Lundi 11 Novembre 2024
Auteur
Date
20.03.2024
Partager
Succédant à Mallory Gabsi, Florian Barbarot et Kelly Rangama, Tom Meyer est le nouveau résident pour un trimestre de la table des chefs, le restaurant installé à Reims par G.H. Mumm à la Maison Cordon rouge. Le célèbre cuisinier du Granite (Paris 1er) passe ainsi à la craie et nous raconte sa rencontre avec l’univers du champagne.
Comment est née votre vocation de cuisinier ?
Fils de restaurateurs jurassiens, j’ai toujours été plongé dans cet univers, d’autant que nous habitions juste au-dessus du restaurant familial ! J’ai débuté enfant en aidant mon père en cuisine. À douze ans, je tenais le poste des amuse-bouches sur les gros services le weekend. Pour autant, adolescent, je voulais mener une carrière de sportif, j’ai pratiqué le basket à un certain niveau. Lorsque je me suis rendu compte que cela ne me mènerait pas aussi loin que je l’espérais, j’ai changé de projet et je suis parti en Lycée hôtelier ou après un bac techno, j’ai suivi un BTS en alternance chez Anne-Sophie Pic dans son établissement trois étoiles à Valence. Mes études achevées, je suis parti à la Maison Lameloise à Chagny en Bourgogne aux côtés d’Eric Prat, puis à la Chèvre d’Or à Èze (deux étoiles) auprès du chef breton Ronan Kervarrec. Plus tard encore, j'ai rejoint Benoît Viollier et Frank Giovannini en Suisse.
En parallèle de tous ces établissements, je me suis essayé à plusieurs concours, le challenge culinaire du président de la République, le concours du Meilleur Ouvrier de France, le Bocuse d’Or et le Taittinger, à la suite duquel Anne-Sophie Pic m’a recontacté parce qu’elle lançait une cellule de recherche développement. Cela m’a conduit à voyager entre ses différents établissements, à Lausanne, à Londres, à Singapour où j’ai suivi l’ouverture de son restaurant... Ce poste a élargi mes horizons dans la mesure où il était entièrement dédié à la création de plats. J’en ai composés pour toute une gamme de restaurants allant du bistrot au trois étoiles, j’ai même travaillé pour Air France. Enfin, en 2022, j’ai ouvert mon propre restaurant à Paris, Le Granite, qui a obtenu au bout de six mois sa première étoile.
Aujourd’hui, ce qui m’intéresse le plus, c’est le travail des sauces. Je les élabore toujours en partant de bases françaises, mais en les twistant avec toutes sortes d’épices, de fleurs, d’herbes fraîches que j'ai toujours à portée de main. J’accorde aussi une grande importance au visuel. Il me semble primordial d’avoir des assiettes graphiques. Certains de mes plats sont construits sur l’acidité, d’autres sur la gourmandise, ils peuvent être régressifs. Mais avant tout, j’aime la cuisine qui interroge, je ne veux pas que les gens qui viennent dans mon restaurant se disent qu’ils peuvent faire la même chose chez eux.
Quel est votre rapport au monde du vin et à celui du champagne ?
Pour moi, la restauration, ce n’est pas seulement la cuisine, c’est aussi le vin. Les sommeliers qui travaillent chez nous disent souvent que ce qu’ils apprécient ce sont les échanges permanents qu’ils ont avec les cuisiniers. Au Granite, notre cave compte déjà 700 références, elle en aura bientôt 1000. La carte est en constante évolution, on goûte beaucoup. Et si j’ai choisi ce nom pour mon établissement, c’est aussi en référence aux sols granitiques qui donnent naissance aux vins que je préfère. Chez mes parents, c’était ma mère qui gérait la cave. Grâce à elle, j’ai pu goûter très tôt de grands vins. J’ai aussi un beau-frère vigneron à Sancerre au domaine Paul Prieur. Nous avons vécu ensemble de très belles dégustations. Je me rends souvent dans la Loire, c’est un terroir que j'apprécie particulièrement.
