Accueil Entretien avec Loïc Dupont, chef de caves (tatillon) chez Taittinger

Entretien avec Loïc Dupont, chef de caves (tatillon) chez Taittinger

Auteur

Frédérique
Hermine

Date

04.01.2016

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Recruté en 1984 par Claude Taittinger, Loïc Dupont, chef de caves de la maison Taittinger, met en toute discrétion et grande humilité ses compétences d’œnologue au service de la qualité depuis 33 ans. Interview.

Comment êtes-vous arrivé chez Taittinger ?
Je suis champenois et je travaillais depuis 10 ans en conseil œnologique quand je suis arrivé dans la maison… il y aura 33 ans cette année. J’étais plutôt habitué aux petites structures pour les vinifications et les assemblages et j’avais fait mes armes dans les vins mousseux, chez Castel où j’avais appris surtout l’organisation. Mais si je faisais ce métier, c’était pour travailler un jour dans le champagne. A l’époque, il n’y avait que très peu de chefs de caves dans les maisons champenoises; les maisons employaient surtout des cavistes qui se formaient sur le terrain. C’est Claude Taittinger qui m’a recruté en 1984; c’étaient les débuts de l’assurance qualité et l’âge d’or de l’œnologie car il y avait beaucoup à faire. Maurice Morlot, mon prédécesseur parti il y a 15 ans, m’a apporté le style Taittinger mais ce sont aussi les efforts collectifs de toute la profession qui ont fait progresser la qualité.

Le profil des champagnes de Taittinger a-t-il beaucoup évolué?
Surtout par le dosage. Il y a 30 ans, on ne communiquait pas sur le taux de sucre. Dans les années 80, on était plutôt autour de 17 g pour le Comte de Champagne, comme un extra-dry, puis on a baissé progressivement d’abord à 12 dans les années 90, à 10 dans les années 2000, jusqu’à 8 aujourd’hui. Quand Pierre-Emmanuel est arrivé en 2006, on a fait un gros brainstorming sur le dosage et on a décidé de passe à 9 g pour toutes les cuvées. On se repose la question régulièrement : la tendance est de baisser le dosage mais si l’on veut maintenir le style de nos vins, il faut rester à 9 même si nous sommes aujourd’hui parmi les bruts les plus dosés.

Quels sont les millésimes qui vous ont le plus marqué ?
Mes millésimes préférés restent 1988 qui était un monument, et 1995, contrairement à 96 dont on attendait beaucoup mais qui n’était pas finalement exceptionnel. Peu de maisons d’ailleurs l’ont réussi. Il a été très beau quand même pendant 10 ans et a évolué vite. 1999 a été une belle surprise car on n’espérait pas ça. Un peu comme 1988, il a démarré dans l’anonymat; quand il est sorti, on l’a trouve pas mal et 10 plus tard, on l’a trouve formidable. Les grands millésimes sont ceux qui se font attendre… ce que j’espère du 2006. Le 2003 est joli mais atypique et d’une grande vinosité ; il ne correspond pas à ce qu’on attend du Comte et sera à consommer assez rapidement. La difficulté est toujours de garder le style de la maison par rapport à la trame de base. Quant à 2008, il a tout pour rester dans les annales et il est prometteur dès le départ. Depuis 15 ans, nous avons la chance d’avoir une succession de belles années ; il y a 30 ans, nous étions loin d’avoir un bon millésime tous les ans.

Et 2015 ?
Tous les voyants sont au beau fixe mais on en saura plus dans quelques semaines. Les chardonnays montrent déjà une belle palette aromatique, un facteur clé pour le Comte de Champagne. Cette année, c’est le chardonnay qui a enregistré le moins d’acidité, le pinot meunier le plus – il y a 20 ans, c’était en général l’inverse.

Le réchauffement climatique risque-t-il de changer le profil des champagnes ?
L’augmentation d’un degré potentiel en température par le réchauffement climatique n’est pas anodin. Cela va forcément faire baisser l’acidité mais si les pH sont au même niveau, les vins peuvent garder une bonne sensation de fraîcheur. Mais ce réchauffement à un intérêt : l’avance des dates de vendanges à début septembre au lieu de fin septembre-début octobre dans les années 80, ce qui limite les risques de pourriture grise quand le mois est pluvieux.

Vous avez participé à l’aventure Carneros en Californie. Que pensez-vous des effervescents produits là-bas ?

J’ai démarré dans la Napa Valley la winery du domaine Carneros que Taittinger a acheté en 1987 avec son importateur américain Kobrand. La winery, avec plus de 55 ha autour – 140 aujourd’hui, a été construite en 1988 et j’y suis allé jusqu’en 1992. C’est une belle région surtout pour le pinot noir, et également pour le chardonnay ; les essais faits alors avec le pinot blanc et le pinot meunier n’ont pas été concluants, cela donnait des vins trop mous. On produit là-bas des vins plus matures, moins acides qu’en Champagne, et nous ne faisons pas les « malo » pour garder davantage de fraîcheur et d’acidité naturelle.

Quel enseignement gardez-vous de ces 30 dernières années ?
Les champagnes sont meilleurs aujourd’hui grâce à la progression de l’état sanitaire. Avant, une année médiocre avec des raisins pas très mûrs et trop arrosés donnait un millésime dilué ; aujourd’hui, il n’y a plus de dilution et de meilleures qualités aromatiques avec le changement des modes de culture : 80% de nos vignes sont enherbées ce qui génère moins de rendements mais aussi moins de botrytis. Il ne faut pas oublier que 90% de la qualité est à la vigne. Même avec des études d’œnologue, il ne faut pas oublier que l’on n’a pas de bon vin sans bon raisin… surtout quand près de la moitié de nos appros sont issus de nos vignes.