Mardi 3 Décembre 2024
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04.03.2022
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Le champagne club présidé par Richard Juhlin vient de désigner Benoît Gouez chef de caves de l’année 2021. Celui qui veille depuis 2005 sur les assemblages de Moët & Chandon, a accepté de partager avec nous son approche du champagne, et de commenter deux millésimes qui ont fait chavirer le cœur du critique : 1959 et 1921, respectivement élus « meilleur champagne dégorgé tardivement de l’année », et « meilleure bouteille ancienne de l’année ».
Comment définiriez-vous la vision de l’œnologie chez Moët & Chandon ?
Mes prédécesseurs m’ont toujours parlé d’une œnologie simple et nature. Comme eux, je n’aime pas cette idée anglosaxone du « wine maker » : on ne fait pas le vin ! Et si on finit par faire le vin, c’est qu’il manque quelque chose, cela signifie qu’au départ, il n’y avait pas la matière nécessaire. Je suis très éloigné du principe d’une œnologie corrective. Mais je suis aussi contre l’idée de « vin nature ». Le vin n’est pas naturel, c’est une création humaine. Je n’ai jamais trouvé une bouteille de vin qui se soit faite toute seule au pied de la vigne !
Mon approche est intermédiaire et consiste à penser, que plus on aura de beaux raisins qui correspondent à de beaux terroirs et à une viticulture de qualité, avec en particulier une bonne appréhension de la maturité, plus on pourra ensuite avoir une approche œnologique simple et peu interventionniste. En même temps, je reste un ingénieur de formation marqué par la volonté de maîtriser. S’il est vrai qu’on ne « contrôle » pas la nature, mais plutôt qu’on travaille avec elle, il faut quand même être en pilotage. A cet effet nous essayons de comprendre davantage les choses, pour pouvoir mieux les amener dans la direction que nous souhaitons d’un point de vue stylistique. C’est l’élément sous-jacent aux évolutions que j’ai amenées dans la maison depuis 15 ans. Par exemple dans la conduite des fermentations, où notre volonté était de ne pas avoir la vitesse au compteur sur l’autoroute toutes les heures mais en temps réel. Auparavant, on prélevait un échantillon toutes les huit heures, désormais nous avons des capteurs de gaz carbonique qui nous informent de la vélocité de la fermentation toutes les cinq secondes. On peut ainsi prédire les dynamiques de fermentation avec 24 heures d’avance. Si jamais, la fermentation est trop lente ou trop rapide, si on a des risques de réduction ou d’oxydation, nous serons en mesure d’anticiper, d’être plus précis.
C’est que j’adore dans le vin : l’art de conjuguer science et sensibilité. Si on est uniquement dans la science, la technique, on va élaborer de bons vins, mais pas de grands vins. A l’opposé, si on n’est que dans la sensibilité, on peut faire un grand vin une fois de temps en temps, mais ce sera aléatoire.
Richard Juhlin a eu un coup de cœur pour deux millésimes de votre collection, 1921 et 1959…
En novembre nous avons organisé une journée pour célébrer le centenaire de ce millésime champenois magnifique qu’a été 1921. Nous avons dégusté sur 100 ans, des millésimes de chaque décennie. Le 1921 avait encore de l’effervescence, il ressemblait à un panettone italien, une brioche aérienne avec des fruits cristallisés. Le 1959 était l’équivalent d’un lièvre à la royale : sanguin, truffé. Ce millésime est le plus mûre de toute l’histoire de la Champagne, vendangé à plus de 12 degrés. D’ailleurs, c’était illégal, ils ont été obligés de le diluer avec un peu d’eau avant d’effectuer la prise de mousse. Quelle puissance encore aujourd’hui, un vrai pur-sang musculeux ! Cela amène d’ailleurs une réflexion sur les inquiétudes nourries en Champagne liées à la chute d’acidité que peut entraîner le réchauffement climatique. Les plus grands millésimes champenois ne sont pas des millésimes acides, mais très mûrs. C’est là où intervient la richesse de la collection Moët & Chandon, qui souvent nous aide à appréhender des millésimes qui nous déstabilisent. Lorsque nous avons dû vinifier 2003, c’était la première vendange en août pour tous les membres de l’équipe, la double lame gel de printemps et été caniculaire avait généré des vins très concentrés. Beaucoup pensaient qu’il ne fallait pas millésimer : acidité trop faible, pas assez de chardonnay, cela n’évoluerait pas correctement, trop atypique… Nous sommes descendus en cave et nous avons dégusté pour se rendre compte des millésimes chauds : 1976, 1959, 1947, 1941. Ils tenaient la route, ce n’était pas des millésimes de tension, mais de sang, et ils n’étaient pas oxydés. Cela nous a convaincus qu’il fallait y aller !
Terre de vins aime : Grand vintage 2013- 55 €
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