En ce qui concerne le champagne, je suis aussi un fan. J’ai vraiment pris conscience de ce qu’il était en goûtant une fois dans un restaurant une bouteille offerte par un ami, un vieux blanc de noirs très vineux d’Egly-Ouriet. J’ai découvert une autre dimension que je ne suspectais pas et je me suis passionné. Dans notre restaurant, nous avons 100 références de champagne à la carte, aussi bien des grandes maisons dont il faut reconnaître qu’elles ont porté la notoriété de l’appellation à l’international, que des petits vignerons. Cela peut paraître bateau, mais j’adore Sélosse, dont nous sommes très proches, Romain Henin aussi… Et, évidemment, nous allons bientôt rentrer des cuvées RSRV de G.H. Mumm ! Vous comprendrez que lorsque l’on adore comme moi le pinot noir et les blancs de noirs, la rencontre était écrite d’avance. C’est assez facile de travailler avec cette maison, parce qu’ils ont grâce à ce cépage qu'ils placent au coeur de la plupart de leurs cuvées, une vinosité et une complexité qui ouvre la voie à de beaux accords.
Vous avez effectivement magnifiquement accordé le blanc de noirs RSRV 2013 avec l’omble de Chevalier en utilisant du sapin, un condiment qui joue très bien sur la vinosité que vous évoquez, mais vous n’êtes pas non plus en reste pour le blanc de blancs RSRV 2015 où vous nous avez proposé un tourteau de Roscoff…
Pour ce tourteau, je suis vraiment allé sur une cuisine très française où tout repose sur la sauce, laquelle est légèrement relevée avec de l’huile d’estragon du Mexique. Cela fonctionne surtout très bien en termes de texture. La sauce assez épaisse produit un bel écho avec le touché soyeux du vin.
Vous osez aussi un accord très végétal, pas si commun pour le champagne …
En effet, j’ai choisi de composer un plat autour d'une asperge verte. Sur cet accord, la touche toastée apportée par le sabayon de noisette résonne très bien avec la dimension réductive un peu grillée du millésime 2016 de G.H. Mumm.
En dehors du champagne, l'accord le plus marquant est certainement celui sur le vin du Jura…
Je suis très proche de Stéphane Tissot. J’adore le côté oxydatif très bien maîtrisé de ses vins. Pour autant, même si je suis jurassien, je suis incapable de boire une bouteille entière de vin jaune, car à un moment donné, on est saturé. J’adore en boire un verre, et je pense que tout le monde me rejoindra là-dessus ! Le côté oxydatif de ce savagnin sous voile lui donne beaucoup de longueur en bouche, mais elle est en même temps balancée par l’acidité du cépage, sa fraîcheur, qui permet de mieux accepter cette richesse. J'ai donc cuisiné une volaille agrémentée d'une sauce à base de morilles, de porto blanc, de vin jaune et de reine-des-prés. Elle est assez douce, notamment à cause de la reine-des-prés qui donne cette touche d’amande. L'acidité du savagnin de Stéphane Tissot vient donc la vivifier, tandis que le côté noix que donne l’oxydation du vin se combine parfaitement avec les arômes de champignons.
Sur des notes plus marines, vous avez aussi admirablement bien mis en valeur le rosé Sainte-Marguerite, cuvée Fantastique 2022, en l'accordant avec une langoustine…
C’est un rosé très intéressant, parce qu’il est vineux. Il a cette dimension très fruitée au nez, et en même temps, il conserve en bouche un caractère très salin. Avec la réduction de jus de têtes de langoustines, cette salinité était très cohérente. La vinaigrette au bourgeon de cassis qui l’accompagnait a une acidité bien tranchante qui résonne à merveille avec la tension et le fruit éclatant du rosé.
Sur le dessert "Chocolat Tukalum, poivre vert, agrumes, grué de cacao" vous ne vous êtes pas risqué sur le champagne, vous avez préféré faire plus classique avec un sherry…
Le champagne sur le chocolat, c’est trop raide, cela fait ressortir quelque chose d’un peu métallique, c’est pourquoi j’ai choisi un sherry Royal de Sandermann de vingt ans d’âge, un peu madérisé.
Prix 55 € à midi (menu 3 séquences), 75 € le soir (menu 4 séquences), 115 € (6 séquences). Du Jeudi au Samedi, déjeuner et dîner. Le Lundi uniquement le dîner. Réservation en ligne : https://www.mumm.com/fr-fr/la-table-des-chefs-mumm/
Articles liés