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Gérard Basset, les mots d’un maître

Auteur

La
rédaction

Date

17.01.2019

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Meilleur Sommelier du Monde en 2010, Gérard Basset s’est éteint hier matin. C’est un immense professionnel unanimement respecté et un grand ami de Terre de Vins qui nous a quittés. Alors que le monde du vin est en deuil, nous avons voulu le saluer une dernière fois, en images et en mots.

Gérard Basset était, depuis plusieurs années, un compagnon de route de Terre de Vins. Malgré les sollicitations innombrables auxquelles il était soumis aux quatre coins du monde, cet infatigable amoureux du vin mettait un point d’honneur à se rendre disponible pour jouer son rôle de pédagogue, de transmetteur, d’ambassadeur. Lui qui avait su surmonter toutes les difficultés pour atteindre, en 2010, le sacre de Meilleur Sommelier du Monde au Chili (l’un de ses nombreux titres, lui qui était sans nul doute le sommelier le plus « décoré » au monde), savait toujours faire preuve de patience et d’humilité lorsqu’il s’agissait de partager son expérience, expliquer, échanger. Il co-animait les Master Classes des grands événements Terre de Vins (Bordeaux Tasting, Lyon Tasting…) et avait participé à une série de vidéos « Le B-A-BA du vin » en 2011-2012. Nous retenons de lui l’image d’un homme exquis, chaleureux, plein d’humanité et d’humour. Quelques soirées un peu endiablées nous reviennent en mémoire, où le vin passait parfois au second plan pour laisser la vedette à son amour du football et… de la Guinness. Lorsqu’on est le plus britannique des sommeliers français, on ne se refait pas.

Retrouvez ci-dessous une interview qu’il nous avait accordée en 2012, à l’occasion de la première édition de Bordeaux Tasting. Il y revenait sur son parcours, sa vision du vin, toujours avec précision et simplicité. Il va beaucoup nous manquer.

Que vous évoque Bordeaux ?
C’est toujours un nom magique dans le monde entier. Il y a une histoire. De très grands vins. Et, si tout n’est pas parfait, c’est la région la plus importante. Ce qui ne signifie pas pour autant que c’est la meilleure.

Vous qui défendez le plaisir dans le vin, il n’y a pas de complexes à avoir lorsqu’on déguste…
Il ne faut pas se prendre la tête. Pour moi, l’art de la sommellerie, c’est de servir les vins avec le sourire et dans de bonnes conditions. Dans mon restaurant, si un client veut boire un yquem avec son filet de bœuf, nous allons tenter de l’aiguiller avec beaucoup de diplomatie vers un autre choix mais, s’il est sûr de lui et que c’est ce qu’il veut, il n’y a pas de problème. L’essentiel est qu’il soit heureux.

Vous êtes installé en Angleterre depuis trente ans et désormais citoyen britannique. Pourquoi ce choix ?
J’avais 17 ans quand j’ai quitté Saint-Étienne, en 1975. Ma mère avait des problèmes de santé, il lui fallait des endroits plus chauds. Elle a donc choisi Aix-en-Provence. C’était la grande époque du club de football de Saint-Étienne, dont j’étais supporteur. J’allais voir les matchs. Je les ai suivis à Glasgow, en Coupe d’Europe. Puis à Liverpool pour un quart de finale et là j’ai vraiment découvert la ville. On est allés dans des coins perdus. J’ai rencontré les gens. Et j’ai adoré. J’ai donc décidé d’y retourner. Il m’a fallu deux ans pour préparer ce départ. Je suis parti en 1979. À l’époque, je n’avais pas de métier, j’étais livreur d’électroménager. J’ai découvert l’hôtellerie là-bas, comme plongeur d’abord, puis comme serveur. C’est en Angleterre que je suis tombé amoureux de la restauration.

On se moque souvent de la cuisine des Anglais. Quels buveurs de vin sont-ils ?
Ils connaissent très bien le vin, beaucoup mieux que les Français. Dire le contraire, ce serait oublier qu’ils ont été propriétaires de Bordeaux pendant trois siècles. En Angleterre, vous trouvez tous les vins du monde. Pour le vin, c’est un endroit où on s’amuse. Je ne pourrais pas vivre ailleurs.

Comment la sommellerie est-elle arrivée dans votre vie ?
Après mon premier séjour en Angleterre, je suis rentré en France pour passer un CAP de serveur, puis celui de cuisinier, que j’ai dû présenter deux fois. Ensuite, je me suis dit que ce serait bien de connaître les vins. Pour être un bon maître d’hôtel, j’ai donc passé mon CAP de sommelier. Honnêtement, je l’ai eu de justesse. Peu de temps après, à mon retour en Angleterre, un concours de sommellerie était organisé. Mon patron m’a encouragé à me présenter. Je me suis préparé et j’ai atteint la finale. Mais j’étais le borgne au milieu des aveugles… Néanmoins, ça a été le déclic.

Jusqu’à être élu meilleur sommelier du monde, en 2010 au Chili. Sur quoi êtes-vous jugés ?
C’est une compétition en plusieurs parties. Il faut une grande connaissance des régions, des cépages, de la vinification. Ce qui suppose un travail de recherche, de mémoire et de compréhension. Ensuite, pour la dégustation, on vous teste sur la reconnaissance des cépages et des régions classiques, les accords mets et vins. Il faut savoir aussi se vendre. Ça demande beaucoup de discipline mentale et physique.

Quelle a été la question la plus difficile ?
On nous a donné des numéros de clones de pinot noir et, pour chacun, nous devions, par exemple, indiquer lequel produisait le plus de sucre. Quand vous avez appris 300 ou 400 cépages différents, des synonymes, des croisements et que vous arrivez à une question de ce type, ça fait tout drôle… Heureusement, j’avais fait un tour de la Californie six mois avant et on avait eu une dégustation de pinots noirs, de chardonnays et on nous avait expliqué les clones. J’ai réussi à m’en sortir.

L’image veut qu’un sommelier soit capable, à l’aveugle, de reconnaître un cépage, un terroir, le millésime…
Ça, c’est la légende. La dégustation à l’aveugle est une discipline extrêmement difficile. J’en ai fait des centaines et des centaines, j’ai dégusté plus de 4 000 vins à l’aveugle, malgré tout c’est comme le golf : il y a des jours où tout va bien et, la semaine d’après, tout va de travers. Bien sûr, il y a des vins très typés que l’on reconnaît, mais trouver, à l’aveugle, le cépage, la région et à peu près le millésime, c’est du folklore.

Vous qui avez une vision globale de la viticulture, quelles sont les régions qui vont nous surprendre dans les années à venir ?
Je dirais qu’il y a beaucoup d’énergie dans le Languedoc, en Nouvelle-Zélande, en Argentine. Des vins vont nous réserver de très belles surprises en Slovénie, en Croatie, ces pays qu’on commence tout juste à découvrir.

Propos recueillis par Jefferson Desport
Photos P. Martinez, D. Liens, JB Nadeau…