Accueil Loi Evin, une guerre de trente ans

Auteur

Yves
Tesson

Date

11.01.2021

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La loi Evin qui encadre la vente et la publicité du tabac et de l’alcool « fête » ses 30 ans. Dénoncée pendant longtemps par la filière vin, notamment comme attentatoire à la liberté d’expression, les débats semblent s’être apaisés avec le temps, en particulier grâce aux clarifications apportées par l’amendement de 2015.

En 1991, sous le gouvernement Rocard, l’assemblée nationale votait une loi proposée par le ministre de la santé Claude Evin. Ce texte visait à encadrer la communication et la vente du tabac et de l’alcool, deux produits qui tuaient chaque année 110.000 citoyens français. Face à ce fléau, l’un des objectifs était de réduire les inégalités sociales. On s’apercevait en effet que les populations les plus défavorisées étaient peu sensibles aux campagnes de prévention et, inversement, très sensibles à la publicité. Le phénomène était encore plus marqué chez les plus jeunes.

Inventorier ce qui est autorisé

L’originalité de cette loi et ce qui a contribué à son ambiguïté, c’est qu’au lieu d’énoncer ce qui est interdit, elle inventorie ce qui est autorisé. Pour l’alcool, elle admet la publicité par voie d’affichage ou dans la presse écrite et à la radio, mais ne retient pas le cinéma et la télévision. Elle prohibe les parrainages (importants dans le monde du sport) lorsqu’ils sont à visée publicitaire. Elle encadre aussi les contenus qui doivent se limiter à des éléments descriptifs, comme la méthode d’élaboration, mais rien qui puisse renvoyer à la réussite, aux sensations, à la convivialité. Impossible par exemple de présenter un consommateur en train de boire du vin. Au final, les seules personnes qui pourront figurer sont les professionnels eux-mêmes : le sommelier, le vigneron… Évidemment, quand la famille exploitant le domaine compte parmi ses membres une belle jeune femme ou un beau jeune homme, cela devient un avantage non négligeable.

Le flou que laisse parfois cette loi contraint les publicitaires à l’autocensure. On n’est jamais certain d’être dans la ligne, et les jugements tombent souvent dans le procès d’intentions, même si celles-ci n’étaient pas forcément conscientes. La marque Ricard fut condamnée pour sa campagne « Un Ricard, des rencontres », qui faisait référence à des associations avec différents ingrédients, mais qui pouvait avoir un double sens, suggérant des rencontres personnelles et la notion de convivialité.

Un autre problème vient de l’absence de définition de ce que l’on entend par publicité. C’est ainsi qu’en 2004, la cour de Cassation condamne les illustrations d’un article d’un magazine portant sur le grand prix de Formule 1 d’Australie, où sont visibles, derrière les coureurs, des publicités pour des boissons alcooliques. La justice estime qu’il s’agit d’une forme de publicité indirecte. Pour définir une publicité, on ne tient pas compte de la finalité (ici l’illustration informative d’un événement sportif), mais d’abord de l’effet. Les contenus rédactionnels eux-mêmes peuvent être attaqués. En 2007, le Tribunal de Grande Instance de Paris estime illégaux des articles louant les qualités de vins de Champagne sélectionnés par des journalistes. Il n’y a pourtant aucune transaction derrière. C’est littéralement la liberté d’expression qui est remise en cause.

L’amendement de 2015

En 2015, un amendement vient clarifier la loi Evin et permet de différencier information et publicité, sécurisant le travail des journalistes. L’objectif est aussi de faciliter la promotion de l’œnotourisme, alors que le gouvernement souhaite en faire l’un des pôles d’excellence nationale et que les collectivités publiques elles-mêmes se retrouvent entravées dans leur communication. « Ne sont pas considérés comme une publicité ou une propagande, au sens du présent chapitre, les contenus, images, représentations, descriptions, commentaires ou références relatifs à une région de production, à une toponymie, à une référence ou à une indication géographique, à un terroir, à un itinéraire, à une zone de production, au savoir-faire, à l’histoire ou au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d’une identification de la qualité ou de l’origine (…) » L’amendement est adopté en dépit de l’opposition de la ministre de la santé Marisol Touraine et de Claude Evin, jugeant pour sa part que c’est « le marché de la publicité qui est en jeu », et non « l’intérêt des viticulteurs » (interview de la Champagne viticole).

L’honnêteté intellectuelle nous oblige à constater certains effets positifs de la loi Evin sur la filière. D’abord parce qu’en posant des règles, elle a stimulé la créativité des communiquants. Mais aussi parce qu’en interdisant toutes les références au glamour, à la convivialité, à la festivité, elle a recentré la publicité sur le produit lui-même, le savoir-faire, ce qui a sans doute contribué à une montée en gamme de nombreux vignobles. Dans sa forme actuelle, elle n’est d’ailleurs plus guère contestée par des professionnels eux-mêmes conscients de la nécessité de protéger la santé de leurs concitoyens. Lorsqu’en 2020 des sénateurs ont suggéré d’assouplir la loi Evin pour soutenir le sport français, les Brasseurs de France, la Fédération française des spiritueux et la Fédération française des vins d’apéritif s’y sont montrés hostiles.