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[BORDEAUX TASTING] L’excellence de Lafite pour clôturer Bordeaux Tasting

Auteur

Laura
Bernaulte

Date

17.12.2018

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Last but not least des master class de ce beau week-end de Bordeaux Tasting, le style Lafite à découvrir, au fil de cinq vins tout en finesse et élégance, d’ici et d’ailleurs.

C’est un nom qui à lui seul fait apparaître des étoiles dans les yeux des dégustateurs. « Lafite Rothschild est rarissime sur des manifestations de dégustation. Quel plaisir de vous accueillir ici, on finit en apothéose le week-end sur le saint des saints ! » s’exclame en ouverture de cette dernière master class Rodolphe Wartel, le directeur de Terre de Vins. Le plaisir des sens s’est décliné pour les chanceux dégustateurs durant plus d’1h30 à travers cinq vins détenus par les domaines Barons de Rothschild : château d’Aussières 2016 (Corbières), Le Dix de los Vascos 2012 (Colchagua, Chili), Caro 2015 (Mendoza, Argentine), château Duhart-Milon 2011 (4e grand cru classé de Pauilac), et, bien sûr, le légendaire château Lafite Rothschild 2001 (1e grand cru classé de Pauilac). À apprécier dans le verre et grâce aux mots des animateurs de cette master-class de haut vol : Eric Kohler, directeur des châteaux bordelais, officiant depuis 25 ans dans le groupe, Serge Dubs (meilleur sommelier de France 1983 et du Monde 1989), Sylvie Tonnaire (rédactrice en chef de Terre de Vins) et Rodolphe Wartel.

Pour comprendre l’esprit Lafite en 2018, flashback aux origines, en 1868 très exactement, lorsque le banquier James de Rothschild fait l’acquisition la propriété médocaine, ensuite transmise au fil des siècles dans le giron familial, sur six générations. Depuis 1975, le baron Eric de Rothschild préside aux destinées du groupe et a passé la main à sa fille Saskia début 2018. Avec une soif toujours vive, en quête de nouveaux talents, les domaines Barons de Rothschild regardent désormais vers la Chine depuis 2009. Ils y ont planté leurs premières vignes en 2011, un vignoble « en pleine progression, mais on attend encore avant de commercialiser ». Entre autres destinations également « un gros regard sur le marché américain, sur lequel Lafite était déjà présent de 1985 à 1991. Après s’être retiré, on recherche un domaine en Californie. » Plus près d’ici, sur les terres bordelaises, pas de nouveau cru classé en vue, mais une quête dans les terroirs de Bordeaux pouvant servir de base renforcée pour les vins de « La Collection », gamme créée en complément des vins issus des vignobles prestigieux pour offrir des « bordeaux classiques au charme immédiat, plus accessibles ».

Le Dix de los Vascos 2012 (Colchagua, Chili) (autour d’une quarantaine d’euros prix public)
Cet immense domaine de 700 ha acquis en 1988 comporte majoritairement du cabernet sauvignon (à hauteur de 85% dans ce 2012), agrémenté de syrah et carménère. La cuvée « Le Dix », la plus haut-de-gamme de la propriété, est issue des plus vieilles vignes, des meilleurs terroirs et produite avec des rendements très bas (10% des vins rouges de la propriété seulement).
« Les cépages bordelais font quelques chose d’extraordinaire au Chili, même si ça n’a rien à voir avec des vins de Bordeaux » explique Serge Dubs en amont de la dégustation de ce vin. « À la couleur opaque, profonde, ce 2012 a un bouquet bien aromatique, élégant, dense mais sans lourdeur, des arômes de myrtille, mûre, cassis, tabac, un boisé fondu, un côté fumée et cuir présent. En bouche, l’attaque délicate, tendre, suave, veloutée, est telle une caresse, avec une trame tannique très droite mais sans austérité, un alcool présent mais une présence en bouche longue et goûteuse. Il a du corps, il est sapide mais sans couper l’envie de boire. Un vin qui mérite la décantation. »
Côté assiette, Sylvie Tonnaire constate : « Ce vin a deux caractères majeurs : la finesse de tanins et de très légers amers en finale. Il présente des signes d’évolution. Pour amener de la fraîcheur, pourquoi pas un carpaccio de bœuf avec un filet d’huile d’olives à fruité noir, ou un tartare de colvert pour donner l’onctuosité, avec éventuellement des fines herbes et de l’échalote pour le côté croquant. »

Caro 2015 (Mendoza, Argentine) (autour d’une quarantaine d’euros prix public)
Eric Rothschild s’est associé en 1999 avec la famille Catena dans ce vignoble au cœur de la région de Mendoza, d’une trentaine d’hectares, à une altitude de 1000 mètres, largement dominé par le malbec (85%), accompagné de cabernet sauvignon. À Mendoza, « véritable oasis au milieu d’un désert, la chaleur combinée aux différences de températures et à l’altitude aident avoir des vins équilibrés avec une petite acidité » explique Eric Kohler.
« La couleur profonde de ce 2015 s’ouvre sur un bouquet riche, généreux, vineux, avec des arômes animaux, de cuir, quelques épices (poivre noir, noix de muscade), une pointe de tabac noir, et de chocolat. Bien qu’ayant quelque chose de plus volatile que les deux premiers vins dégustés, c’est un vin ample et très concentré » analyse Serge Dubs. En bouche, « ce vin est marqué par l’amplitude, la richesse, la densité et l’opulence. Dans sa trame tannique, la rusticité du malbec est très bien intégrée, la texture formidable. Il a de la présence et de la puissance sans être lourd pour autant. » Le meilleur sommelier du monde s’avoue « impressionné de constater ce respect de l’identité du terroir sans en prendre les excès », et affirme : « c’est un grand vin d’avenir qui ne renie pas sa personnalité. »
Côté accords mets-vins, « on sent le soleil et la vendange bien mûre, mais la caractéristique de ce vin est vraiment la qualité du grain de tanin, poudré et élégant. Les premières notes d’évolution perceptibles, pour ce vin délicat, font tendre vers un accord de rêve avec un lièvre à la royale » pour Sylvie Tonnaire.

