Accueil Fonroque / Mazeyres : une double verticale en biodynamie

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

26.06.2018

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C’est bien sur la durée que l’on peut juger au mieux du travail d’un vigneron. Sur la rive droite de Bordeaux, à Pomerol et Saint-Emilion, Alain Moueix signe des vins à son image : élégants, subtils, davantage sur la retenue que dotés d’un caractère expansif, mais dotés d’une réelle personnalité. Illustration par une double verticale, avec la biodynamie pour fil conducteur.

Le nom de Moueix est certainement l’un de ceux qui résonnent le plus fort aux oreilles des amateurs de Bordeaux. De Petrus à Trotanoy en passant par la maison de négoce Duclot, cette famille venue de Corrèze a façonné au fil des générations un remarquable empire de la vigne. Si la discrétion est une constante dans l’arbre généalogique, elle est carrément une « marque de fabrique » dans le cas d’Alain Moueix.

L’homme à la tête de Château Fonroque (Grand Cru Classé de Saint-Emilion) et Château Mazeyres (Pomerol) séduit par son calme, sa mesure, sa constance, la façon dont chaque mot semble soupesé et la magnifique cohérence entre sa personnalité et celle de ses vins. Bien qu’il ait un temps envisagé une carrière de médecin, Alain Moueix se dirige finalement vers des études d’agriculture et viticulture à Purpan, près de Toulouse. En 1992, il prend la direction du château Mazeyres, propriété de Pomerol acquise trois ans auparavant par la caisse de retraite de la Société Générale. Au fil des années, Alain pilote l’agrandissement de la propriété – qui est aujourd’hui, avec 25,5 hectares disséminés sur plusieurs terroirs, l’une des plus vastes de l’appellation.

Fonroque, l’évidence biodynamie

Neuf ans plus tard, en 2001, il reprend les rênes d’une propriété familiale, Château Fonroque, Grand Cru Classé de Saint-Emilion. Immédiatement, il décide d’orienter le vignoble vers le bio et la biodynamie : il lance la démarche de certification pour l’Agriculture Biologique dés 2003 et généralise la biodynamie à l’intégralité du vignoble (17,6 hectares) à partir de 2004. Fonroque adhère à l’association Biodyvin à partir de 2005. A cette époque, peu nombreux étaient les vignobles de la rive droite – a fortiori les crus classés – à avoir emprunté ce chemin. « Bien sûr, à certains moment je me suis senti assez isolé sur le plan local, mais heureusement mes nombreux échanges avec des vignerons d’autres régions à travers Biodyvin m’ont conforté dans ce cap. Au-delà de la dimension environnement et santé qui est évidente, pour moi la biodynamie est avant tout un moyen de favoriser ce que le terroir peut donner de meilleur. La plante supporte mieux les aléas climatiques, elle va aller toute seule puiser ses ressources grâce à un meilleur enracinement. Les vins sont plus lumineux, frais, verticaux, ciselés ».

Fort de son expérience à Fonroque, Alain Moueix décide d’engager la même démarche à Mazeyres. « A Fonroque j’étais chez moi, j’avais un vignoble d’un seul tenant, une équipe renouvelée lorsque j’ai pris les rênes, bref les circonstances se prêtaient mieux à s’engager rapidement sur la voie de la biodynamie. A Mazeyres il a fallu prendre davantage notre temps, ne serait-ce que pour bien apprendre à connaître nos trois grands types de sols (graves argileuses et fines ; sables argileux ; et les graves très argileuses de la région de l’hippodrome). Il est également important que la biodynamie soit une démarche collective, à laquelle chacun adhère. Il faut de l’éducation, mais aussi la force de la preuve. L’important n’est pas d’aller vite, mais de faire les choses au bon moment. En philosophie grecque, c’est le Kairos« . Déjà engagé en viticulture raisonnée Terra Vitis au milieu des années 2000, Mazeyres est conduit intégralement en bio à partir de 2001 – certifié en 2015 – puis en biodynamie dès 2015 – certification prévue pour 2018. Le tout avec l’appui précieux de Stéphany Lesaint, qui l’a rejoint à la tête de la propriété en 2013.

