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[INTERVIEW] Cédric Klapisch : « le vin, c’est un produit qui unit »

Auteur

Jean-Charles
Chapuzet

Date

07.06.2017

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Le réalisateur du « Péril Jeune » et de « L’Auberge espagnole » a choisi l’univers du vin et plus encore la Bourgogne pour son nouveau film, « Ce Qui Nous Lie », qui sera à l’affiche le 14 juin avec notamment l’acteur et vigneron de Meursault Jean-Marc Roulot.

Millésime 1961 et originaire de la région parisienne, Cédric Klapisch poursuit des études de littérature avant de goûter au cinéma. Remarqué en 1989 avec un court métrage, Ce qui me meut, il connaît son premier grand succès en 1995 avec « Le Péril Jeune », où se débat déjà Romain Duris. Suivront notamment « Un air de famille » (César du meilleur scénario) et la fameuse trilogie qui marquera toute une génération, « L’Auberge espagnole », « Les Poupées Russes » et « Casse-tête Chinois ». Avec « Ce Qui Nous Lie », Klapisch conserve le thème de l’émotion pour le situer dans des parcelles bourguignonnes et choisit d’en parler chez son caviste Les Caprices de l’instant (Paris, Quartier Bastille).

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Avez-vous regardé « Saint Amour » de Delépine et Kervern ?
J’ai adoré, je suis très fan de ce qu’ils font, le film est très réussi, très touchant. D’ailleurs, ce n’est pas tout à fait un film sur le vin.

Et le plus caricatural « Premiers Crus » avec Gérard Lanvin ?
Ça j’aime moins pour être franc…

Encore un film sur le vin, est-ce un sujet à la mode ?
Je suis parti du raisonnement contraire. Quand j’ai voulu faire ce film, il n’y en avait pas en France. Entre-temps, il y en a eu quelques-uns, notamment « Tu seras mon fils » de Gilles Legrand. Je ne sais pas si c’est à la mode, mais autour de ce produit on observe des phénomènes comme le vin naturel qui rend cet univers plus moderne. J’ai aussi l’impression qu’il y a de plus en plus de cavistes à Paris.

En quelques mots, le synopsis du film ?
Ce sont les retrouvailles de trois frères et sœurs – joués par Pio Marmaï, François Civil et Ana Girardot – qui viennent de perdre leurs parents et qui doivent reprendre le domaine familial. Et c’est sur cette idée de transmission que se déroule le film.

Outre la transmission, quels thèmes retrouve t-on ?
La fraternité au sens large, c’est une histoire de famille et le titre l’évoque. Qu’est-ce qui rassemble des gens très différents les uns des autres, des personnes qui ont des parcours très distincts mais qui ont en commun l’amour du vin ? Cette idée de fraternité est très importante et pour moi très liée au vin ; c’est un produit qui unit, n’est-ce-pas ?

Côté style, plutôt pépère versus la série « Le sang de la Vigne », intriguant à la « Tu seras mon fils » ou décalé à la « Sideways » ?

C’est plutôt l’ambiance de « Sideways » mais ce n’est pas un film sur des consommateurs. Nous sommes du côté des producteurs, le film se déroule sur les quatre saisons. Après, ce n’est pas un policier mais un film d’émotion avec des parties comiques comme dans mes autres films. J’aime faire rire et pleurer, c’est entre le drame et la comédie.

Pourquoi la Bourgogne comme décor ?
C’est un endroit où la plupart des domaines sont restés familiaux. Dans le bordelais, il y a davantage de grosses sociétés, il y a une mainmise de la finance, c’est lié au fait qu’il y a des volumes gigantesques. En Bourgogne, la taille des domaines est toute petite. C’est aussi la région que je connaissais le mieux, j’avais envie de filmer ces paysages. Ça aurait pu fonctionner dans le Rhône ou le Languedoc mais j’aimais mieux le côté verdoyant et tempéré.

Comment vous êtes-vous documenté ? Avec Jean-Marc Roulot qui joue d’ailleurs dans le film ?
Complètement, je me suis beaucoup appuyé sur lui et sur Alix de Montille puisqu’ils habitent ensemble. C’est aussi en rencontrant des gens, en écoutant une vingtaine de vignerons qui m’ont raconté l’historique de leur famille, leur façon de travailler.

