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Y a t-il une vie après Michel Rolland ?

(Photos M. Boudot)

Auteur

La
rédaction

Date

08.11.2018

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L’infatigable « flying winemaker » s’est confié à Terre de Vins sur son parcours… et sur sa relève. Morceaux choisi d’un entretien à retrouver en intégralité dans notre n°56, actuellement dans les kiosques.

Entre les voyages en Amérique latine et aux Etats-Unis, l’entretien avait été difficile à caler. Objectif : parler de succession, de transmission, d’après Michel Rolland. Pas facile. Avec 46 vendanges au compteur, Michel Rolland, THE « flying winemaker » made in Bordeaux, envisage t-il de passer la main ? Sur le terrain, Julien Viaud, l’un de ses plus proches collaborateurs, marque des points : il est observé avec attention dans le monde des propriétés. Le jeune quadra a étudié à Montpellier et fait ses armes en Roussillon, mais en enfant de Libourne, ne cache pas son intérêt pour entrer au capital et reprendre la structure. Il sait aussi que le vin est une culture du temps long. Un projet qui doit s’inscrire dans la durée, malgré les 71 ans du patron, plein d’énergie et de charisme – deux qualités qui ont aussi forgé son succès. Rencontre avec les deux hommes, le boss et la relève, confidences et verbe haut, comme Michel Rolland en a le secret.

Une expérience inégalée
« Ce sont mes 46èmes vendanges à Bordeaux. En incluant l’hémisphère Sud, j’en ai connu 77. Tout a commencé quand j’ai obtenu mon diplôme d’œnologue et je me suis associé au laboratoire Chevrier (que nous avons repris trois ans plus tard avec mon épouse Dany). A cette époque, l’œnologie se résumait aux analyses. J’ai pris le contrepied, j’ai commencé à tout goûter, à aller sur le terrain. C’était en 1973 et je peux vous dire que ce n’était pas une sinécure, il y en avait des merdes ! Mais ça m’a formé. »
« C’est au fil des décennies que le consulting s’est développé. Aujourd’hui les laboratoires Rolland rassemblent environ 250 clients à travers le monde (180 français), dans une vingtaine de pays. Ce que nous offrons, c’est un savoir-faire, une expérience, une vision que personne ne peut avoir : celle d’avoir contribué à vinifier dans une vingtaine de pays, sur des milliers de cuves, depuis plus de 45 ans. Il fallait être un peu fou pour faire ça, et je l’étais. »

Un chef d’équipe
« J’ai six collaborateurs consultants à mes côtés (plus les équipes du laboratoire), dont Julien Viaud qui est aujourd’hui avec nous. Pendant 20 ans j’ai travaillé surtout seul, je gérais jusqu’à 125 dossiers ; or en 1991 le gel a durement frappé Bordeaux, et comme le chiffre d’affaires du laboratoire s’est en fortement ressenti, on s’est retrouvé en situation délicate. C’est là que j’ai vraiment commencé à développer le consulting étranger, et ça a si bien marché qu’en 1997-1998 j’ai recruté de jeunes collaborateurs pour renforcer mon activité. Comme quoi, une crise, on en meurt ou on en sort renforcé. »

Un « style Rolland » ou une « école Rolland » ?
« Julien le dit lui-même, s’il y a une école Rolland, c’est celle du bon sens. On est face à des gens qu’il faut convaincre, et il ne faut pas céder à la facilité de toujours leur donner raison. Il faut aller dans le sens du meilleur vin. L’école Rolland c’est « t’as peut-être raison, mais on va quand même faire ce que je te dis » (rires) »
« Au-delà de ça, j’ai eu un gros problème dans ma vie, c’est le terroir. Quand il est là, c’est toujours lui qui commande, jamais l’œnologue. On fait le vin qui correspond à son origine. Alors parfois, on peut le faire mal. On connaît un grand château à Bordeaux qui a fait des vins dégueulasses pendant des années sur un immense terroir : Margaux de 1962 à 1977. Il y en a d’autres. Mais sur la durée, les grands terroirs ne mentent jamais. »

Un fils spirituel ?
« Julien c’est une belle histoire, je l’ai « rattrapé par les oreilles » en quelque sorte. Je cherchais un nouveau collaborateur en 2006 et j’avais une pile de candidatures sur mon bureau. Un soir, je suis appelé par un ami, Cyril de Bournet de Casa Lapostolle au Chili, qui me parle d’un neveu ingénieur agro et œnologue qui cherche du boulot. La rencontre s’est faite, et Julien n’est pas reparti. »
« Je n’ai « adoubé » personne, ce serait faux de dire cela, mais il est celui avec lequel je partage le plus de dossiers ; on travaille très souvent ensemble, il gère de nombreux clients à l’étranger, récemment il a repris le consulting sur Clos de los Siete, cette réussite argentine qui me tient très à cœur. Ce n’est pas une transmission anodine, c’est le signe qu’il a ma confiance ».

Julien Viaud : son témoignage « dans les pas de Rolland »
« On ne peut pas parler de succession. On discute beaucoup avec Michel : comme il vous l’a dit, il ne veut pas s’arrêter – et nous on ne veut pas qu’il s’arrête non plus. Il ne s’agit pas d’une histoire à démarrer de zéro, on parle de la continuité de quelque chose qu’il a lancé il y a 46 ans. Nous, on poursuit une histoire, un héritage. »
« Plus il sera là et plus je serai tranquillisé. On a toujours besoin d’une telle présence à ses côtés, et on a la chance de travailler en bonne synergie. Quand on bosse bien il sait le dire, et quand ça va moins bien il sait le dire aussi. Mais quand Michel Rolland vient te dire « ton assemblage de merlot, je ne ferais pas mieux », ça fait plaisir. »
« Quand on est jeune, on a envie de faire ses preuves. Aujourd’hui je suis une quarantaine de clients (France, Inde, Russie, Liban, Chili, Argentine, Uruguay, Italie) mais c’est sûr qu’on en veut toujours plus. En tout cas il ne faut pas essayer d’imiter Michel Rolland, ni son caractère ni sa personnalité : il faut faire ses preuves, apprendre, se battre, apporter une plus-value, en restant soi-même. On verra pour la suite. »

Propos recueillis par Rodolphe Wartel et Mathieu Doumenge. Photos Michael Boudot.
A lire en intégralité dans « Terre de Vins » n°56.