Château Duhart-Milon 2011 (4e grand cru classé de Pauillac, Médoc) (autour d’une centaine d’euros prix public)
Le « petit frère » de Lafite Rothschild, à l’ouest du fameux premier cru classé, a « un terroir assez différent de son aîné, des graves sableuses là où Lafite Rothschild a des graves profondes avec une grande teneur en argiles, mais un encépagement identique. » Ce 2011, assemblage à 75% cabernet sauvignon et 25% en merlot, est un « millésime précoce qui partait aussi bien que les légendaires 2009 et 2010, mais c’est un grand millésime qui ne s’est pas tout à fait terminé, d’après Eric Kohler. Ce 2011 passe derrière deux grands millésimes, il est un peu oublié, mais ce sera la future grande surprise, comme les 2004, 2006 et 2001. »
Pour Serge Dubs, « ce vin a la finesse, mais aussi du caractère, dans une parfaite balance de l’ensemble. C’est un exemple de vin juste, élégant et raffiné. Le nez propose un bouquet expressif et délicat, il ne s’impose pas. Il offre une belle complexité sur les fruits rouges, mûrs, sans excès, le pruneau sans être confit, la cendre froide. Il commence à sentir la belle truffe noire du Périgord . Cette maturité agréable, fondue, et cette subtilité donnent envie de goûter. » En bouche, la sensation « est reposante, le palais reste calme et ouvert, la présence des tanins est agréable, la fraîcheur intégrée. À la rétro-olfaction, une sensation de plénitude aromatique apparaît sur le palais qui reste calme, et donne envie d’un autre verre. »
Pour Sylvie Tonnaire, « ce vin laisse les papilles en alerte pour passer à table. Avec ses arômes de truffe, il s’accordera parfaitement avec un parmentier de veau avec des lamelles de truffe, ou avec une tourte au faisan aux éclats de truffe du fait de ses notes giboyeuses. »

Lafite Rotschild 2001 (1e grand cru classé de Pauillac, Médoc) (environ 1000€ ou plus prix public)
« On vit un moment exceptionnel dont on se souviendra toute notre vie » annonce Rodolphe Wartel.
Plus grand des crus classés de Bordeaux par sa surface de 112 ha, Lafite Rothschild est dominé par le cabernet sauvignon, accompagné de merlot, et sort chaque année à 200 000 bouteilles. Ce 2001, « très belle surprise, est le plus épanoui des Lafite de moins de 20 ans, affirme Eric Kohler. Il démontre la capacité de Lafite à s’ouvrir et rester sur un plateau. Ce millésime en a encore, j’en suis sûr, pour une dizaine d’années » affirme-t-il.
« La finesse et l’élégance sont toujours là, constate Serge Dubs. À la couleur, on note une petite évolution, mais ce vin est toujours plein de vie, de dynamisme, de densité, de brillance. Au nez, ce que l’on attend d’un grand vin de Bordeaux est là. Le vin s’offre, s’exprime toujours avec distinction, retenue, mais est aromatiquement très expressif sur le pruneau, la rose fanée. L’évolution est perceptible mais pas oxydative, toujours avec une belle harmonie. » En bouche, c’est « un foulard de soie, de chez Hermès, qui caresse le palais, avec des tanins soyeux et retenus qui durent longtemps en fin de bouche. » Pour le meilleur sommelier du monde, « ce 2001 exprime précisément la retransmission du respect du terroir. Finesse, élégance, fond et goût, il aura certainement encore de quoi tenir la longueur. »
Pour Sylvie Tonnaire, ce vin de légende est « exceptionnellement équilibré et intégré. Un si grand vin en est même délicat à accorder, tellement il se suffit à lui-même, concède la rédactrice en chef de Terre de Vins. Dans l’assiette, pourquoi ne pas tenter un grand gibier, comme du cerf, par exemple. À proscrire en revanche, les plats en sauce. »
Le mot de la fin à Eric Kohler sur ce vin, qui conclut : « j’aime dire qu’à maturité, Lafite Rohschild n’oppose aucune résistance à être bu et associé. Un grand vin, c’est un vin facile à associer, un vin simplement équilibré qui n’est pas dominant et respecte les plats. »

Finalement, au fil de cette prestigieuse master class , les dégustateurs n’auront pas eu de mal à s’en convaincre, le style Lafite existe. Et son fil rouge tient en trois mots : « élégance, finesse, fraîcheur ». Une certaine idée de la classe.

Photos M. Boudot