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Joseph Perrier : que vaut un champagne après 120 ans ?

Auteur

Yves
Tesson

Date

19.06.2023

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On entend souvent que la dégustation des champagnes au-delà d’un siècle relève davantage de l’émotion que du plaisir gustatif. La découverte récente d’un flacon de brut sans année de Joseph Perrier datant de la toute fin du XIXe siècle nous a cependant déconcerté. Et croyez-le ou non, nous n’avons pas laissé une seule goutte au fond de nos verres…

L’histoire est aussi savoureuse que le flacon. Un pharmacien passionné de vins découvre chez un antiquaire à proximité d’Epinal une vieille bouteille de Joseph Perrier. Le vendeur n’est pas conscient de la merveille qu’il tient entre les mains et la cède pour la bagatelle de 45 euros. Sauf qu’après examen, on s’aperçoit qu’elle date probablement de la toute fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. En effet, l’étiquette très travaillée ressemble beaucoup à celles que l’on utilisait dans les années 1880 avec de nombreux ornements colorés, très fins, témoignant de la maîtrise parfaite acquise à cette époque de la lithographie. Les motifs de la collerette de même que, sur cette dernière, la police d’écriture du terme « Champagne » reflètent l’influence de l’Art nouveau voire de l’Art Déco. Le premier courant a fait son apparition dans les années 1890, le second dans les années 1920. La Maison Joseph Perrier souligne de son côté que si on étudie seulement l’étiquette, on observe que l’écriture anglaise utilisée par la Maison à partir de 1906 n’est pas encore présente, ce qui ferait pencher pour la première hypothèse. 

La désignation « Aÿ Carte d’or » est elle-même assez caractéristique du XIXe siècle, et ne signifiait pas forcément qu’on n’y trouvait que des vins issus des coteaux d’Aÿ, mais plutôt un champagne dont le caractère gustatif était du type de celui d’Aÿ. C’était aussi un moyen d’insister sur l’authenticité de l’origine champenoise du vin, alors que le terme « champagne », même si la législation commençait à sévir, passait aux yeux d’une partie du public comme un terme générique désignant n’importe quel vin effervescent quelle que soit son origine. Les grandes maisons champenoises jusqu’en 1911, où la mention sur l’étiquette devint obligatoire, ne l’utilisaient d’ailleurs pas systématiquement, précisément parce qu’il était trop souvent galvaudé. Rappelons que le premier procès gagné par les Champenois contre les négociants de Touraine dans les années 1840 ne portait pas sur l’usurpation du mot champagne, mais de noms de certains de leurs crus iconiques. Jusqu’au début des années 1880, d’un point de vue légal, la possibilité d’employer le terme champagne pour d’autres vins effervescents n’avait pas encore été définitivement tranchée par la justice. 

Enfin, dernier élément de datation : la forme irrégulière du flacon. La production mécanique de bouteilles de champagne a été plus longue à mettre au point que les autres. En effet, les Champenois utilisaient des flacons spécifiques intégrant une proportion inférieure de soude faute de quoi ils étaient attaqués par l’acidité du champagne. Il en résultait un temps de malléabilité du verre plus court qui gênait l’utilisation de machines. Ce n’est donc que dans les années 1920, 1930 que ces nouvelles bouteilles firent leur apparition. Cette mécanisation fut aussi accélérée par la Première guerre, car beaucoup d’ouvriers dans les tranchées avaient été gazés et n’avaient désormais plus assez de souffle pour exercer leur métier. 

Suite à cette heureuse découverte, une dégustation qui relève presque de l’archéologie du goût, a été organisée par la Maison Joseph Perrier à Châlons. Comme on dosait autrefois parfois jusqu’à 200 grammes de sucre (en l'occurence l'analyse indique ici 102g/l) tout en mutant le vin avec du cognac, l’état de conservation est incroyable. On a l’impression de déguster un vieux Sauternes ou un ratafia, le vin est sirupeux, kirsché, vanillé avec une touche de noix, le tout porté par une tension incroyable qui témoigne 120 ans plus tard du climat froid que connaissait alors l’appellation. Un tel état de conservation donne à méditer. Pourquoi les maisons qui constituent des œnothèques destinées à être dégustées dans les cent prochaines années, n’opéreraient-elles pas un dosage spécial beaucoup plus important pour une petite partie de ce contingent afin d’aider ces vins à traverser les très longues durées ?

Ce déjeuner fut aussi l’occasion de se pencher sur d’autres bijoux de l’œnothèque de la Maison qui seront bientôt mis sur le marché grâce au lancement d’une collection spéciale intitulée « Réserve Héritage » à compter du mois de septembre. Un coffret en bois réalisé par la tonnellerie de champagne de trois magnums regroupera ainsi les millésimes 2000, 2002, et 2004. Notre coup de cœur ? Le 2004. Le nez s’ouvre sur la fleur d’acacia pour faire place à une bouche très fluide, très élégante, presque cristalline, avec des notes de citron encore vives qui lui servent de colonne vertébrale. 2002 a une minéralité plus exubérante autour de la pierre à fusil et en même temps une certaine rondeur avec des notes avenantes de noisette et d’amande. Enfin 2000, que la maison avait choisi à l’époque de ne pas sortir, constitue une jolie surprise. Le vin offre des arômes généreux de poire et de pain grillé balancés par une certaine salinité tandis que de beaux amers viennent tenir la fin de bouche.

www.josephperrier.com