Accueil Dégustation Botrytis : le super-pouvoir des vins liquoreux

Auteur

Anne
Serres

Date

19.05.2016

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Connaissez-vous le Botrytis Cinerea ? Nous devons à ce champignon microscopique des pertes de vendanges conséquentes quand il se manifeste sous la forme de pourriture grise. Mais quand sa Majesté s’élève sous la forme de pourriture noble, elle donne quelques uns des plus grands vins du monde.

L’Institut des Masters of Wine a organisé la semaine dernière à Londres un séminaire dédié aux vins issus de raisins botrytisés. Ces vins sont dits « vins liquoreux » car leur teneur en sucre dépasse 45 g/litre. Pour obtenir ce style de vins, il faut concentrer les jus des raisins en leur enlevant une partie de l’eau contenue dans leur pulpe. Le botrytis est l’une des possibilités de faire. Il y en a d’autres. Mais le botrytis a la particularité d’être plus qu’un simple agent concentrateur.

Kesako le botrytis ?

Ce champignon microscopique est « le pionnier des funghi sur raisins sains » a résumé Fabrice Dubourdieu, le fils de Denis, œnologue également et en charge, notamment, des ventes du marketing des domaines familiaux au Royaume-Uni.

Le botrytis s’installe sur les peaux des raisins sains avant tous les autres champignons responsables de pourriture. Il produit une enzyme, la laccase, qui digère les cires protectrices qui recouvrent les baies de raisins. Les peaux fragilisées finissent par rompre et la porte est ouverte pour toutes les autres formes de pourriture, à commencer par le botrytis lui-même, qui prend alors la forme de pourriture grise. Ce scénario négatif se produit d’autant plus facilement que la peaux des raisins qu’il touche est fine. Mais chez certains cépages et dans des conditions météorologiques précises, les peaux demeurent intactes, mais considérablement plus perméables et l’eau des baies s’évapore, concentrant les jus qu’elles contiennent. Il faut pour cela des matins brumeux pour que le botrytis se développe et des après-midi ensoleillés (avec une brise légère si possible) pour l’interrompre et favoriser l’évaporation de l’eau.

On produit des vins botrytisés, entre autres : en Allemagne, à partir de Riesling (principalement), en Hongrie, à Tokaj, à partir de Fürmint et Harslevelu, en Alsace, avec les Sélections de Grains Nobles à base de Riesling, Gewurztraminer, Pinot Gris ou Muscat (les « cépages nobles ») et à Sauternes, avec le Sémillon, le Sauvignon blanc et la Muscadelle.

Amplificateur d’arômes

Présentant une sélection de Sauternes aux côtés de producteurs allemand, hongrois et alsacien, Fabrice Dubourdieu a expliqué que le botrytis n’est pas seulement un agent de concentration des jus. « Il fait passer les peaux de l’équivalent d’une veste en toile huilée, façon Barbour, à un t-shirt en coton léger… Mais le botrytis a un autre rôle : son attaque créée un stress pour la baie de raisin qui réagit en produisant une mycotoxine. Le botrytis est immunisé mais cette substance stimule le développement des thiols variétaux, qui font le potentiel aromatique des vins blancs, particulièrement du Sauvignon Blanc (le Sémillon en produit naturellement moins). » Le botrytis est donc un agent double : en plus d’être un concentrateur de jus, c’est un amplificateur d’arômes !

Des accords mets-vins à réinventer

Les vins liquoreux botrytisés ne sont pas très à la mode et leur commercialisation représente un défi pour les producteurs (compensé par leur rareté). « La douceur n’est pas le seul trait de caractère des vins botrytisés ! Nous devons dépoussiérer notre façon de les présenter et de les consommer, pour mettre en avant leur supplément d’âme et de complexité aromatique » a conclu Fabrice Dubourdieu, « Leur structure autant que leur registre varié de fruits et d’épices leur permettent de triompher dans des accords qu’aucun autre style de vin ne réussit, je pense aux fromages forts (qu’ils soient français ou anglais!) aux pâtes dures et/ou fleuries, aux fruits de mer particulièrement iodés comme les oursins ou les œufs de poisson et aux cuisines très épicées comme celle du Sichuan en Chine. Et qu’on ne me parle pas du sucre, ennemi de la ligne des buveurs : un verre de Sauternes coupe l’appétit pendant 25 minutes. Vous avez dans votre verre un coupe-faim à la fois savoureux et euphorisant et parfaitement sain. »