Vendredi 6 Juin 2025
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04.06.2025
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Au cœur de l’effervescence de la Grande Dégustation Primeurs, hier soir, une cinquantaine de privilégiés ont eu l’occasion d’assister à une masterclass au Palais de la Bourse de Bordeaux. Animée par Mathieu Doumenge, rédacteur en chef de Terre de Vins, Omar Barbosa – Meilleur Sommelier de Bordeaux et double Meilleur Sommelier du Mexique en 2011 et 2013 – ainsi que Stéphanie de Boüard-Rivoal, propriétaire du Château Angélus, cette session a offert un moment rare de partage et de transmission autour d’un cru mythique de la rive droite.
« Château Angélus est une propriété familiale qui appartient à ma famille depuis plus de 240 ans. Je suis la huitième génération à diriger ce domaine, ayant pris la relève en 2012 lorsque mon père m’a transmis le flambeau. Aujourd’hui, Angélus est une propriété emblématique de la rive droite, située à Saint-Émilion, avec 130 hectares, ce qui en fait l’une des plus importantes de l’appellation », explique Stéphanie de Boüard-Rivoal. Le nom du Château Angélus s’inspire directement de la prière catholique de l’Angélus, célébrée trois fois par jour : à 7h, midi et 19h. Sur une parcelle du coteau nord, dans un amphithéâtre naturel, on peut encore entendre aujourd’hui les cloches de trois édifices : l’église de Saint-Émilion, la chapelle de Madrin (désormais désacralisée) et l’église de Saint-Martin. Cette parcelle, appelée Clos d’Angélus, a été rachetée en 1922 par l’arrière-grand-père de Stéphanie et intégrée au domaine. Ce lieu unique a inspiré le nom de Château Angélus, un hommage à son histoire et aux sons qui l’entourent. « Nous sommes situés au sud de Saint-Émilion, sur un terroir unique composé de deux types de sols distincts. La partie sud-sud-ouest de la propriété est dédiée aux cabernets francs, localement appelés bouchet. Ce cépage occupe une place importante chez nous, en clin d’œil à Élisabeth Bouchet, une figure marquante du domaine, qui partage le même nom », explique Stéphanie. Les merlots, cultivés sur la partie nord-nord-ouest, s’épanouissent sur des argiles plus froides et profondes, notamment des argiles bleues situées sur les coteaux. La complémentarité entre ces deux cépages constitue la signature du domaine : « Les cabernets francs confèrent puissance et finesse, tandis que les merlots offrent une rondeur et une richesse aromatique exceptionnelles », précise-t-elle.
La dégustation a débuté avec le Château Angélus 2014. « C’est un millésime très particulier, composé à parts égales de cabernet franc et de merlot. Il est aussi symbolique puisqu’il s’agit du 30ᵉ millésime de mon père, Hubert de Boüard. Pour lui rendre hommage, j’ai apposé le chiffre 30 sur plusieurs endroits de l’étiquette », raconte Stéphanie de Boüard-Rivoal. Omar Barbosa a décrit ce vin avec enthousiasme : « Ce qui est fascinant, c’est sa complexité aromatique. On y retrouve des fruits noirs mûrs, comme le cassis et la prune, accompagnés de notes de tabac, de boîte à cigares, et d’épices douces telles que la cannelle et la vanille. Après aération, des touches de sous-bois et de champignons apparaissent. En bouche, les tanins sont bien intégrés, avec une finale élégante sur des notes de cardamome et d’épices exotiques. Ce vin se marie à merveille avec des plats élaborés, comme un lièvre à la royale, dont la préparation prolongée sublime les saveurs. »
Le Château Angélus 2016, présenté ensuite, a marqué un tournant pour la propriétaire : « Ce millésime est spécial pour moi. C’est l’année où j’ai véritablement apposé ma marque sur le style du vin. 2016 est aussi l’année de naissance de mon premier enfant, une période intense et émotionnelle. Cela m’a aussi amenée à réfléchir à ce que je pouvais apporter de nouveau au domaine, tout en respectant les fondamentaux établis par mon père. », confie Stéphanie. Elle explique les innovations apportées : « Nous avons introduit des foudres pour compléter les barriques neuves, ce qui permet une meilleure intégration du bois dès les premiers jours de vie du vin, en particulier pour nos cabernets francs. Mon objectif était d’apporter davantage de précision et d’élégance tout en conservant l’identité forte d'Angelus. » Omar Barbosa a décrit ce millésime avec précision : « On y découvre des fruits noirs confiturés, comme la myrtille et la griotte, mêlés à des notes de tabac et d’épices douces. En bouche, il offre un équilibre parfait entre puissance et fraîcheur, grâce à la tension apportée par les cabernets francs. Ce vin s’associe idéalement avec des plats structurés, tels qu’un pigeon fumé au sarment de vigne ou un risotto à la truffe. »
