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Les Grands Crus Classés de Saint-Émilion réinventent leur stratégie de conquête

Sylvie Cazes Château Chauvin Association Grands Crus Classés Saint-Émilion

Sylvie Cazes, propriétaire de Château Chauvin (grand cru classé de Saint-Émilion) ©DR

Auteur

Julia
Bouchet

Date

19.09.2025

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Face à des campagnes de vente fragilisées et une concurrence mondiale accrue, l’Association des grands crus classés de Saint-Émilion mise sur l’innovation, la convivialité et la solidarité entre châteaux pour aller directement chercher les consommateurs.

« Il faut qu’on rencontre le consommateur, que ce soit chez nous ou à l’étranger », affirme sans détours Sylvie Cazes, présidente de l’association des Grands Crus Classés de Saint-Émilion. Dans un marché où les primeurs ne se portent pas au mieux et où les ventes se tendent, la dynamique collective devient une nécessité. « Nous avons connu de belles périodes, mais aujourd’hui, il faut innover pour rester visibles et attractifs », insiste-t-elle.

Un contexte bordelais tendu

La démarche s’inscrit dans un climat économique compliqué pour l’ensemble du vignoble bordelais. La récolte 2024 a été l’une des plus faibles depuis 30 ans, et la région poursuit son programme d’arrachages massifs pour réduire les volumes. Les campagnes primeurs récentes, quant à elles, ont pâti d’une demande en déclin, accentuant la pression sur les châteaux. Dans ce contexte, les Grands Crus Classés de Saint-Émilion cherchent à se différencier par une approche collective et offensive : aller chercher de nouveaux consommateurs, là où ils se trouvent.

Une délégation tournante et solidaire

L’association, qui réunit 51 propriétés, a imaginé un système de délégation tournante. « Nous nous déplaçons par petits groupes de 5 à 10 ambassadeurs, qui présentent à eux seuls une quinzaine de crus classés », détaille Sylvie Cazes. Ce format solidaire permet à la fois de multiplier les destinations et d’alléger la charge pour chaque vigneron. Et les chiffres parlent : à Hambourg, Düsseldorf, Bangkok ou Madrid, chaque opération réunit une centaine de participants autour d’une masterclass et d’un dîner. Ces rencontres débouchent sur des ventes immédiates, mais surtout, elles installent une image forte et conviviale de la marque collective. « Avant, nous faisions des dégustations figées derrière des tables. Aujourd’hui, nous voulons créer de vrais moments d’échange, où le consommateur a plaisir à découvrir nos vins et à les acheter dans la foulée. »

Des coffrets panachés pour séduire de nouveaux marchés

Autre projet en cours : la création de caisses panachées regroupant plusieurs crus classés. Présentées par six bouteilles dans un habillage graphique commun, elles visent en particulier les marchés étrangers comme les États-Unis, friands de formats de découverte. « C’est une façon élégante de donner accès à la diversité de Saint-Émilion. Nous avons beaucoup travaillé le design et nous sommes prêts à déployer cette offre dès qu’un marché s’y prête », confie la présidente.

La Fête des vendanges, vitrine mondiale

L’événement phare de cette stratégie est sans conteste la Fête des vendanges (qui aura lieu les 11 et 12 octobre cette année). Créée il y a trois ans à Saint-Émilion, elle mêle animations dans les châteaux et grand dîner de la gerbaude où l’ensemble des crus classés se dégustent en magnums. « C’est un moment unique, très convivial, qui rend nos crus accessibles tout en gardant leur ADN », souligne Sylvie Cazes. Le succès est tel que la fête s’exporte désormais : après l’Allemagne, Bangkok a accueilli sa propre édition cette année. « Nous étions 130 convives en 2024, et nous prévoyons déjà 300 participants pour la prochaine édition. » D’autres projets sont annoncés en Slovénie, au Vietnam, en Côte d’Ivoire ou encore au Cameroun. À chaque fois, les opérations s’organisent en partenariat avec des clubs de dégustation, des écoles hôtelières ou des importateurs, et se concluent par des ventes concrètes.

Sylvie Cazes regarde également du côté de l'Afrique, identifiée comme un marché à fort potentiel, mais où la concurrence s’intensifie : « Bordeaux a été en avance en Afrique, mais on est grignotés par tout le monde, notamment les vins italiens. Les Espagnols et les Chiliens s’installent aussi dans les segments premium ». Sa conviction est qu’il faut renforcer la présence des crus classés sur place, rencontrer directement les consommateurs et s’appuyer sur les relais locaux : « Nos vins ont une histoire, une qualité et une identité forte. À nous de les mettre en scène différemment, pour que les consommateurs du monde entier continuent d’y croire. Il faut vraiment y être, leur expliquer, les rencontrer. »

Un millésime 2025 prometteur

Si les difficultés économiques pèsent sur le marché, l’avenir proche s’annonce favorable sur le plan qualitatif. Le millésime 2025 est déjà présenté comme très prometteur : vendanges précoces, maturité homogène, équilibre tannique et aromatique. « Nous avons la chance d’avoir un grand millésime en perspective, à la fois dense et élégant. Cela donne un formidable levier pour relancer l’intérêt autour de nos crus », insiste Sylvie Cazes.

Entre image et résultats

Ces événements ne sont pas seulement festifs : ils permettent aussi de renforcer les relations avec les distributeurs et de dynamiser les ventes. « Sur la Thaïlande, par exemple, il s’est écoulé 200 à 300 gros formats. Mais surtout, cela a permis à certains crus de mettre un pied sur un marché où ils n’étaient pas encore présents », précise Sylvie Cazes.

Aujourd'hui, l’ambition est claire : consolider une marque collective forte, qualitative et conviviale, qui porte l’ensemble des Grands Crus Classés. « Nous devons recréer du lien direct avec les amateurs. C’est dans ces moments de partage, autour d’un verre, que naît l’envie. Et c’est ainsi que nous assurons l’avenir de nos crus. »

Chiffres-clés Bordeaux 2024 (Données spécifiques aux Grands Crus Classés de Saint-Émilion)
Production 2024 : 3,3 millions d’hectolitres, soit la plus faible récolte depuis 30 ans (–14 % vs 2023).

Ventes 2023-2024 : environ 3,6 à 3,8 millions d’hectolitres écoulés sur la campagne (France + export).

Export France (vins & spiritueux) : 10,9 milliards d’euros de CA en 2024 (–3 % vs 2023). Bordeaux pèse environ 40 % de la valeur des exportations françaises de vin.

Tendance primeurs 2024 : campagne jugée délicate, marquée par une baisse des volumes vendus et un repositionnement de prix prudent

(source Liv-ex et analyses marché)