Accueil Non, le champagne n’est pas seulement un « vin de célébration »

Non, le champagne n’est pas seulement un « vin de célébration »

Auteur

Laurie
Andrès

Date

17.12.2020

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Période cruciale, les fêtes de fin d’année représentent 30 à 50% des ventes de champagne. Mais à l’issue d’une année 2020 qui a vu se raréfier les rassemblements et événements festifs, la boisson effervescente doit plus que jamais revoir ses moments de consommation.

La pandémie aura t-elle la peau du champagne ? Boudées pendant le premier confinement (—60% des ventes en GMS en avril 2020) et depuis toujours associées à la célébration – les partisans démocrates ne se sont-ils pas rués sur le champagne lors de l’annonce de la victoire de Joe Biden ? -, facilement accusées d’élitisme en ces temps de vaches maigres, les bulles peinent à reconquérir le cœur des consommateurs.

Pourtant, il se dessine dans le paysage champenois de nouvelles voies à emprunter. Et il en est une qui n’y va pas par quatre chemins : il faut « casser les codes ». Une prescription que les vignerons de Champagne ont décidé de suivre en 2018 en lançant une grande campagne de communication. Cette dernière, qui invite les consommateurs à boire du champagne plus simplement et à l’associer à des mets du quotidien, a dès son lancement fait des remous auprès des puristes. Les visuels pastels mettant en scène restes de la veille, gigot, artichaut, œuf dur et chouquettes sur moquette, accolés de messages clairs (« Le Champagne réservé à toutes les occasions », « Pas pompeux, juste gouteux »), à destination d’une cible d’influenceurs et de millennials, ont bousculé les habitudes.

Du côté de l’agence M&C.SAATCHI.GAD « qui réveille le storytelling du Club Med », cette campagne print, digital et disruptive, s’est révélée être un pari gagnant, auréolée la même année par le Grand Prix Stratégies du Luxe, du magazine éponyme. Mais qu’en est-il presque 3 ans après ?

Une filière qui se remet en question

Le retour sur investissement (12 millions d’euros en 3 ans) est difficilement mesurable sur les ventes mais bien plus sur la visibilité. Pour preuve, le bilan du Syndicat Général des Vignerons de Champagne (SGV) affiche des records en 2020 : « 19 millions de personnes ont vu une communication champagne, soit plus de 95% de la cible atteints en trois ans sur le marché français et plus de 1,5 million de personnes touchées chaque mois en moyenne grâce aux réseaux sociaux », peut-on lire sur le site du syndicat. Si le champagne se dévergonde avec succès, le message est-il pour autant passé ?
Concernant les ventes, l’état de santé du champagne s’est maintenu ces dernières années (297,5 millions de bouteilles vendues en 2019). Un point d’équilibre que l’année 2020 a mis à mal. Brexit, taxes américaines, crise sanitaire mondiale, la baisse des chiffres de ventes estimée à -25% semble inéluctable (selon les premières estimations, le nombre de bouteilles vendues avoisinerait 230 millions pour l’année 2020).

Du côté de la filière, on accuse le coup et on continue de jouer la carte de la résilience. Car il serait dommage de baisser les bras en si bon chemin. Mais plus que les chiffres de ventes, c’est bien la qualité qui prime.
Lors de l’Assemblée Générale de l’Association Viticole Champenoise (AVC), grand messe annuelle regroupant vignerons et maisons, pour la première fois organisée virtuellement, les présidents des vignerons et négoce Maxime Toubart et Jean-Marie Barillère se sont voulus rassurants. Malgré une année noire, le rythme des actions engagées par la filière ne s’est pas arrêté. Et c’est bien là que se trouve la planche de salut. Vignes en conversion, certifications environnementales, adaptation au réchauffement climatique, expérimentation des vignes semi-larges, les travaux ne manquent pas. En 2020, selon les derniers chiffres du Comité Champagne, 12% des exploitations sont certifiées (près de 2000 sur 16 000), les traitements herbicides ont été réduits de près de 50% en 12 ans (mesure de l’IFT, indice de fréquence de traitement). Selon l’Association des Champagnes Biologiques (ACB), la part du vignoble bio a progressé pour atteindre 3,4% de la superficie de l’AOC en 2019. Mieux encore, l’année 2020 devrait être une année record pour la viticulture biologique en Champagne. Autant de facteurs qui permettent d’asseoir la conscience écologique de ce vignoble septentrional et de gagner des parts de marché chez les consommateurs sensibles à ce sujet.

L’image de luxe fait de la résistance

Suivant la même perspective, les maisons, plutôt frileuses à communiquer sur leurs engagements environnementaux, ne se sont pas fait prier. Roederer, Pommery, Leclerc-Briant et d’autres tirent la grande locomotive de la Champagne plus verte.
Et le vignoble champenois aurait tort de faire l’impasse sur ces enjeux environnementaux qu’il explore depuis 20 ans déjà grâce à des programmes ambitieux. Selon le dernier baromètre SO WINE, agence marketing dédiée au secteur des vins et spiritueux, 50% des consommateurs seraient prêts à payer plus cher pour un vin labellisé bio. Plus globalement, l’exigence des consommateurs appelle à davantage de transparence. Ce sur quoi travaille la Champagne et qui lui permettra de conquérir d’autres marchés.

Le vin de Champagne peut donc s’appuyer sur l’évolution de ses pratiques culturales pour séduire de nouveaux amateurs et provoquer de nouveaux moments de consommation. Mais son identité de « vin de célébration » reste toujours ancrée : pour preuve, comme le rappelle Vincent Perrin, directeur du Comité Champagne, « la première semaine de décembre, la vente de champagne a battu des record en grande distribution« , ce qui vient clore les débats sur la question suivante : « Y aura t-il du champagne sur les tables de fêtes ? » La réponse est : probablement.

Et s’il peut être consommé plus sobrement, il y a une partie fantasmée de la part des consommateurs qui n’est pas près de disparaître. « Il nous faut renforcer l’imaginaire et le mythe autour de notre appellation », a ainsi insisté Jean-Marie Barillère. Un credo suivi par la plupart des maisons soucieuses, au-delà de la mission de conquête d’un nouveau public, de préserver leur image luxueuse ; à l’instar de Taittinger, incarnée par Vitalie Taittinger depuis janvier 2020, adepte des « instants » de communion, qui pour promouvoir son millésime 2008 de Comtes de Champagne, s’est appuyée sur une annonce non équivoque : « Taittinger, ne serait-ce qu’une fois dans votre vie ? » Un message que la maison avait déjà utilisé dans les années 1970.

Au pays des bulles enchanteresses, même les crises successives et les changements de paradigmes ne peuvent entamer la force de la rêverie collective.