson dans la Saga du numéro estival. Cette fois, il ne s’agit plus seulement de raconter le domaine, mais d’entrer dans la mécanique fine de l’assemblage, au plus près du millésime, guidé par Olivier et Enzo Fayard.

Une fratrie, trois rôles, une ligne

Adepte des expériences immersives, le duo accueille sans protocole, avec ce mélange d’humour, de franchise et de décontraction qui désamorce toute solennité. « Le vin est un univers qui passionne. Beaucoup nous disent qu’ils rêveraient de faire ce métier. On a eu envie de vous mettre dans ce rôle de winemaker, de vous offrir une expérience unique… mais attention, la place n’est pas à prendre ! », sourit Olivier.

La sœur, Sigolène, n’est pas devant les verres, mais on la sent partout : « C’est notre colonne vertébrale, la rigueur qui nous permet d’avancer vite sans se perdre », résume Enzo. Répartition claire : Olivier au végétal et à la vision, Enzo au chai, Sigolène à l’ossature administrative et financière. « N’en déplaise à certains, on reste une famille de vignerons, soudée et fière du travail accompli. On plante nos vignes, on vend nos vins, on fait tout de A à Z », insiste Enzo. Pernod Ricard est entré au capital en 2022 ; la fratrie, elle, garde la main sur le style et le tempo. « C’est une alchimie qu’on a su créer en bonne gestion globale », glisse Olivier.

Une mécanique de précision 

Les chiffres pourraient faire basculer l’image du côté industriel. Mais les faits racontent tout l’inverse. Près de 450 à 500 hectares à récolter, cinq machines, cinq sites de vinification, trois de stockage, dix-huit pressoirs de petite capacité, 150 à 200 tonnes chaque matin en vendanges de nuit. « On fonctionne comme si on avait plein de petits domaines de 30–40 ha, chacun avec son site et son protocole. Le nerf de la guerre, c’est le contrôle », pose Olivier. L’idée est d’être au plus près des parcelles, de réduire les transferts, de presser très vite, sur raisin froid, en protégeant la matière dès la première minute.

Dans le chai, tout va dans ce sens : pressurages doux, inertage, froid millimétré, hygiène irréprochable. L’innovation n’est pas un totem, mais un outil. « L’IA, chez nous, surveille : niveaux, températures, alertes. Les bondes connectées nous préviennent avant le moindre écart. L’assemblage, lui, reste humain », précise Enzo.

Enzo Fayard. ©DR

Choisir la vigne avant le vin

Cette exigence technique ne serait qu’un décor si elle ne reposait pas sur un travail de fond autour du végétal. Depuis plus de vingt ans, Sainte-Marguerite s’appuie sur Lilian Bérillon pour développer des sélections massales maison, notamment en grenache et en cinsault. « Choisir sa vigne, c’est choisir sa voix. On ne peut pas parler terroir si on ne maîtrise pas ce qu’on plante », assure Olivier Fayard. Les plantations de rolle proviennent de vieilles origines corses choisies pour leur identité. Choisir ses plants, ses racines, comme on choisit une signature. Ici, on assume que le style commence avant la cave, dans le choix précis de “sa” vigne.

Vient le moment de passer de l’autre côté du miroir. Les invités s’installent devant une série de vins clairs tirés du millésime. Olivier rappelle que le rosé est, selon lui, « le vin le plus difficile à faire », un vin sans filet, avec peu de variables d’ajustement, « sans bois pour maquiller ». Sur la table, les nuances du domaine se révèlent : un grenache tendu de Pierrefeu au relief minéral marqué ; un grenache de La Cau, zone charnière qui relie fraîcheur et gourmandise ; un grenache de La Londe, plus caressant, porté par la proximité maritime ; un lot grenache-rolle de La Londe, où le cépage blanc vient apporter énergie, éclat aromatique et tension.

©Yoann Palej

Le jeu très sérieux de l’assemblage

Le cinsault, pilier maison, manque à l’appel — question de timing sur les vins clairs et de lisibilité. « Le cinsault, c’est la dentelle : il affine, polit. Aujourd’hui, on veut que vous sentiez les écarts nets », explique Enzo. Pour boussole, un pré-assemblage de la cuvée Fantastique millésime 2025, déjà filtré. « Vous avez les couleurs pour peindre le tableau. À vous de jouer… mais le tableau doit ressembler à notre style », prévient Olivier.

Et soudain, tout bascule à vue. Un soupçon de Pierrefeu et la rectitude s’impose ; un cran de La Londe, le charme prend le dessus ; une pincée de rolle en trop et l’aromatique déborde la trame saline. Les groupes s’y frottent, mesurent que l’équilibre final se joue au dixième près. On comprend alors ce que veut dire “vin d’architecture” : un vin où l’on n’a pas le droit à l’à-peu-près. « Le but, c’est un rosé net, salin, allongé par une amertume noble », résume Enzo. « Surtout pas de bois sur nos rosés. Jamais. On veut que La Londe et Pierrefeu parlent sans filtre », ajoute Olivier.

Olivier Fayard. ©DR

Le blanc en ligne de mire

En fin de séance, virage blanc. Dégustation en cuve d’un rolle promis au printemps. Goûté sur lies, il montre déjà sa tenue : fruits blancs croquants, tension de bord de mer, relief maîtrisé. « Le rolle est un atout énorme pour la Provence. On veut des blancs identitaires, précis, avec le même degré d’exigence », cadre Olivier. Reste la question qui brûle les lèvres : et si l’atelier devenait une offre œnotouristique ? « On y pense pour l’automne, au moment des vins clairs. C’est là que tout se joue et qu’on peut vraiment partager », confie la fratrie. Une manière d’animer la Provence quand elle reprend son souffle, et de montrer, verre en main, que la signature Sainte-Marguerite tient autant à la rigueur qu’à la liberté.

Terre de Vins aime 

Fantastique Rosé 2024, Cru Classé Côtes-de-Provence, AB, 30 € TTC
Sa robe très pâle cache un nez précis de pamplemousse rose, fleurs blanches, pêche de vigne et petits fruits rouges croquants, relevés d’une touche d’herbes fines. La bouche est droite, ample, sans lourdeur, portée par une belle tension citronnée, une salinité nette et une amertume délicate façon zeste qui étire la finale. Un rosé racé, long, parfaitement ciselé.


Articles liés