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Thiénot x Penfolds : rencontre au sommet… des antipodes

De gauche à droite : Nicolas Uriel, Peter Gago et Stanislas Thiénot (photo Leif Carlsson)

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

29.05.2019

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Lorsqu’un « winemaker » australien de légende se lance dans un projet de passion avec une ambitieuse maison de champagne, cela donne… la rencontre au sommet de Peter Gago et Stanislas Thiénot, concrétisée par trois cuvées qui ont pris de court la planète vin. Les deux hommes nous ont accordé un entretien croisé.

C’est une annonce qui n’est pas passée inaperçue, quel que soit l’hémisphère dans lequel on se trouve : le 10 mai dernier, la maison de champagne Thiénot et le leader du vin australien Penfolds annonçaient le lancement de trois cuvées de champagne destinées à être mises en marché pour célébrer les 175 ans de la maison des antipodes. « C’est une première pour nous et une véritable collaboration », déclarait alors Stanislas Thiénot, directeur général du Champagne Thiénot. « Nous avons créé des assemblages qui combinent le style et la philosophie à la fois des vins Thiénot et Penfolds ». Par « nous », il faut entendre d’un côté les équipes de Thiénot, dont le chef de cave Nicolas Uriel, et de l’autre côté Peter Gago, le « chief winemaker » de Penfolds et grand artisan du succès de la marque depuis trois décennies. Ensemble, ils ont imaginé cette marque de champagne Thiénot x Penfolds en « cobranding » et élaboré trois cuvées (un Blanc de Blanc, un Blanc de Noirs, un assemblage Chardonnay / Pinot noir, tous millésimés 2012*) qui pourraient être seulement le début d’une longue aventure en commun. Quelques jours après cette annonce, Stanislas Thiénot et Peter Gago nous recevaient sur leur stand à Vinexpo Bordeaux pour nous raconter cette belle histoire de bulles voyageuses.

Comment est né ce projet Thiénot x Penfolds ?
Peter Gago :
produire un champagne, cela a d’abord été un fantasme, puis c’est devenu un concept, et enfin une réalité. Je suis un grand amoureux du champagne depuis toujours ; nous sommes très attachés aux vins effervescents qui sont produits en Australie, mais le champagne ne peut être fait qu’en Champagne. Et c’est une opportunité qu’on ne laisse pas passer.
Stanislas Thiénot : tout a commencé par l’addiction de Peter au champagne (rires) ! Le groupe Thiénot est importateur de Penfolds depuis plusieurs années, et c’est ainsi que j’ai eu la chance de rencontrer Peter. De façon assez naturelle, il y a environ deux ans, est née cette idée entre nous : juste un « et si ? » Et si l’on faisait un champagne ensemble ? Ce « et si ? » est devenu « et pourquoi pas ? »… Peter est venu en Champagne, nous lui avons ouvert les portes de nos caves, il a énormément dégusté. Notre côté expérimental, que nous devons au fait d’être une jeune maison de champagne et de ne pas être « prisonniers » de notre histoire, a tout de suite collé avec le côté novateur de Peter. Nous sommes tombés d’accord pour dire que si nous faisions un grand vin, il trouverait son marché.
Peter Gago : en temps normal, si l’on voulait monter un tel projet à partir de zéro, cela prendrait des années à se concrétiser. En unissant nos forces, nous avons pu faire naître ce champagne très rapidement. A l’origine j’étais assez focalisé sur l’idée de partir sur le millésime 2008, puis au fil des dégustation c’est le millésime 2012 qui s’est imposé à nous, avec une évidence assez nette. C’est lui qui a constitué la base de notre aventure à travers les trois champagnes que nous présentons aujourd’hui.

Peter, vous êtes un vinificateur de renommée internationale, qu’est-ce qui vous a attiré particulièrement dans le fait de signer un champagne ?

Peter Gago : quand je suis arrivé chez Penfolds il y a 30 ans, j’ai commencé par élaborer du sparkling et lorsqu’il s’agit de faire du vin effervescent, c’est forcément vers la Champagne que l’on regarde – vers le caractère des vins de Champagne, vers leur maîtrise de l’acidité. C’est un univers fascinant et le fait que je sois un grand amoureux du champagne n’a pas arrangé les choses. Avec les années, au sein de Penfolds, j’ai essentiellement produit du vin rouge, un peu de blanc et de vin fortifié, mais il me manquait cette opportunité de signer un grand vin effervescent.


Une fois que vous êtes tombés tous les deux d’accord sur le fait de produire un vin ensemble, quelle a été la direction, le style que vous avez voulu suivre ?

