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[Entretien] Faut-il investir dans les vieux champagnes ?

Magnum de Salon 1971, bientôt mis aux enchères par la Maison de ventes Besch Cannes Auction

Auteur

Yves
Tesson

Date

28.11.2022

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L’aptitude extraordinaire du champagne aux très longs vieillissements est restée pendant des années le secret de quelques amateurs éclairés. La tendance se renverse. En témoigne la place grandissante des vieux champagnes sur le marché des ventes aux enchères. Nous sommes allés rencontrer Pascal Kuzniewski, expert agréé par le Conseil des Ventes Volontaires auprès des commissaires-priseurs, pour mieux comprendre cet engouement.

Qui sont les vendeurs de vieux champagnes ?

On a peu de lots massifs. Les vendeurs sont majoritairement des personnes qui possèdent des caves en Champagne, qui ont acheté des millésimés à une époque lointaine, en ont bu une partie, continuent à en boire, mais décident de se séparer de quelques bouteilles. Champenois d’origine, je me souviens que tous les repas de famille s’y faisaient au champagne. Il y a donc eu énormément d’achats. L’avantage, c’est que dans cette région, tout comme en Bourgogne, les caves sont idéales pour la conservation. Il peut y avoir des restaurateurs, mais c’est très rare. Peu détiennent des champagnes anciens, parce que c’est un vin qui s’écoule rapidement. Certains restaurants de prestige en possèdent, mais ils tiennent à les garder. Dans le cadre de liquidations, cela peut arriver, mais les liquidations touchent surtout des restaurants de création récente et pour détenir de vieux champagnes, il faut avoir une certaine ancienneté…

Comment faites-vous pour vous assurer de la qualité des lots ?

Il faut d’abord s’assurer des conditions de conservation, donc se rendre sur place et visiter la cave, discuter directement avec le vendeur... J’essaie d’identifier l’origine du lot, d’avoir une traçabilité. J’ai des confrères qui ont peut-être tendance à trop manipuler ces vieilles bouteilles, en leur mettant la tête en bas pour vérifier le niveau. Pour ma part, je préfère les incliner et utiliser comme repère la collerette. Il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas un voile et tenter d’évaluer s’il reste de l’effervescence. En bougeant légèrement la bouteille, on peut regarder s’il y a des remontées de gaz. On s’assure aussi de l’absence de coulures sur la coiffe, même si sur le plan de l’effervescence, cela ne constitue pas une garantie : on peut avoir des niveaux parfaits et une effervescence qui a disparu.

Qui sont les acheteurs ?

On trouve peu de vraies collections de champagnes, à la différence des collections de vins et celles qui existent ont été constituées par des amateurs, sans calcul. Il faut se rappeler que pendant longtemps, on considérait que le champagne n’était pas fait pour vieillir, qu’il devait être consommé immédiatement après l’achat. Celui qui achetait par exemple un millésime 1988 en 1995, le revendait quasiment le même prix cinq ans plus tard. Dans les enchères, la place des vieux champagnes était très restreinte, alors que Bordeaux représentait 90 % des ventes. C’est ce qui a changé ces dernières années, Bordeaux ne représente plus que 30 à 35 % des lots, et cela s’est fait au profit des champagnes et des bourgognes. Les gens sont à la recherche de nouvelles expériences, de nouveaux goûts. Il y a aussi eu tout un travail de vulgarisation sur les vieux champagnes opéré par des prescripteurs comme Richard Juhlin. Les amateurs ont l’impression d’être passés à côté de quelque chose et y retournent, un peu comme on reviendrait contempler un monument que l’on a ignoré par négligence. Du même coup les prix commencent à s’envoler attirant les investisseurs et les spéculateurs. Aujourd’hui, quelqu’un qui achète six bouteilles de Dom Pérignon à chacun de ses enfants, réalise un placement de bon père de famille. Ces lots gagneront cinq à dix pourcents par an. C’est mieux qu’un livret d’épargne ! Ceux qui achètent le plus de vieux champagnes sont les Scandinaves, les Anglais, et les Américains. Le marché asiatique n’est pas encore très concerné.

Existe-t-il beaucoup de contrefaçons ?

Aujourd’hui, on a peu de contrefaçon alors que sur les autres vins, cela se développe beaucoup. Je me bats contre les commissaires-priseurs qui mettent en vente des bouteilles vides ou à moitié vides. On peut craindre qu’elles ne soient rachetées que pour être re-remplies. Dans le cas du champagne, c’est plus difficile à faire, il y a la résistance du bouchon, la pose de la coiffe…. Pour ma part, lorsque j’expertise des bouteilles qui ne sont pas entièrement pleines, j’indique le niveau dessus et je signe sur l’étiquette. C’est mon NFT !

On observe de plus en plus de maisons de champagne commercialiser directement leurs œnothèques ?

C’est intéressant pour le consommateur qui bénéficie alors d’une excellente garantie sur les conditions de conservation, et peut avoir des cuvées récemment dégorgées. Pour les maisons qui observent les prix de leurs vieux champagnes s’envoler, c’est une manière de récupérer au maximum ces marges, plutôt que de laisser d’autres opérateurs en profiter et réaliser des bénéfices bien supérieurs aux leurs alors qu’ils ne se sont pas levés à deux heures du matin pour surveiller les vignes. Certaines maisons de vente ont compris cette problématique et ne se cantonnent plus aux capitales, mais s’installent désormais au plus près des vignerons, dans des villes comme Beaune ou Bordeaux. Elles leur proposent, pour qu’ils puissent capter davantage cette marge, de vendre directement leurs vins, et offrent aux acheteurs des produits « en sortie de domaine » très fiables en termes de traçabilité et d’authenticité.

Terre de vins aime : La collection œnothèque d’Edouard Brun et son millésime 1996 (170€)