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[Covid-19] Champagne, l’heure du premier bilan après le confinement

Auteur

Yves
Tesson

Date

02.06.2020

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Alors qu’on commence à évaluer les conséquences sur les ventes pendant le confinement, les Champenois se mobilisent pour ne pas devenir les grands oubliés du plan de soutien gouvernemental, mais aussi pour prendre eux-mêmes au sein de leur appellation toutes les mesures qui permettront d’atténuer le choc.

Les chiffres sont évidemment dramatiques avec un recul en mars 2020 de 22% des ventes par rapport au même mois l’année dernière et un bilan probable encore plus rude en avril. Pour l’instant, toutes les entreprises de champagne n’ont cependant pas été touchées au même degré. Les champagnes de vignerons ont été les plus affectés (-49,5%). L’un des facteurs explicatifs, c’est qu’ils sont pour beaucoup axés sur le marché intérieur. Or ce sont les marchés extérieurs, en particulier le grand export, qui ont le mieux résisté. Le négoce tire ainsi davantage son épingle du jeu, mais avec là aussi des nuances selon les orientations : les maisons tournées vers la clientèle CHR (Cafés Hôtels Restaurants) sont par exemple plus atteintes que celles qui misent sur la grande distribution.

L’augmentation de 74% des ventes le samedi 9 mai dans les supermarchés, deux jours avant le déconfinement, montre que pour les Français, le champagne reste le vin par excellence de la fête. Néanmoins, pour ceux qui tablaient au début du confinement sur une frénésie chez les consommateurs lorsqu’ils seraient enfin libérés, une sorte d’envie irrésistible de rattraper le temps perdu, on est loin du compte.

Le déconfinement étant très progressif, l’aspect festif qu’il aurait pu prendre s’en trouve atténué et les ventes perdues aux mois de mars et avril ne seront pas rattrapées. La restauration devrait redémarrer lentement. Le président de l’Association française des maîtres restaurateurs a d’ailleurs annoncé qu’il ne fallait pas s’attendre à de nouvelles commandes de vins avant la mi-Juillet. L’activité événementielle (salons, mariages etc.), essentielle pour le champagne, risque de ne pas reprendre avant plusieurs semaines. Quant aux boîtes de nuit, où le champagne peut se targuer d’être l’un des rares vins consommés, elles devraient figurer parmi les derniers établissements à rouvrir, surtout après la mauvaise expérience vécue par les Coréens. Au total, au vu de l’ampleur du ralentissement économique mondial qui se profile, le Comité Champagne estime que les ventes pourraient ne pas dépasser 200 millions de bouteilles sur l’année contre 300 millions l’année dernière.

La mobilisation interprofessionnelle

Face à la catastrophe, les professionnels se mobilisent. D’abord pour obtenir des mesures de soutien adaptées de la part du gouvernement, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment. Le plan annoncé pour la filière évoque des exemptions de charges sociales, mais à condition pour chaque entreprise d’être en mesure de prouver les pertes occasionnées. Or, les vignerons livreurs vont être impactés de manière très décalée dans le temps. Ils toucheront jusqu’en décembre le paiement de leurs vendanges 2019, sans que rien n’ait changé. Leur revenu ne sera affecté qu’à partir de 2021. Quant à la possibilité de distiller, grâce à une enveloppe nationale de 140 millions d’euros, elle est inutile en Champagne. La capacité de l’organisation interprofessionnelle à moduler de manière assez exacte les rendements ayant droit à l’Appellation en fonction des besoins du marché suffit.

En effet, pour l’instant, c’est d’abord le Comité Champagne davantage que le gouvernement qui a pris des mesures de sauvegarde pour préserver l’appellation du choc. Afin de limiter la liquidation des stocks à vil prix, il a suspendu le marché des bouteilles en cours d’élaboration, en attendant un éventuel renforcement de la loi Egalim régulant davantage les promotions dans les grandes surfaces. Il a offert aussi aux maisons la possibilité, avec l’accord des vendeurs, d’étaler le paiement des vendanges de 2019.

Le 28 mai dernier, le Comité annonçait encore deux nouvelles décisions. La première concerne les prochaines vendanges, dont une partie ne pourra être tirée en bouteilles qu’en 2022. Les vignerons livreurs ne seront payés pour cette portion qu’à ce moment-là. Ce système a l’avantage, par rapport à la mise en réserve des vins, de permettre aux vignerons d’escompter leurs créances.

La seconde concerne les vignerons qui commercialisent leurs propres champagnes. Ils pourront exceptionnellement acheter du raisin. Jusqu’ici cette possibilité était limitée à 5%. Elle se justifiait par le besoin de certains vignerons de compléter leurs assemblages, en faisant l’acquisition par exemple, si leur exploitation se situait dans un cru où dominait les chardonnays, de raisins de pinot noir pour produire du rosé.

L’objectif cette fois est d’apporter une compensation à ces vignerons, dont certains possèdent des marques très fortes, un réseau international, et des ventes qui pourraient se maintenir malgré la crise. Or, la baisse importante des rendements prévisible pourrait les obliger à ne pas satisfaire toute leur clientèle et les léser par rapport au négoce. Dans le même temps, cette dérogation permettrait de créer une soupape capable d’absorber une partie du raisin des vignerons livreurs que les maisons ne pourraient acheter.

Cela suffira-t-il à apaiser les tensions entre le Syndicat général des vignerons et certains vignerons expéditeurs de champagne ? Pas facile en effet d’accepter d’acheter des raisins alors qu’on a une récolte suffisante pour assurer ses approvisionnements. D’autant que les vignerons indépendants fondent l’identité de leurs vins et de leurs marques sur les parcelles qu’ils travaillent avec des méthodes spécifiques. En même temps, il y va de l’intérêt de la Champagne : une chute des prix altèrerait l’image de l’appellation, dont tous les acteurs, y compris les vignerons indépendants, tirent profit dans leurs ventes.