Peter Gago : il y a deux philosophies que nous voulions embrasser, et qui correspondent aux valeurs de la maison Thiénot. D’une part, produire des vins qui ont une capacité à vieillir, à s’inscrire dans le temps ; d’autre part, nous voulions produire des vins qui soient haut-de-gamme mais pas confidentiels, des vins que l’on peut trouver, se procurer et consommer, à une échelle internationale. Nous sommes d’ailleurs ravis de l’accueil très enthousiaste dans certains marchés, comme la Chine par exemple.
Stanislas Thiénot : nous voulions aussi faire des champagnes accessibles dans leur jeunesse, qui défendent une certaine idée de « buvabilité » immédiate tout en combinant un grand potentiel de garde. Ces champagnes s’inscrivent dans la philosophie de notre maison, sur la fraîcheur et sur la capacité à vieillir avec grâce, qui se retrouve dans toute notre gamme, jusqu’à nos cuvées « Famille ». C’est dans l’ADN de Thiénot comme dans celui de Penfolds, qui existe depuis 175 ans.

Quel est le secret de ce potentiel de garde auquel vous aspirez ?
Stanislas Thiénot :
tout part du terroir. Pour faire un grand vin, il faut de grands raisins, issus d’un grand terroir. Le champagne que vous dégustez (Blanc de Blancs Grand Cru 2012, NDLR) est un 100% Avize, mais il en va de même des deux autres cuvées que nous allons mettre en marché, elles sont issues des grands terroirs d’Aÿ, Verzenay, Cumières notamment pour les pinots noirs, Vertus, Mesnil-sur-Oger et Cramant pour les chardonnays. Voilà le premier secret.

Ci-dessous : Stanislas Thiénot, Peter Gago et Garance Thiénot

L’une des autres particularités de ces champagnes est la liqueur de dosage que vous utilisez, pouvez-vous nous en dire plus ?
Peter Gago : à l’origine nous voulions élaborer une liqueur issue en partie de vins de Penfolds en Australie, mais cela n’est pas conforme aux règles d’élaboration du champagne. Nous nous sommes donc contentés d’élever la liqueur de dosage dans des des barriques australiennes de Yattarna Chardonnay (vin blanc de Penfolds, NDLR). Cela contribue à donner à nos champagnes une personnalité à part, même si ces dosages sont seulement de 2 g/L pour le Blanc de Blancs et 4 g/L pour les deux autres cuvées.

Qu’est-ce que ce dosage spécifique apporte aux champagnes ?
Stanislas Thiénot :
c’est du « fine tuning », c’est l’assaisonnement qui va révéler, sublimer l’ensemble et rendre le champagne inoubliable.
Peter Gago : il ne s’agit pas de faire du vin ce qu’il n’est pas, mais le dosage, c’est le trait de maquillage qui souligne le regard, le nœud de cravate qui ajoute une touche d’élégance à la tenue.

Il y a un certain art de l’assemblage en Champagne, comme il y a un certain art de l’assemblage chez Penfolds… Comment avez-vous « marié » ces deux cultures ?
Peter Gago : c’est une autre chose que j’ai beaucoup aimé dans le fait de collaborer avec les équipes de Thiénot : nous ne sommes pas si différents, dans la plupart des cas nous sommes très rapidement tombés d’accord sur ce qui nous plaisait. C’est la dégustation à l’aveugle qui était juge de paix, elle bousculait parfois nos attentes sur le papier, mais elle nous a plus souvent réunis que divisés.
Stanislas Thiénot : là où nous sommes peut-être différents, c’est dans nos vocabulaires de dégustation, nos vécus, nos ressentis ; mais le fait de travailler ensemble nous a permis d’apprendre les uns des autres et de nous enrichir. Peter n’est pas issu du monde du champagne, il est arrivé avec son regard neuf, c’était très stimulant intellectuellement.
Peter Gago : dans les années 1990, lorsque j’allais aux Etats-Unis pour faire mieux connaître les vins de Penfolds, je prenais souvent l’exemple champenois pour mettre en lumière notre art de l’assemblage, pour combiner le meilleur de différents terroirs. C’est assez amusant que l’Australie et la Champagne se soient finalement réunies.

Vous avez décidé de commencer par trois millésimés, or la « signature » d’une maison de champagne, c’est son Brut Sans Année (BSA). Pourquoi avoir fait ce choix ?
Stanislas Thiénot :
nous avons voulu imaginer notre aventure en commun comme l’on conçoit une pyramide – nous partons du sommet pour élargir vers la base.
Peter Gago : nous n’en sommes qu’au début, et c’est cela qui est si excitant dans cette aventure. Nous ferons peut-être un BSA, nous ferons peut-être d’autres cuvées, nous irons peut-être dans des directions complètement inattendues avec des assemblages hors du commun… nous avons beaucoup d’idées et les possibilités sont immenses. De la même façon que nous avons pris le temps avec Penfolds pour élaborer le style de notre chardonnay australien Yattarna, nous prendrons le temps de trouver le style de chaque champagne que nous voulons élaborer ensemble. Nous avons fait les trois premiers pas, nous verrons bien où nous mènent les vingt pas suivants !

* La première cuvée Chardonnay / Pinot Noir sort ces jours-ci à la vente en Europe (prix indicatif 180 €) après avoir déjà été mise en marché en Australie, le Blanc de Blancs vers la fin de l’année, le Blanc de Noirs un peu plus tard.