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Confinement : prenons le temps de décanter

Auteur

Isabelle
Bachelard

Date

29.03.2020

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Toujours pressés par le temps qui manque, les amateurs négligent souvent de décanter. Le confinement donne l’occasion d’utiliser cette technique pour mettre en valeur les beaux vins rouges de sa cave. Et pas seulement les plus anciens.

La décantation a longtemps été utile pour servir des vins rouges d’un certain âge sans que le dépôt naturel ne se retrouve dans les verres. Aujourd’hui les vinifications produisent des vins qui déposent beaucoup moins. Et surtout on a pris l’habitude de boire les vins de plus en plus jeunes. Ce n’est pas une raison pour se priver de décanter, une technique qui réussit aux vins jeunes comme aux anciens, mais de façon extrêmement différente.

Précaution avec les vins anciens
Les vins d’un certain âge et des meilleures origines déposent naturellement dans les bouteilles. Parfois, le dépôt finit par coller au verre, on dit que la bouteille est chemisée. Le plus souvent, le dépôt n’attend qu’une chose, qu’on bouge la bouteille, pour se disperser dans le liquide. C’est dommage, mais pas dramatique. L’amateur patient attendra quelques minutes que le dépôt tombe au fond de son verre. Mais bien-sûr il ne pourra pas le savourer jusqu’à la dernière goutte.
Idéalement, la décantation ne s’improvise pas. Il faut prévoir et mettre debout à la cave quelques jours d’avance, ou au moins le matin pour le soir, les bouteilles prévues. Si elles sont conservées dans une cave-armoire et que la place manque pour les y placer verticalement, le mieux est de sortir les flacons et de les laisser debout dans une pièce fraîche, au niveau du sol. La question de température n’est pas négligeable, car il serait inutile de se donner du mal pour servir un vin brillant, mais tiède. Dans un appartement surchauffé, on peut placer la carafe un moment dans le réfrigérateur avant de décanter.

Le geste idéal
Il faut d’abord réunir le matériel sur une table ou mieux un comptoir un peu haut, afin de bien voir ce qu’on fait : une carafe rincée à l’eau et avinée avec un peu d’un autre vin correct, une bougie non parfumée, plutôt dans un bougeoir haut et le vin vénérable, débouché délicatement sans bousculer la bouteille. La bougie n’est pas un gadget. Elle sert véritablement à éclairer le goulot de la bouteille et à voir le vin qui y passe, raison pour laquelle il faut parfois couper la bougie pour que la flamme se trouve à peu près à l’horizontale du haut de la carafe. On transvase donc doucement le vin depuis la bouteille jusque dans la carafe, ni trop vite ni trop lentement, jusqu’à l’instant où l’on voit un peu de dépôt apparaître dans la lueur de la bougie. Si la bouteille a été mise debout comme il faut, on ne perd que quelques centilitres de liquide, qui alimentent idéalement le vinaigrier. Certains amateurs ont essayé de remplacer la bougie par une lampe, y compris celle d’un téléphone. Cela ne semble pas bien fonctionner, car la source de lumière n’est jamais à la bonne distance et s’avère soit trop violente, soit trop diffuse.
On conseille souvent d’aviner la carafe avec le même vin, ce qui est théoriquement idéal, mais pas vraiment réalisable sans assistance - et qu’en période de confinement, personne ne se trouve dans un rayon d’un mètre. En effet lorsqu’on s’interrompt pour vider les quelques gouttes "d'avinage" avec une main, il faut être sûr de pouvoir maintenir la bouteille horizontale de l’autre main.

Au dernier moment
Dans le cas où l’envie d’ouvrir une grande bouteille d’âge certain arrive au dernier moment, parce que le menu qui se prépare vous inspire, il y a une solution de rattrapage. Vous allez dans votre cave ou auprès de votre armoire, armé de votre carafe et votre bougie. Soit vous êtes assez habile pour déboucher la bouteille à l’horizontale, soit vous la mettez debout extrêmement délicatement. L’important est de décanter sur place.
Le vin sera peut être légèrement troublé, vous en perdrez peut être un peu plus, mais vous pourrez dîner tranquillement en prenant votre temps. Le dernier verre sera le plus brillant.
Certains manuels recommandent de servir le vin dans un panier à bouteille qui laisse le vin horizontal. L’expérience est le plus souvent désastreuse, car le dépôt se déplace pendant tout le repas comme si on était dans un bateau.

Aérer les vins jeunes et les blancs
Dans le cas des vins rouges jeunes et des blancs, la décantation ne sert pas du tout à rendre le vin brillant, mais à l’oxygéner. Cela permet aux parfums de s’exprimer, de prendre de l’ampleur et, dans le cas de cépages réducteurs, de faire disparaître des notes animales déplaisantes. Nombre de vins du Languedoc et du Rhône, qui font la part belle à la syrah, gagneront à être mis en carafe plusieurs heures d’avance. Quant aux champagnes, il est aussi possible de les décanter, ne serait-ce que pour voir leur jolie couleur à travers le cristal d’une jolie carafe. N’ayez pas peur de perdre les bulles, elles se conservent largement le temps d’un repas.

Le bon moment
Le moment idéal pour décanter un vin ancien est un point qui alimente les discussions depuis toujours. il est certain que pour décanter dans de bonnes conditions, il faut le faire tranquillement, donc avant le début du repas. Théoriquement, plus le vin sera vieux, plus il est prévisible que sa vie au grand air sera limitée dans le temps. Il n’y a pas de règle impérative, mais on s’accorde généralement sur un délai de 10 minutes à une heure pour que le vin soit à son apogée, exception pour les antiquités, qu’on décante et déguste aussitôt. L’expert Michael Broadbent nota par exemple que le château Lafite du bon millésime 1906 était "encore agréable, tendre, savoureux" (en 1988) mais qu’il fallait "le boire dès qu’il est servi". Si le vin n’est pas parfaitement épanoui malgré la décantation, vous attendrez un peu et il s’ouvrira dans le verre. Après tout, avec le confinement, vous avez le temps.