Accueil Étude mondiale sur la consommation de vin : « on affole tout le monde pour rien »

Étude mondiale sur la consommation de vin : « on affole tout le monde pour rien »

Auteur

Idelette
Fritsch

Date

25.09.2018

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La communauté scientifique internationale dénonce sur le forum en ligne ISFAR, les nombreux biais de l’étude mondiale sur la consommation d’alcool publiée cet été dans « The Lancet ». Membre du forum, le professeur Pierre-Louis Teissèdre, professeur à l’université de Bordeaux et secrétaire scientifique de la commission sécurité et santé à l’OIV, en présente les principaux points de contestation, en exclusivité pour Terre de Vins.

L’étude parue le 24 août dans la revue britannique « The Lancet », prétend que l’alcool entraînerait une surmortalité dès le premier verre. Quelle est votre réaction à une telle conclusion ?
Il y a beaucoup d’éléments de contestation, ils ont été publiés le 3 septembre dans un article co-signé à l’échelle internationale par une douzaine de professeurs d’université et de chercheurs du monde médical dont je fais partie, réunis dans un forum en ligne, l’International Scientific Forum on Alcohol Research (IFSAR). Mais au-delà des biais observés, il faut signaler tout d’abord le fait que cette étude est une méta-analyse, c’est-à-dire une fusion de données de nombreuses autres études observationnelles. Les chercheurs ont ainsi compilé près de 700 sources qu’ils ont combinées dans des modèles mathématiques pour estimer les dommages causés par l’alcool dans le monde entier. C’est certainement la plus grande méta-analyse jamais effectuée sur les risques liés à la consommation d’alcool dans le monde, mais pour autant, on peut la considérer comme partisane puisqu’elle n’a pas écarté de ses sources, des études pour lesquels il existe de nombreux biais qui ont déjà été commentés et qui sont connus.

Lesquels ?
Par exemple parmi les études utilisées par les enquêteurs, certaines ont été réalisées il y a 20-30 ans sur des estimations de consommation anciennes qui s’avèrent aujourd’hui erronées… Comme la consommation d’alcool des Français, surestimée. L’étude annonce en effet une consommation entre 4 et 5 verres par jour pour les hommes et de 2 à 3 verres pour les femmes. Or en 2010, la consommation des Français est estimée en moyenne à 2,6 verres par jour et par habitant de plus de quinze ans, toutes boissons confondues. Pour le vin, d’après les sources récoltées par l’Organisation international de la vigne et du vin (OIV), en 2016 la consommation de vin en France serait de 51,2 litres par habitant et par an, équivalent à une moyenne autour de 1,4 verre standard (un verre standard contient 10 grammes d’éthanol, NDLR) par habitant et par jour, ce qui est plutôt faible. Pire, les auteurs tentent de limiter les biais liés à la consommation touristique, l’étude signalant qu’une correction a été apportée dans ce sens. Or, les données prenant en compte l’exportation d’une partie des productions nationales sont introuvables dans l’étude et cela constitue un gros bug.

L’étude combine des données provenant de 195 sites dans le monde, sans établir de différences entre les pays, les cultures…
C’est en effet un problème que dénonce le forum. L’étude rassemble des données provenant de 195 sites du monde entier, issues des années 1990 à 2016, pour les deux sexes et pour les groupes d’âge de 15 ans à 95 ans et plus. Or, combiner des informations provenant de nombreuses cultures divergentes pour déterminer une association unique entre la consommation d’alcool et la santé, ne peut qu’aboutir à des conclusions erronées. En effet, de nombreux facteurs liés à notre mode de vie, à notre culture, modifient fortement la relation entre une quantité donnée d’alcool, la santé et les maladies. Ces facteurs de modifications comprennent par exemple le statut socio-économique de l’individu, des circonstances telles que boire avec ou sans nourriture, le type de consommation (modérée ou excessive), le type de boisson (vin ou spiritueux), le niveau d’activité physique de l’individu, etc. Malgré le travail colossal fourni par les enquêteurs, combiner les résultats globaux de populations divergentes ne peut qu’aboutir à des conclusions qui ne s’appliquent in fine… à aucune population spécifique, et c’est cela qui est grave.

L’étude ne se préoccupe pas du type d’alcool consommé. En quoi cette approche n’est pas représentative par exemple, de la consommation de vin des Français ?
L’étude base son analyse sur « les boissons standards quotidiennes », c’est-à-dire toute boisson alcoolisée équivalent à 10 g d’alcool éthylique pur : vin, spiritueux, bière, etc. Or, le vin n’est pas juste une autre forme d’alcool ! Malheureusement, cette idée est banalisée depuis longtemps par des groupes activistes qui souhaitent faire diminuer la consommation de toutes les boissons alcoolisées de façon importante, voire éradiquer toute consommation d’alcool quels que soient le type de boisson, la dose et la façon de consommer. Nous disposons pourtant aujourd’hui, de nombreuses enquêtes épidémiologiques aux résultats généralement convergents qui confortent l’hypothèse d’un effet protecteur du vin rouge, que ne partageraient pas les autres boissons alcoolisées, se traduisant principalement par une diminution des risques d’accidents vasculaires cérébraux et cardiaques. Outre l’alcool, le vin contient des polyphénols qui permettent de lutter contre le “stress oxydant”, un phénomène d’oxydation des composés intracellulaires qui augmente avec l’âge et intervient dans les maladies chroniques liées au vieillissement.

L’étude préconise dans son introduction et dans ses conclusions, une consommation nulle d’alcool. Ce n’est pas un peu fort ?
En arriver à des conclusions en faveur d’une abstention totale en affirmant qu’il n’existe pas de niveau sûr, ne peut être un argument en faveur de l’abstention. Il n’y a pas de niveau de conduite sécuritaire, mais le gouvernement ne recommande pas aux gens d’éviter de conduire ! En y repensant, il n’y a pas de niveau de vie sûr, mais personne ne recommanderait l’abstention ! L’usage n’est pas l’abus, on peut supposer que les gens qui choisissent de boire de l’alcool en quantité modérée en prennent un peu de plaisir, et tout risque doit être échangé contre ce plaisir.

Cette étude a été largement relayée par les médias durant l’été… Quels sont pour vous les conséquences d’un tel relais médiatique ?
D’une certaine manière, le mal a déjà été fait ! On affole tout le monde pour rien, mais il n’y avait pas lieu d’inquiéter de braves gens qui usent sagement d’un produit. On peut regretter, aujourd’hui, que les messages de santé publique incluant le vin ne soient tournés que vers l’impact d’une consommation excessive en excluant les effets potentiels lors d’une consommation modérée dans le cadre de la nutrition. Loin de ne jouer qu’un rôle de nutrition préventive, lorsqu’il est consommé régulièrement, avec modération, et intégré à l’alimentation, le vin apporte aussi du plaisir sensoriel et de la convivialité.

Lien vers le forum ISFAR
http://alcoholresearchforum.org

Pour accéder à la critique publiée le 3 septembre / critique 219: « A global overview of alcohol consumption and health – 3 September 2018 » http://alcoholresearchforum.org/reviews/