Le Tempo d’Angélus 2022 a ensuite été dévoilé, présenté comme « le dernier bébé de la galaxie Angélus » par Stéphanie. « Ce vin, expressif et gourmand, révèle des arômes de cerise, de framboise et de cranberry, avec une belle fraîcheur et une harmonie remarquable. C’est une porte d’entrée idéale pour découvrir le style Angélus », souligne-t-elle. Le Meilleur Sommelier de Bordeaux 2023 ajoute : « Ce vin procure un plaisir immédiat. Il se distingue par sa profondeur et son intensité aromatique, avec des notes de mûre, de cassis et un soupçon de réglisse. »
Le quatrième vin, le Carillon d'Angélus 2022 révèle « un caractère immédiatement accessible, tout en offrant une profondeur remarquable. Son ouverture est déjà généreuse, marquée par une intensité aromatique qui interpelle. On y retrouve un profil affirmé de fruits noirs, tels que la mûre et le cassis, accompagné de nuances de réglisse qui enrichissent sa complexité. Ce côté fumé subtil, presque intrigant, apporte une dimension supplémentaire, amplifiant le charme et l’élégance de l’ensemble. » dévoile Omar. C’est une expérience gustative à la fois précise et expressive, qui allie richesse et sophistication avec brio. Ce vin est issu notamment de pieds de cabernet franc plantés en 1945. Grâce à un système racinaire profondément développé, ces vignes ont pu puiser eau et minéraux en profondeur, aidées par un hiver pluvieux et des couverts végétaux en surface qui ont maintenu fraîcheur et humidité.
Enfin, « La cuvée 2022 du Château Angélus que nous avons nommée Le Majestueux, célèbre la fin d’un cycle et le début d’un nouveau. La bouteille arbore un design unique en or et nacre, symbolisant la révolution de la Terre et le passage du temps. Cet assemblage classique, composé majoritairement de merlot et de cabernet franc, reflète une harmonie parfaite entre puissance et élégance, avec une longueur en bouche impressionnante », explique Stéphanie de Boüard-Rivoal. Omar Barbosa décrit ce vin avec précision : « Il dévoile une palette aromatique concentrée de fruits noirs, presque confiturés, soutenue par des notes subtiles de girofle, de vanille et d'épices fines, issues d’un élevage maîtrisé. En bouche, il est puissant et dynamique, équilibré par une fraîcheur marquée. Pour les accords mets et vins, ce millésime s’accommode magnifiquement avec des viandes comme un carré ou une selle d’agneau en croûte d’herbes. Côté végétarien, un chou-fleur rôti accompagné d’une déclinaison de betteraves et d’une réduction de vin rouge formerait une alliance élégante. Pour les amateurs de fromage, un comté affiné 24 mois, relevé d’un chutney de figues au vin rouge, viendrait sublimer le vin tout en respectant son profil." Ce 2022, encore jeune, promet une belle évolution sur plusieurs décennies, offrant dès maintenant un plaisir immédiat et la perspective d'une garde remarquable.
Stéphanie a conclu en évoquant les défis à venir, notamment pour le millésime 2025 : « Cette année marque un changement, avec une absence de gel pour la première fois depuis plusieurs années. Toutefois, le printemps reste une période cruciale qui exige vigilance et rigueur. Certains prédisent la disparition du merlot d’ici vingt ans, mais je n’y crois pas. La vigne et nos pratiques évoluent pour préserver l’équilibre entre richesse et finesse. » Elle insiste sur l’importance de l’adaptation : « Cet équilibre entre le sol, le climat, la main de l’homme et les cépages est essentiel pour produire des vins d’exception. C’est notre plus grand défi. »
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