Le regard vers l’avenir

Maintenant qu’il a poussé jusqu’au bout ses convictions de biodynamiste sur les deux vignobles dont il a la charge, Alain Moueix peut se tourner vers l’avenir. A Fonroque, d’abord : malgré l’arrivée l’année dernière d’un nouvel investisseur Hubert Guillard, il garde la main sur tout le volet production et supervise actuellement d’importants travaux au niveau de l’outil technique, qui lui permettra d’aller encore plus vers l’intraparcellaire (livraison prévue en 2020). A Fonroque comme à Mazeyres, un grand travail de fond est actuellement mené sur les vinifications et les élevages, avec l’arrivée pour ces derniers de nouveaux contenants – foudres de 23,5 hl et œufs en béton, pour gagner encore en verticalité, en fruit, en souplesse de texture. On l’a compris, Alain Moueix n’est pas genre à se reposer sur ses lauriers. Mais pour bien envisager l’avenir, il faut aussi savoir se retourner. Une double verticale Fonroque / Mazeyres sur les millésimes 2011 à 2016 est, à ce titre, riche d’enseignements.

2011
Mazeyres : 80% merlot 20% cabernet franc. Nez profond, fumé, léger truffé. Un profil très « bordelais », avec une structure tannique assez apparente qui demande encore d’être attendue. Néanmoins la matière est souple, suave, tonique et élancé à la fois, avec un côté orange sanguine.
Fonroque : 85% merlot 15% cabernet franc. La parfaite illustration d’un classicisme séduisant. Nez de cerise et de rose, touche d’eau de vie, un paysage caressant. Un vin mûr, élancé et salivant, presque bourguignon dans son style.

2012
Mazeyres :
profil plus chaud et charnu que le 2011, un nez plein, cerise noire et camphre, réglisse. Bouche sphérique, onctueuse, joli crémeux, de la gourmandise. Plus court que le 2011.
Fonroque : un nez dense et très mûr, très mûre. Un fruit sanguin, vivifiant, pulpeux, une matière plus large que le 2011, légèrement asséchante en finale.

2013
Mazeyres :
76% merlot, 23% cabernet franc, 1% petit verdot. Un millésime difficile comme chacun sait, qui s’est soldé par des rendements de 13 hl/ha. Nez un peu fumé, mûre sauvage, bouche légère, croquante, aimable. C’est un vin qui ne se prend pas pour ce qu’il n’est pas, un vin à boire avec plaisir.
Fonroque : nez très floral, délicat, pivoine et camomille, avec une touche d’eucalyptus. Jolie matière fluide, sapide, en finesse. Un côté fruit à noyau, mûr et croquant, bel équilibre d’ensemble. La preuve que 2013 réserve de très jolis vins.

2014
Mazeyres :
72% merlot, 22% cabernet franc, 6% petit verdot. Immédiatement le nez est plus intense, profond, dense, mais tout de même floral. C’est la troisième année que le vignoble est intégralement conduit en biodynamie et ça se sent. Bouche pleine, juteuse, c’est à la fois crémeux, dense, mais porté par une vraie fraicheur et une légère salinité en finale.
Fonroque : dès le premier nez on devine une certaine race, un arôme séduisant de jus de cerise et de la tension, du ressort, c’est énergique et droit, la trame acide est présente, les tanins sont follement élégants. Beaucoup de vibration, un vin souple et suave, qui en a encore sous la pédale.

2015
Mazeyres :
71% merlot, 27% cabernet franc, 2% petit verdot. Profil d’emblée solaire, flatteur, pommadé. La biodynamie a aidé à contenir la maturité, la bouche est riche, déliée, soyeuse, avec de la fraicheur. C’est extrêmement plaisant.
Fonroque : 92,5% merlot, 7,5% cabernet franc. Nez de camphre et d’épices, de la cerise noire. C’est un monstre d’équilibre, avec un fruit al dente, sanguin, salivant, frais, mais un ressort incroyable, beaucoup de dynamisme, de superbes amers en finale. Une bombe qui se déguste déjà très bien mais qu’il faudra attendre.

2016
Mazeyres :
après trois mois de mise en bouteille, on est frappé par le nez sanguin, tonique, un fruit pimpant et frais, beaucoup de verticalité, de la fraîcheur, de la longueur. Un millésime très complet qui permet de mesurer les efforts accomplis.
Fonroque : en primeurs, nous avions attribué la note de 17/20 à ce vin « distingué, racé, digeste », pour lequel Alain Moueix « semblait d’être régalé sur ce millésime qui correspond parfaitement au style de ses vins ». Un mois après la mise, l’impression ne se dément pas : nez fin et profond, bouche dentelée, ciselée, précise, c’est long et élégant, le fruit est juteux, soyeux, l’ensemble se déroule sans fin… Un très beau vin promis à un grand avenir.