Mardi 15 Octobre 2024
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05.11.2020
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La dernière partie du mandat de Donald Trump aura vu les importations de vins français taxées très vigoureusement, entraînant une perte de 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’éventualité de l’élection de Joe Biden pourrait-elle changer la donne ? Terre de Vins est allé à la rencontre des professionnels pour recueillir leur sentiment.
Les taxations sur le vin sont directement liées au conflit qui oppose Boeing et Airbus. En 2019, considérant qu’Airbus bénéficiait de subventions publiques qui rendaient la concurrence déloyale, l’OMC a autorisé les États-Unis à taxer les produits européens jusqu’à hauteur de sept milliards de dollars. C’est ainsi que le vin français subit depuis une taxe douanière de 25%. La perspective d’un changement de pouvoir à la Maison Blanche ouvre-t-elle de nouveaux horizons ?
Prudence en Bourgogne où on doute que le résultat change entièrement la donne
En Bourgogne, où les États-Unis représentent un quart des exportations du vignoble, l’enjeu est de taille. La région a perdu là-bas 80 millions d’euros de chiffre d’affaires en 13 mois. Les premiers vins touchés sont les vins bon marché. « Quand vous passez aux consommateurs qui s’intéressent aux vins plus haut de gamme, la sensibilité au prix n’est plus la même » confie Gilles de Larouzière, président de la Maison Bouchard Père & Fils.
À la Fédération des négociants éleveurs en vins de Bourgogne, Albéric Bichot met en avant que la nouvelle décision de l’OMC au mois d’octobre d’autoriser également l’Union européenne à taxer à hauteur de quatre milliards les produits américains en vertu des crédits d’impôts que les États-Unis accordent à Boeing, pourrait pousser l’administration américaine à revenir à la table des négociations. Évidemment, l’élection de Joe Biden, a priori plus ouvert au dialogue, favoriserait le processus. Il ne faut cependant pas s’enflammer. Il a tout comme Donald Trump une base électorale à satisfaire et il s’agit davantage d’un affrontement entre deux blocs commerciaux qu’une question de personnes. « Le malheur c’est de voir que la filière vin s’est retrouvée prise en otage d’une affaire qui ne la concerne pas ». À ce titre, les Bourguignons réclament une indemnisation à l’Union européenne.
Au-delà des taxes, un autre élément du débat américain pourrait concerner le monde du vin : l’attitude à adopter à l’égard de l’épidémie. « Joe Biden a montré un niveau de préoccupation plus élevé concernant les mesures de distanciation. Mais tout ceci se joue plutôt au niveau des États. Néanmoins, la sensibilité exprimée par Joe Biden peut se traduire par des mesures incitatives et engager les États à adopter des règles restrictives ce qui serait mauvais pour nos affaires » indique Gilles de Larouzière.
Les Champenois préoccupés par le déni du réchauffement climatique
La Champagne, un temps menacée, a échappé à la taxation. Pour Jean-Marie Barillère, président de l’Union des Maisons de Champagne, la réélection éventuelle de Donald Trump suscite cependant des inquiétudes : rien n’indique que l’homme d’affaires ne poussera pas plus loin ses velléités protectionnistes. Les maisons lui sont reconnaissantes d’avoir dopé l’économie américaine et suscité par là-même une croissance des ventes de champagne : « en 2019 on a fait notre année record avec un chiffre d’affaires de 700 millions d’euros ». Mais, son déni des problématiques environnementales inquiète : « Pour nous, continuer à faire le meilleur vin du monde dans un climat qui se réchauffe n’est peut-être pas si évident, prendre en considération le fait qu’il se passe des choses sur la planète me paraît capital. On en est à la sixième vendange au mois d’août depuis 2000, alors qu’on en a eu aucune au cours du XXe siècle ! (…) Clairement, je préférerais un gouvernement qui se soucie d’une économie durable ».
Bordeaux : peu importe l’issue du scrutin, « le mal est fait »
Dans le Bordelais, Véronique Sanders, présidente du château Haut-Bailly, lui-même propriété d’une famille américaine, souligne l’arbitraire de cette taxation qui ne concerne que les vins de moins de quatorze degrés. « La rive droite où on privilégie le merlot et où on a des degrés plus élevés a moins souffert, alors que la rive gauche davantage tournée vers le cabernet-sauvignon a été très affectée ». À ses yeux, peu importe l’issue du scrutin, le mal est fait. « Sachant que les produits italiens n’ont pas été taxés et la nature ayant horreur du vide, on a perdu d’énormes parts de marché et cela va être très difficile à rattraper ».
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