Accueil Dans les Hauts-de-France, la vigne prend pied avec le réchauffement climatique

Dans les Hauts-de-France, la vigne prend pied avec le réchauffement climatique

Crédit Photo : Pépinières Guillaume-Charles Collet

Auteur

AFP

Date

10.10.2020

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« C’est une culture plus noble que la betterave ou les céréales » : le Picard Nicolas Pinchon a les yeux qui brillent devant ses toutes jeunes vignes, pas si incongrues dans son exploitation de l’Aisne quand le changement climatique bouscule les modèles agricoles.

« Ça, c’est un paysage typique de la région ». D’un geste, l’agriculteur de Dallon embrasse la vaste plaine qui s’étend sous un ciel plombé, où se côtoient champs de betteraves et de colza. Et « ça, beaucoup moins ! », sourit-il en se retournant vers sa parcelle d’un hectare de vignes, plantée en mai dernier. Derrière les quelque 5.000 pieds de vignes se découpe la silhouette d’une église en briques et à l’horizon la basilique de Saint-Quentin. Point de coteaux, mais un néo-viticulteur débordant d’enthousiasme. Depuis trois générations, la famille de Nicolas Pinchon cultive blé, colza et betteraves sur cette exploitation de 180 hectares. Avec la vigne, lui s’engage dans une nouvelle aventure « pour 30 ans, sans avoir énormément de recul sur la vigne dans la région » mais avec « la certitude qu’on est capable de faire du vin un peu partout en France ».

Avec neuf autres agriculteurs répartis entre l’Aisne, la Somme, le Nord et le Pas-de-Calais, il participe à la première phase du projet du négociant agricole Ternoveo consistant à créer une filière viticole dans les Hauts-de-France. Seize hectares ont déjà été plantés sur les 200 qui doivent l’être. Objectif: produire à terme un million de bouteilles d’un vin « de qualité » de cépage chardonnay, avec une certification « haute valeur environnementale ».

Première vendange en 2022

« On a commencé à s’apercevoir que le modèle agricole des Haut-de-France, pour ne pas dire français, était en train d’évoluer, et pas dans le bon sens », explique Xavier Harlé, le directeur général de Ternoveo. « On le voit pour la moisson. Il y a 25, 30 ans, par ici elle commençait en août, maintenant tout est fini pour le mois d’août : on a des preuves factuelles du réchauffement climatique », souligne M. Harlé. « Au sud [des Hauts-de-France], il y a la Champagne. Au nord, la Belgique développe du vin pétillant et tranquille, le Kent (Angleterre) aussi », liste-t-il.

Ternoveo, qui aménage un chais et s’occupera de la vinification, prévoit une première vendange en 2022. Depuis 2016, un assouplissement du dispositif d’autorisations facilite la plantation de vignoble en France, y compris pour produire des vins sans indication géographique (AOP ou IGP). Si la vigne est déjà présente dans le sud de l’Aisne, où quelque 3.300 hectares font partie de l’AOC champagne, la chambre d’agriculture ne dispose pas de chiffre globaux pour les Hauts-de-France, où jusqu’à présent de petites plantations dispersées, notamment sur des terrils, ne constituaient pas une filière organisée. « On voit bien que les agriculteurs se posent beaucoup de questions sur la rentabilité de demain. Certains se dirigent vers la vigne », y explique-t-on, tout en jugeant que cet engouement reste « anecdotique ».

Page blanche

Pour Nicolas Pinchon, qui a investi 30.000 euros, la vigne représente à la fois un moyen de renouer avec une agriculture plus manuelle et plus proche du consommateur et de s’adapter au changement climatique. « Les betteraves ont énormément souffert cette année. On s’attend à 25 ou 30% de rendement en moins à cause de la sécheresse », déjà trois années consécutives, explique-t-il. A l’inverse, « la vigne n’a pas du tout souffert, c’est une culture beaucoup plus adaptée à des conditions extrêmes ».

« Pouvoir installer un nouveau vignoble sur une page blanche est un atout pour s’adapter aux évolutions du climat », estime Romain Lefevre, expert viticole au sein du cabinet Vinelyss, qui conseille Ternoveo. En outre, « les vignes qui ne sont pas soumises à une appellation pourront mieux s’y adapter », grâce à un cahier des charges plus souple.

Selon le climatologue Hervé Quenol, « on observe une remontée vers le Nord des zones de culture potentielle de la vigne ». La Bretagne, où des vignobles commerciaux apparaissent également, connaît ainsi des températures équivalentes à celles de l’Anjou il y a 50 ans. À Ternoveo, on parie sur un climat identique à celui de la Bourgogne il y a 25 ans d’ici une dizaine d’années dans les Hauts-de-France.