Les mesures de relance

Pour l’instant, la plupart des opérateurs restent dans l’expectative. Dans les grandes maisons, beaucoup ont suspendu leurs campagnes de communication face à des consommateurs qui risquent pour l’instant de ne pas être réceptifs.

On note cependant certaines exceptions. Le Syndicat général des vignerons reprend au mois de juin sa campagne d’affichage. Lancée en 2018, on notera que le message initial était particulièrement adapté au contexte du confinement. En mettant en scène le champagne avec une seule flûte, et des aliments du quotidien comme une boîte de conserve, une pizza livrée ou un donut, elle faisait du champagne non plus une boisson exclusivement de célébration, mais également un vin que l’on peut déguster seul, pour le plaisir de ses qualités intrinsèques, et dans la simplicité du quotidien.

En réalité, les plans de communication concernent en ce moment surtout l’œnotourisme. Bertrand Trepo, vigneron, et président de l’Association de Promotion du Champagne et des Coteaux du Vitryat considère ainsi que la crise actuelle pourrait sans doute pousser les vacanciers à se tourner vers ce type de destination. « La forme de tourisme va changer. On a tellement bombardé les gens de messages pour les inviter à éviter les attroupements. Le tourisme de masse, la convergence vers des lieux comme le Louvre, cela ne va pas être la tendance. On va aller vers un tourisme plus diffus. En Champagne et en ce qui concerne l’œnotourisme, on n’a pas d’effet de concentration par essence. L’AOC est vaste, les villages, les maisons et les vignerons que l’on peut visiter sont dispersés. Cela va répondre à une envie. Il y a aussi le succès commercial du vélo, l’envie de bouger après avoir été cloîtré de longues semaines, de faire du sport au grand air : une route des vins à vélo, c’est parfait. En ce qui concerne le Vitryat, on a le lac du Der qui se situe juste à côté de coteaux plantés de chardonnays, avec des pistes cyclables, des plages, des jeux nautiques, un casino, bref, une véritable Riviera de Champagne ! »

Néanmoins, il s’agit de rester vigilent dans la forme de cette communication. Toutes les AOC qui cherchent à écouler leurs volumes vont avoir la même politique et inonder le métro parisien de placards. « Le consommateur risque d’être perdu dans un brouhaha où personne ne sera audible ». Dans ces conditions, des campagnes d’affichage pourraient se solder par un piètre retour sur investissement. Aussi, Bertrand Trepo considère comme essentiel de parvenir à cibler au maximum. Pour cela, il mise sur une communication sur les réseaux sociaux. Ce media présente une multitude d’atouts. Il permet de géo-localiser de manière très précise. Pour sa promotion du Vitryat (voir page Facebook), l’association a ainsi souhaité viser d’abord la région parisienne et les villes de Metz et Nancy, dans la mesure où le tourisme cet été sera d’abord un tourisme de proximité où les vacanciers chercheront à éviter les risques de contamination des trains et des avions. Les réseaux sociaux offrent aussi la possibilité de tenir compte des goûts, en retenant par exemple uniquement les personnes qui s’intéressent au champagne. Le tout pour un coût passablement faible, alors que les campagnes d’affichage sont très onéreuses…

Garder le cap de la viticulture durable

Dans sa quête de valeur, l’appellation Champagne a réalisé depuis plusieurs années des efforts très importants pour développer une viticulture durable, en créant par exemple sa propre certification et en devenant la première appellation à réaliser son bilan carbone. Dans le contexte actuel, on peut imaginer deux scénarios. Soit les vignerons, du fait de leur baisse de revenu, estiment ne plus avoir les moyens de financer ces pratiques écologiques : le désherbage mécanique par exemple a un coût supérieur aux herbicides, de même que l’usage des diffuseurs de phéromones pour chasser le cochylis si on le compare aux insecticides. Soit la baisse du rendement ayant droit à l’AOC peut inciter au contraire les vignerons à privilégier les pratiques viticoles plus respectueuses de l’environnement, en considérant que la perte de volume occasionnée ne sera de toute manière pas dommageable. C’est plutôt cette dernière orientation qui se dessine. Le président du Syndicat général des vignerons, Maxime Toubart, l’a récemment rappelé dans les colonnes de Vitisphère « Ce virus nous fait tous réfléchir et si cette crise doit avoir un côté positif, c’est de mieux prendre en compte l’environnement. Il ne peut pas y avoir de pause sur les sujets environnementaux. »

Au-delà même d’ailleurs du développement de la viticulture durable, d’une manière générale, pour beaucoup, la crise est l’occasion de privilégier davantage encore la qualité sur la quantité. Bertrand Trepo souligne ainsi que la pratique de l’éclaircissement, qui consiste à supprimer une partie des grappes pour favoriser une plus forte concentration du sucre et des arômes précurseurs, aurait tout intérêt dans les conditions actuelles à se développer.

Dernier aspect, le vignoble champenois souffre d’un vieillissement excessif qui favorise certaines maladies. Pour combattre cette tendance, l’interprofession avait l’année dernière instauré la possibilité de débloquer pendant non plus deux ans, mais trois ans, une quantité supplémentaire de raisin équivalente à 8000 kilos par hectare arraché et replanté. L’objectif était de mieux compenser la perte de récolte occasionnée. Avec cette mesure, et un rendement qui sera fixé en juillet probablement à un seuil assez voisin, c’est le moment ou jamais pour les vignerons de se lancer dans des opérations de replantation.