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Vendanges amères en Algérie au temps du coronavirus

Auteur

AFP

Date

19.09.2020

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Dahmane Hamamouche, vigneron dans la région algérienne de l’Oranie, s’est levé tôt pendant quinze ans pour élaborer ses vins aux couleurs intenses malgré les adversités mais il prend désormais son temps car la pandémie de nouveau coronavirus s’avère être l’ingrédient de trop.

Dans le grand Ouest de l’Algérie, les vignerons ont l’habitude des aléas climatiques et phytosanitaires ou encore du manque de main-d’œuvre. Cette année encore, alors que les vignes devraient déborder d’activité en cette saison des vendanges, de nombreux rangs restent déserts : le rendement des ceps est amoindri après une température estivale anormalement élevée et les vendangeurs font défaut. Mais avec la pandémie qui paralyse toute son activité, le secteur viticole connaît sa pire année depuis plusieurs décennies. « On ne peut pas tenir comme ça, si cela dure encore un mois ou deux, on ne tiendra pas », déclare M. Hamamouche à l’AFP, affirmant que sa Société agricole de production de la vigne et du vin (SAPVI) créée en 2004, connaît déjà « des difficultés de paiement des salaires ».

Le problème découle, selon lui, du maintien – sans justification officielle – de l’interdiction de vente d’alcool en boutiques spécialisées alors qu’une grande partie des activités commerciales et industrielles a progressivement repris après cinq mois de confinement. Les cafés et restaurants ont été autorisés à rouvrir le 15 août. « Il faut que le gouvernement débloque la distribution (d’alcool) pour relancer notre activité économique », plaide le vigneron qui possède des caves à Sidi Bel Abbès, à un peu plus de 400 kilomètres au sud-ouest d’Alger.

« A l’arrêt »

« Nous sommes à l’arrêt », déplore-t-il. Ghanem Bouha, directeur financier et administratif de la société, souhaite que « les banques participent par des crédits pour affronter cette crise que l’on espère passagère ». La SAPVI transforme le raisin de viticulteurs de Sidi Bel Abbès, Mascara, Tlemcen, Mostaganem et Aïn Témouchent, hauts lieux du fameux vignoble algérien dont la production est la deuxième plus importante du continent africain derrière l’Afrique du Sud.

Mais l’année 2020 ne se présente pas sous les meilleurs auspices. « Ce n’est pas comme d’habitude, on a beaucoup moins de récolte cette année à cause de l’été caniculaire. D’habitude, il y a beaucoup plus de raisin », observe Attou, un vendangeur de 20 ans. L’un des rares à couper des grappes en Algérie où l’industrie vinicole connaissait une crise existentielle avant même le coronavirus. Vendangeur est un métier très éprouvant qui attire de moins en moins d’ouvriers agricoles journaliers. « A chaque saison, il y a des complications à cause du manque de vendangeurs. On a du mal à cueillir le raisin », déplore Dahmane Hamamouche.

En conséquence, de nombreux propriétaires délaissent leurs vignes. « Je ne comprends pas pourquoi ils ne travaillent pas leurs terres », confie Ezzine, vendangeur de 38 ans à l’œuvre dans un vignoble de Sidi Bel Abbès. « Avant, tout le monde travaillait sans problème la terre. Maintenant, ce n’est plus le cas, est-ce parce que ça demande un gros effort ? La viticulture disparaît », lance-t-il.

Replanter la vigne

Ce n’est pas la première fois que le secteur vinicole traverse des difficultés. Neuf ans après l’indépendance de son ancienne colonie en 1962, la France suspend l’importation de vin algérien à la suite d’une crise politique. Les tentatives de trouver des débouchés pour écouler la surproduction échouant, le président Houari Boumediène décide en 1971 l’arrachage de 40% des domaines viticoles. L’Oranie est en grande partie épargnée.

Cette décision, prise à contrecœur, prive l’Algérie de sa deuxième entrée de devises après les hydrocarbures. Une seconde grande vague d’arrachage survient durant la décennie noire (1992-2002), la sanglante guerre civile ayant fait environ 200.000 morts. Les « fellahs » (paysans) arrachent ou abandonnent la vigne de cuve, par conviction ou par peur de représailles des maquisards jihadistes.

La viticulture algérienne, qui remonte à l’Antiquité romaine, couvrait 75.600 hectares en 2019 – d’après l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) – contre plus de 350.000 pendant la colonisation.

« Il faudrait un plan national agricole d’aide aux fellahs pour la replantation du raisin de cuve », considère M. Bouha. Les producteurs espèrent aussi l’aide de l’État pour développer leur activité afin d’assurer, au moins, la consommation nationale.

L’Association des producteurs algériens de boissons estimait à 1,4 litre la consommation de vin par an et par habitant en 2017. D’après l’OIV, en 2016, la production s’élevait à 574.000 hectolitres et les importations à 113.000 hectolitres.

Par Farah ABADA avec AFP