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[Covid-19] Comment les réseaux de cavistes gèrent la crise

Auteur

Laura
Bernaulte

Date

20.03.2020

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Légalement autorisés à rester ouverts, les réseaux de cavistes, qu’ils soient nationaux ou régionaux, doivent eux aussi s’adapter au jour-le-jour, en veillant à préserver la santé de leurs employés. Trio de témoignages.

Boutiques fermées et boom de la vente en ligne chez Nicolas
Avec ses 500 magasins en France, dont 300 en Ile-de-France, où l’épidémie sévit avec force, comment un réseau de l’ampleur de Nicolas gère-t-il la crise sanitaire actuelle ? « On a toujours essayé d’anticiper les événements, tant pour nos clients que nos collaborateurs, en étant un peu plus drastiques que ce qu’imposait le gouvernement » répond Christopher Hermelin, responsable marketing de Nicolas. Par exemple, alors que le lundi 5 mars étaient seulement interdits les rassemblements de plus de 1000 personnes, l’enseigne a annulé sa 5e édition des « Vinissimes », cette « journée de dégustation privée et vente de vins d’exception », réunissant traditionnellement 500 personnes. Avec l’escalade de l’épidémie, « Nicolas » recommandait déjà dimanche à ses cavistes de fermer boutique, et a imposé à tous cette clôture lundi soir. « C’est parfois compliqué de le faire entendre à nos cavistes, car certains voulaient continuer et craignent pour leurs boutiques, concède le responsable marketing. A Nicolas, notre baseline est ‘prendre soin de vos vins’, mais avant, il faut prendre soin des gens, que ce soit nos cavistes ou les clients. On ne veut pas étendre l’épidémie. On manquait de moyens de protection pour nos collaborateurs en boutiques, gels hydroalcooliques comme masques. Donc même si on le voulait, on ne pourrait pas assurer des conditions de sécurité optimales. » Jeudi, c’était au tour du siège à Thiais (Val-de-Marne) de réduire la venue des salariés en passant un maximum des « fonctions support utiles » en télétravail ou en généralisant le chômage partiel.
En dépit de ces mesures, Nicolas n’est pas pour autant à l’arrêt commercial total. Son site internet marchand www.nicolas.com fonctionne, « avec des records de vente », puisqu’il a vu les commandes « multipliées par trois ou quatre. On a l’impression que les gens font du stock » analyse Christopher Hermelin. « Notre activité de vente en ligne se développait déjà, historiquement, de façon complémentaire au commerce en boutiques, mais avec des clientèles un peu différentes sur ces deux segments, donc assez peu de duplication. Je pense qu’on assiste aujourd’hui dans la situation actuelle à un report de nos clients historiques qui allaient dans les caves physiques, vers le web. » Pour faire fonctionner ce site internet, « on a gardé un semblant de logistique. On assure les livraisons en France, mais on fonctionne avec le minimum vital. Le personnel de la plateforme travaille avec des conditions et mesures d’hygiène et gestes barrière drastiques. Les gens arrivent, prennent une douche, changent de vêtements, ont des masques et des gants, les distances de sécurité sont respectées… Une fois les commandes réceptionnées, on stocke les palettes, et un enlèvement par jour est acheminé par UPS, avec des garanties de livraison légèrement allongées. Tout cela ne reste valable évidemment que sous réserve qu’UPS continue à fonctionner » expose, réaliste, Christopher Hermelin.
Si cette situation de crise a indéniablement d’importantes conséquences pour les entreprises, Nicolas peut néanmoins compter sur sa puissance financière, avec un chiffre annuel stabilisé de 300 millions d’euros. « On a la chance d’être un groupe. On est surtout inquiets pour les petites chaînes et cavistes indépendants, que ça risque de mettre dans la difficulté. Nous sommes avant tout des cavistes, et on espère que ça passera bientôt. La profession risque de souffrir malgré les mesures gouvernementales annoncées. »