Quels vignerons ?
Des personnes qui travaillent au domaine Anne-Claude Leflaive, au domaine Comte Senard à Aloxe-Corton, Pierre Morey, évidemment Bertrand de Vilaine de la Romanée-Conti qui nous a raconté beaucoup de choses sur la Bourgogne éternelle.

Y a-t-il eu des placements de produits ou de propriétés ?
Non, pas sur cette logique là. Tout s’est fait de façon amicale. Dans une scène, on peut retrouver les bouteilles d’Olivier Leflaive. Sa fille Julie, qui était comédienne, joue un petit rôle dans le film. Autre exemple, on a tourné au domaine de la Pousse d’Or, ils nous ont demandé de montrer une bouteille pour le souvenir. C’est un échange, on ne peut pas parler de placement de produit.

Comment êtes-vous devenu amateur ?
C’est grâce à mon père qui ne boit que du bourgogne. Une fois par an, on allait en Bourgogne pour acheter du vin, on faisait des dégustations, il m’apprenait à différencier les vins. Il y avait dans sa cave un peu de vins italiens. J’ai découvert ensuite le bordeaux avec le père de mon ancienne amie. Du coup, j’ai eu la double culture. Ensuite, j’ai eu la chance à Khâgne et Hypokhâgne d’être avec Isabelle de Montille, elle m’a fait rencontrer son père Hubert. Des années plus tard, j’allais y retourner pour prendre des photos pour mon film. Enfin durant mes années d’étude aux États-Unis, je suis allé dans la Napa Valley, c’était l’époque des vins de Coppola et Mondavi.

Avec Romain Duris, faites-vous tomber de belles bouteilles ?
Je ne le vois plus depuis un moment car il tourne partout dans le monde mais il aime beaucoup le vin. Comme d’autres acteurs que j’ai fait tourner… Bacri et Jaoui, ils adorent le vin. Berléand est un grand fan. Viard et Binoche aussi.

Dans « Un air de famille », on voit quelques quilles…
Absolument mais pas du très bon. Alors que dans « Ma part du gâteau », Gilles Lellouche, qui est trader, boit du Cheval Blanc.

Avec-vous initié vos enfants ?
J’en ai trois, les deux plus grands, de 16 et 18 ans, sont super contents que je fasse un film sur le vin. Ils ont beaucoup aimé…

Vous êtes plutôt le perniflar de la « Soupe aux choux » ou grands crus classés ?
Je suis les deux. J’aime la « pochtronade » et les grandes dégustations, j’aime les petits vins et les crus classés. Je découvre en ce moment le vin naturel, je suis en stage depuis trois ans, c’est encore une autre approche. En faisant le film, j’ai aussi découvert le Saint-Romain, le Saint-Aubin, des appellations moins connues.

Quels sont vos plus grands souvenirs de dégustation ?
Je suis allé deux fois à la Romanée Conti et je dois avouer que ça laisse des traces. C’est impressionnant et pourtant je bois beaucoup de vins. Là, nous sommes dans le surnaturel. J’ai connu la même chose au Château Haut-Brion et au Château Cheval Blanc. On a vraiment l’impression de partir en voyage. Il y a des vins, on en boit une fois et on s’en souvient cinq ans plus tard.

Votre cave, plutôt Bourgogne ou Bordeaux, Rhône ou Languedoc… ?
Totalement éclectique. A part les bordeaux et les bourgognes, j’adore les châteauneuf-du-pape, le Clos des Papes comme Juliette Avril ainsi que le domaine de la Janasse.

Vous êtes né en 1961, avez-vous quelques flacons de cette année ?
Mon père en a gardés, de temps en temps il en sort. Pendant le tournage du film, quelques personnes ont ouvert des bouteilles de mon année, c’était très sympa. On a notamment bu un Pommard 61.

La bouteille que vous emmèneriez sur un tournage désert…
Bâtard-Montrachet de chez Aubert de Vilaine.

Pour l’avant première, quelles bouteilles allez-vous déboucher ?
Ah, je n’y avais pas pensé. Je pense que ce sera un Meursault de chez Roulot. Quand même.

Cette interview est extraite du numéro 47 de « Terre de Vins », actuellement dans les kiosques. Photographies Baudoin.