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Charles Heidsieck ou les origines du blanc de blancs

Auteur

Yves
Tesson

Date

24.06.2021

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Chez Charles Heidsieck, il y a cette discrétion toute champenoise qui en fait un vin d’initiés. Derrière ses hauts murs de la butte Saint-Nicaise se cache un jardin luxuriant sous lequel dorment des centaines de milliers de bouteilles, allongées dans la pénombre des crayères. Un patrimoine sur lequel veille Cyril Brun, le chef de caves, qui nous a présenté trois blancs de blancs pour rafraîchir nos longues soirées d’été.

Charles Heidsieck est peut-être la première maison de négoce à avoir commercialisé un champagne blanc de blancs millésimé (un Mesnil 1906 !) et plus original encore, à avoir proposé un BSA blanc de blancs dès les années 1950. Une spécialité réservée jusque-là aux vignerons de la Côte des blancs. La preuve ? Le livre d’habillage de 1956 et ce menu servi en 1960 à l’occasion d’un vol de la Panamerican du tout jeune 707 clipper, où figure à côté du Clos des Mouches et du Haut Brion, un Charles Heidsieck blanc de blancs non vintage … « On mettait trois heures de plus à voyager à l’époque sur les vols transatlantiques, donc on en profitait plus longtemps ! » s’amuse le chef de caves, Cyril Brun.


La réticence des maisons à l’égard des 100% chardonnay jusqu’à la première moitié du XXe siècle émane de la faible réputation que l’on a d’abord prêté aux vins de la Côte des blancs. Ces derniers n’étaient pas utilisés dans les assemblages pour la subtilité de leurs arômes (plutôt considérée comme l’apanage du pinot noir), mais d’abord pour leur capacité à mousser : « le commerce d’Aÿ recourt quelque fois à la Côte de Cramant, Avize, Oger et Mesnil, pour avoir une mousse plus favorable et vice versa, d’autres commerçants de cette Côte recourent à celle d’Aÿ, dont le cru abonde en délicatesse » commente Cavoleau en 1827. On notera au passage que l’origine de l’assemblage n’est pas celle que l’on croit. Il ne s’agissait pas de maintenir un goût particulier propre à une marque mais de permettre au vin de mousser. C’est d’ailleurs l’émergence du champagne effervescent et son développement qui ont fait connaître la Côte des Blancs. Godinot dans son traité de 1718 ne l’évoque pas et ne parle que des vins de la Montagne et de la Rivière.

Mais, avoir raison avant les autres ne profite jamais et Charles Heidsieck a dû abandonner son blanc de blancs non millésimé au début des années 1980, peu de temps avant l’explosion de la mode… La Maison a cependant conservé ce savoir-faire et les approvisionnements : son BSA inclut 40% de chardonnay et elle n’a jamais cesser d’élaborer des blancs de blancs millésimés. C’est ce qui lui a permis sans difficulté de relancer un blanc de blancs non vintage voici cinq ans.

Le blanc de blancs non millésimé : ou l’art d’enrober la fraîcheur

Partant d’une base 2014 avec 80% de vins de l’année et 20% de vins de réserve de moins de cinq ans, cette cuvée cherche à garder une certaine distance entre les deux profils de blancs de blancs (le BSA et le millésimé). « Il fallait qu’elle soit vraiment dans le style de la catégorie non vintage, avec un côté tranchant, minéral, sur les agrumes, qui en fasse plutôt un champagne d’apéritif. Pour cela nous sommes allés chercher du raisin à Vertus sur la Côte des Blancs, dans la partie Nord de ce cru qui tire vers le profil incisif du Mesnil, alors que la partie sud, côté Bergères, ressemble au Sézannais. Nous avons privilégié aussi Villers-Marmery sur la Montagne, avec ses chardonnays très purs, crayeux, qui donnent cette dimension ciselée. Il a fallu enrober tout cela avec des choses plus exotiques, comme Montgueux, où on trouve à l’inverse des fruits plus mûrs, presque tropicaux. Les raisins d’Oger, cru de la Côte des blancs réputé pour ses sols épais, amènent de la texture. Nos parcelles y sont exposées plein sud, elles donnent du gras et de la générosité. Et pour compléter le tout, une légère proportion de Sézannais apporte une certaine crémosité. »

A la dégustation, cela donne un champagne citronné, sans tomber dans le cliché d’un 100% agrumes. « On va chercher cette fraîcheur qui donne ce côté désaltérant, mais on a su l’emmailloter avec une jolie texture, du soyeux, des bulles fines liées à un vieillissement plus long que ce qui se pratique dans la catégorie ». De fait, on arrive déjà un peu sur des arômes toastés et miellés. « C’est un champagne qui va avoir six ans. Nous sommes entre deux mondes, pas encore celui des blancs de blancs millésimés, mais pas non plus des BSA classiques hâtifs, c’est un produit hybride et j’aime cet aspect parce qu’il lui donne plusieurs facettes : vous le servez frais, c’est le blanc de blancs type pour accompagner des huîtres sur la terrasse. Vous le laissez se réchauffer et là il bascule, vous passez aux langoustines ».

Pour le blanc des millénaires, le concept est différent. Alors que le premier laissait dominer le côté tranchant, on a voulu pousser le côté bourguignon, plus généreux. L’approche est moitié millésime, moitié terroir, puisque ce sont toujours les mêmes cinq crus qui le constituent à proportion égale, l’idée étant de capturer l’identité de chacun de ces villages et d’en assurer la synergie. « On va retrouver le rôle qu’avait Oger dans le non vintage, ce côté gras, charnu qui amène de l’ampleur, à l’opposé on a le Mesnil, fumé, grillé, minéral. Avize est plus exotique, tropical et procure des notes gourmandes. Cramant donne l’aspect floral et Vertus est la variable d’ajustement. En fonction du profil des quatre premiers on va aller chercher un Vertus qui tire sur le Mesnil ou sur Bergères. En l’occurrence, pour ce 2006, année généreuse, on a préféré ne pas rajouter de beurre dans la mayonnaise en privilégiant la partie Nord. »

Enfin, si vous avez envie de finir ce voyage autour du chardonnay, le coteau champenois blanc de blancs de la Maison, composé à partir de raisins de Montgueux présente un résultat original. « C’est un peu le Corton Charlemagne de la Champagne ! Cela appelle un pain au levain et du beurre de chez Bordier, avec un morceau de Chaource ». Le concept ? « Au cours des élevages, à chaque fois qu’il y a un fût qui a un petit coup de cœur, on dessine une croix dessus. Au bout d’un moment, quand vous ne voyez plus la couleur du bois et qu’il n’y a que des traces de craies, vous vous dites, celui-là, on va en faire quelque chose ! »

Blanc de Blancs (BSA) 62 €
Blanc des millénaires 2006 170 €
https://shop.charlesheidsieck.com/cuvees