Rideau tiré chez Cash Vin
C’est depuis les USA où il était en déplacement que Jérôme Plantey, PDG de Cash Vin, a appréhendé dans un premier temps l’épidémie en France. Rentré lundi dernier, il n’a pas hésité sur la position à prendre pour l’ensemble des douze points de vente de l’enseigne, majoritairement situés en Nouvelle-Aquitaine, mais aussi en PACA, et depuis 2018, en région toulousaine. « J’ai immédiatement et unilatéralement pris la décision de fermer tous les magasins. La priorité est la santé de la soixantaine de salariés de l’entreprise. Évidemment, tout un tas de précautions peuvent être imaginées, mais le capitalisme ne doit pas primer dans ces circonstances. » Vendredi et samedi dernier, l’enseigne était encore en train de mener ses traditionnelles opérations commerciales de foires au vin de printemps. « Nous avons fait des chiffres records. Je pense que les clients n’étaient pas tellement là dans une perspective de stocker, mais surtout parce qu’ils voulaient se changer les idées, penser à autre chose qu’au virus. C’était presque la cohue, et c’est aussi pour ça qu’on a décidé de fermer. Ma position est qu’il vaut mieux aider le gouvernement et les soignants et rester fermés. Il faut faire d’énormes efforts pour que cette situation dure le moins longtemps possible » affirme, inflexible, Jérôme Plantey. « Tant qu’on est dans cette période grave, on évitera l’ouverture. On ne rouvrira totalement qu’avec la certitude que clients comme salariés ne prendront aucun risque. » Dans cet intervalle de temps, « évidemment, ce serait dramatique que les gens apprennent à ne consommer que des produits de première nécessité, concède-t-il. Mais pour être honnête, pour moi, l’alcool n’est pas un aliment de première nécessité, mais de premier plaisir. C’est surtout un plaisir à partager à plusieurs et ce n’est pas toujours le cas en confinement. »
Pas abattu pour autant, Jérôme Plantey tente de se projeter vers la sortie de cette crise sanitaire inédite. « Je vois deux cas possibles. Soit on trouve un vaccin ou antidote miracle, avec 100% d’assurance qu’il y a zéro risque, et on rouvrira. C’est sûr que les gens seront à ce moment-là dans le même état que lors de la victoire de la coupe du monde 98, avec des explosions de joie sur les terrasses et dans les restaurants ! Soit le confinement s’apaise, devient un peu moins strict, et on prendra peut-être une demi-mesure, avec prudence, pour travailler sans qu’il y ait de contact entre vendeurs et clients, et au sein de nos vendeurs. On pourrait par exemple peut-être envisager un Drive, si ça devient un service primordial pour nos clients que de leur fournir du vin, plus pour le symbole que pour le chiffre d’affaires. » Quant au poids financier du confinement, Jérôme Plantey avoue « ne pas être dans une angoisse de trésorerie, par rapport par exemple à des petits cavistes indépendants. Pour les salaires, on devrait normalement être aidés par l’État je pense, mais on a aussi plein d’autres charges qui ne seront pas rattrapées. » Sans oublier le manque-à-gagner éventuel sur des événements futurs déjà planifiés. « C’est délicat de savoir si on maintient, en prenant le risque de miser sur l’opération et de mettre les moyens pour, car bien souvent pas possible de s’organiser au dernier moment. »

Boutiques ouvertes avec pleines précautions à La Route des Vins
Pour l’heure, la Route des Vins, qui compte cinq points de vente entre Marseille et Aix-en-Provence, en zones commerciales mais aussi en centre-ville, ainsi qu’un site internet marchand, a pris la décision de laisser ses différents magasins ouverts. « Mais on ne sait pas trop jusqu’à quand » tempère, prudent, Sébastien Carle, le responsable des boutiques, masque et gants en place (photo ci-dessous). « En début de semaine, on a eu énormément de monde, notamment lundi où c’était monstrueux, et mardi matin. C’était pire que certains samedis d’affluence. J’ai la sensation que les gens faisaient des provisions, et peut-être que ce sera pareil dans à nouveau dans quinze jours… » Déjà, cette semaine, tous les vendeurs étaient équipés de masques et gants, appliquant prudemment les recommandations. « Évidemment, on laisse chacun libre de travailler ou de se mettre au chômage partiel », précise-t-il. Dès mercredi, la situation variait d’une boutique à l’autre, entre l’absence totale de client et jusqu’à 40 clients échelonnés dans la journée. Cette tendance s’est confirmée en cette fin de semaine, globalement « très calme, avec encore moins de clients en zone commerciale qu’en centre-ville, où le commerce de proximité joue son rôle. Il fallait s’y attendre, les gens ayant fait des stocks. » Dans ce contexte si particulier, « on a adapté les horaires et on est dans un gros point d’interrogation, on attend de voir, on observe, car personne ne peut savoir pour la suite des événements. Peut-être les gens vont-ils aller faire leurs courses dans les hyper et supermarchés et prendre le vin en même temps, je ne sais pas. Une chose est sûre en tout cas, on ne va pas rester ouverts pour rester ouverts. » L’alternative pourrait être le site internet marchand (www.laroutedesvins.com), même si, pour l’instant, il n’enregistre pas d’augmentation notoire d’affluence. « Ça nous inquiète un peu. Il est vrai qu’on a pas encore travaillé la communication autour du site, mais on pensait qu’il y aurait un report de commandes. On espère que si on doit fermer, ce sera le cas… »